Les éléctions législatives au Liban 2018

Les éléctions législatives au Liban 2018
الجمعة 29 يونيو, 2018

Faits et indicateurs

 

Il serait très naturel d’analyser ces élections sous l'angle du «sectarisme politique», non seulement parce que la représentation parlementaire au Liban repose encore sur une base communautaire-confessionnelle, mais aussi parce que la nouvelle loi, qui est à la base de ces élections, est la plus communautaire qui soit. L'histoire du Liban moderne, et plus important encore, les principales forces politiques du pays - sans exception - ont mené  cette campagne électorale que sous «l’acceptation de l’aspect communautaire et partisan, avec des priorités limitées à ce cadre!

Même au cours des précédentes élections de 2009, des forces politiques ont essayé d'être trans-communautaires et trans-régionales, et avec une vision politique commune au niveau national (l'exemple le plus important a été la confrontation politique entre les rencontres du 14 et 8 Mars entre 2005 et 2009). Cette année, l’unique priorité était la préservation l'identité «politique-communautaire-confessionnelle partisane». Et les rares tentatives de les dépasser, ont été faites dans le but de remporter des sièges à un niveau local mais jamais dans l'intérêt national. Ainsi, ces « opérations invasion / pénétration » n'ont pas été efficaces - et elles ne pouvaient l'être - sinon la création de « cinquième colonne » ici ou là, qui n’ont fait aucune différence au niveau du sens général qui s’est imposé lors de la campagne dans sa ensemble.

 

Les faits et les indicateurs dans le mileu chiite:

 

  • Le tandem chiite (Amal-Hezbollah) a remporté 26 des 27 sièges réservés à la communauté et a perdu un siège dans la circonscription de Jbeil-Keserwan face au candidat indépendant, Mustafa Husseini, frère de l'ancien président du parlement Hussein El Husseini, lequel s'est retiré de la bataille en signe d'opposition à la loi électorale - selon ses dires. La raison la plus probable est qu'il n'a pas été en mesure de constituer une liste avec des alliances de poids. Le contexte principal du président El Husseini dans ces élections est que le tandem chiite ne le ne lui a pas laissé cette fois, une marge de paraître indépendance comme il l'aurait souhaité. Son retrait prouve clairement son refus de confrontation, tout comme il le faisait ces dernières années. Il ne faut pas s'attendre non plus à ce que le député Mustafa Husseini s'oppose au tandem chiite, malgré son amitié qui le lie à l'ancien député Farès Souaid, surtout qu'il est un proche de M. Berri. De plus le climat chiite dans la région de Jbeil dans le contexte actuel, ne lui permet pas de s'opposer sinon dans le cadre dans une étroite marge réservée à Nabih Berri selon le cadre bilatéral.

 

  • Le point essentiel de ce qu’on peut observer de la part tandem chiite dans la campagne électorale était sa volonté prioritaire et son insistance à obtenir un mandat exclusif dans la représentation chiite au sein parlement, dans un but «sous-entendu» que cette représentation exclusive constitue la seule garantie pour la communauté chiite dans l'équation libanaise, pour s’opposer à toute les possibilités de bouleversements régionaux qui peuvent se produire à tout moment. C’est une question de survie. Une fois que cet objectif est clairement accepté, on est en mesure de comprendre est le discours démagogique du tandem.

 

  • D'où ce discours idéologique (la wilyat al fakih - avec la préservation de la formule de la légitimité politique), et le discours de la résistance - pour le compte d’un discours doctrinal et d’auto-préservation. Ces deux discours idéologique et résistant ne sont que le résultat des discours offensifs dans le cadre d’un islam politique iranien. Le caractère défensif a apparu à travers deux indicateurs. Le premier est le refus du Hezbollah d'inclure un candidat non partisan sur ses listes (contrairement à la présence de candidats relativement indépendante sur les listes Amal). Le second a été l’intervention de Hassan Nasrallah lui-même a travers des discours d'incitation communautaires et confessionnels, pour embrigader et recruter à partir de sa machine électorale!

... et parmis les "surenchères" que le Hezbollah a usé (des incitations confessionnelles flagrantes, à l’invasion de certains bureaux de vote dans le dernier quart d'heure par ses électeurs pour assurer le succès de certains candidats comme Jamil al-Sayyid par exemple, jusqu’à l'invasion de quartiers chrétiens et sunnites de Beyrouth le lendemain des élections avec des convois de véhicules provocants). Suite à ces surenchères Nabih Berri a tenté avec succès de paraître "modéré"... Il est à noter que cette campagne électorale a réaffirmé la nécessité pour le Hezbollah de représenter Nabih Berri, comme une "vision libanaise" d’une communauté chiite prise en otage par l’Iran..

Il est évident que ce "interet commun" entre les deux parties respecte des conditions et a des limitations bien claires. Elle offre au Hezbollah une ligne défensive qui garantit son engagement iranien, et offre à Berri une possibilité de se différencier en lui permettant de défier le premier allié du Hezbollah, Michel Aoun, et en lui donnant une marge d'ouverture vers les deux principaux rivaux du Hezbollah: Saad Hariri et Walid Joumblatt.

  • Si nous considérons que le tandem chiite a réussi à monopoliser la représentation parlementaire chiite, au point de la déclarer dans sa rhétorique électorale, il devient «la protection des armes illégales à travers une légitimité parlementaire», faisant de son discours politique et pratique un incitatif sectaire et défensif. L'autre discours confessionnel ne valait pas mieux, puisqu’il a suivi les pas du Hezbollah, de sorte que le parti de Dieu nous est apparu comme "cet aîné qui le leur a enseigné comme par magie!".
  • Une dernière observation fondamentale au sujet de la campagne électorale chiite, est que la «loi proportionnelle», mise en place par les Libanais pour fragiliser «l'équation majoritaire» et permettre une avancée des indépendants, a été remarquée dans certaines régions chiite, notamment dans le sud et la Bekaa.

Tout en empêchant toute opposition au tandem d'obtenir le «seuil électoral» qui le qualifie pour avoir droit remporter un siège parlementaire. Cette conséquence s’explique non seulement par les moyens de pression utilisés ou l'influence sur l'opinion publique (notamment à travers les services rendus et l’argent électorale, les médias et les forces de sécurité) mais aussi par la fragmentation de l'opposition chiite.

À cet égard, les observateurs ont noté l'échec des opposants chiites à former, en premier lieu, des alliances de poids entre eux et avec les autres ensuite. Les observateurs ont également noté le rôle important joué par certains partis de gauche libanais dans la dispersion des forces de l'opposition chiite. En conclusion, le Hezbollah, qui a annulé les avantages de la proportionnelle dans les régions chiites, a pu bénéficier de ces avantages dans les autres milieux confessionnels. (Il serait par ailleurs inexact de considérer toute une opposition au Mouvement du Futur ou à Walid Joumblatt - par exemple - comme étant uniquement au profit du Hezbollah ... sinon, nous serions en train d’utiliser les propres normes du Hezbollah).

 

II- Faits et indicateurs de la bataille dans le milieu chrétien.

 

  • Dans le milieu chrétien, l'idée d'une «dualité» composée du mouvement patriotique libre et des forces libanaises a nettement progressé, le parti libanais Phalange conservent une légère «marge indépendante», ainsi que les Marada qui est en opposition au duopole chrétien. Cette ascendance de cette tendance bipartisane, clairement monopolistique, a éliminé certains visages chrétiens indépendants, voire certaines des personnalités traditionnelles de poids, alors que d’autres personnalités traditionnelles ont été mises sous pression (par exemple, la chute de Boutros Harb à Batroun et Fares Said à Jbeil, Keserwan, Skaf et Fattoush à Zahlé, tandis que Michel Murr a pu quant à lui résister dans le Metn).
  • La progression de l'idée d'un duopole chrétien est en effet dû au fait que les Forces libanaises ont obtenu 15 sièges au parlement contre 8 sièges dans le précédent. Le mouvement aouniste a maintenu un bloc de 24 députés. Selon notre évaluation, les progrès réalisés par les forces sont le résultats de quatre facteurs:
  • La possibilité de bénéficier de la «proportionnelle» dans le milieu chrétien, qui reste malgré tout «pluraliste».
  • La capacité de s'adresser à une conscience chrétienne indépendante, sur la base de son capital 14 marsiste, alors qu'au cours de la dernière période ils n'étaient pas obligés d '«entrer en confrontation non souveraine» (contrairement au mouvement aouniste).
  • L'établissement d'alliances électorales, au «cas par cas» pour remporter le plus grand nombre de sièges. Malgré leur volonté d'affirmer que les alliances étaient sur base d'une proposition souveraine ... Ils ont évidemment bénéficié d'ententes semi-permanentes avec le "le mouvement du futur" et le "PSP" region dans lesquelles les voix sunnites et druzes ont un poids électoral non négligeable.
  • Il est un autre facteur d'une grande importance est que les Forces Libanaises ont exploité dans l'inconscient chrétien la rhétorique qui sous-entend qu'ils sont la seule formation chrétienne prête, en cas de nécessité à pouvoir utiliser la force face aux autres formations confessionnelles armées en particulier le Hezbollah»!.

 

  • Le «duopole chrétien» partage avec le «tandem chiite» le même discours adressé aux deux milieux confessionnels:

"Nous constituons la seule garantie d'auto-préservation confessionnelle pour l'obtention des droits communautaires."

Les deux partenaires partagent également le fait qu'ils sont «frères et ennemis» (vu l'historique conflictuel entre les deux parties dans chacun des duopole - ( la «guerre d'élimination» chrétienne et la «guerre du Iklim et Kharoub» dans l'arène chiite).  Deux conflits qui occupent encore la mémoire de chacune des communautés !).

Sauf que la différence principale entre les deux est que le tandem chiite est regit par une décision iranienne et des calculs régionaux, alors que le duopole chrétien n'a aucun soutien régional ou international sinon qu'il est basé sur des calculs locaux. Ainsi le duopole chrétien, tel qu'il se présente, est «un projet bilatéral inachevé» et il est donc sujet à de nombreuses évolutions. Si le différend au sein des deux pôles chiites était sous contrôle lors des récentes élections, tout en préservant des marges à chacune des parties, le conflit du duopole chrétien s'étalait en public et pourrait même ressembler à un «divorce à certains moments».

 

  • Il reste à préciser que si les résultats des dernières élections ont complètement neutralisé les indépendants au sein de la communauté chiite, ils ont porté un coup sévère à ceux de la communauté chrétienne, à la différence près que la relative nature de la position chrétienne actuelle est "bancale", le pluralisme "reste plus enraciné dans ce milieu".

 

III - Les faits et les indicateurs de la bataille dans le milieu sunnite.

 

  • Nous pouvons affirmer que ces élections ont vu un changement radical dans le discours politico-électoral du Mouvement du Futur.

Ainsi le discours transcommunautaire, qui était adoptée au cours des élections de 2005 et 2009, et en particulier à l'époque du Premier ministre martyr Rafik Hariri, a laissé la place à un discours communautaire, et même confessionnel, défensive et agressif semblable à celui du Hezbollah du camp opposé.

Cette transformation est tout à fait compréhensible à la lumière du siège extraordinaire auquel Saad Hariri a été soumis avant et après le récent "compromis", de sorte que son leadership a était sérieusement menacé.

Dans de pareilles situations, les dirigeants libanais, pour ne pas dire tous, ont recours à un mécanisme de défense bien connu: réduction confessionnelle au sein de leur parti, et la réduction du parti a son leader, de sorte que l'affaire devient existentielle et fatidique.

On peut dire que ce changement dramatique dans le discours du courant du Futur, y compris celui de Saad Hariri personnellement, suggère fortement un changement total de la situation politique libanaise, passant d'un conflit de choix majeurs, particulièrement avant et après l'Intifada de l'Indépendance de 2005 à un conflit communautaire: la politique de "survie!" Le conflit ne porte plus sur "les choix pour le Liban", mais sur la survie des communautés et de son leadership. Nous n'excluons pas le Hezbollah.

 

  • Traditionnellement «Ahl al-Sunna wa al-Jama'a» au Liban qui ne se considérait pas comme une «communauté», comme les autres communautés libanaises, se comporte finalement comme l'une des 17 autres, et ce indépendamment de leur «nombre et de leur étendue».

Si nous enregistrons cette observation préliminaire et «surprenante», cela ne nous empêche pas de dire que les mécanismes d'autodéfense utilisés par les dirigeants sunnites dans ces élections ont atteint leur but. Ils ne se différencient pas qualitativement de celui que les deux camps chiites et chrétiens ont réalisé chacun dans leur milieu.

 

  • Le leadership sunnite demeure entre les mains Saad Hariri, bien qu'il n'ait pas réussi à annuler certains de ses adversaires. Ceci est dû à l'absence d'une autre «autorité de maintien» dans cette communauté, tout comme dans les milieux chiites et druzes. Ainsi, la loi électorale a permi de soi-disante «percées» dans la communauté sunnite, contrairement à ce que nous avons vu chez les chiites.

 

  • Si nous notons que le succès d'opposants traditionnels au leadership sunnite (Mikati, Karami, etc.) indique l'absence d'autorité de maintien, l'échec de l'opposition qui émane du sein même du Mouvement du Futur (comme Ashraf Rifi par exemple) est l'indicateur le plus important.

 

  • L'un des point clés de le contexte sunnite au cours de ces élections est le manque d'idéologie extrémiste. Ce qui prouve que la «modération» reste la position dominante dans cette communauté.

 

IV - Les faits de la bataille et ses indicateurs dans le milieu druze.

 

  • Les résultats n'ont pas créé de surprises et ont été tels qu'attendus dans cette communauté, notamment en termes de stabilité du leadership de Joumblatt, et ce avec toutes les marges choisies par ce leadership et mises à sa disposition, y compris les marges de manœuvres et d'inspirations ... En respect au choix d'autosuffisance communautaire adopté après les événements de mai 2008.
  • Ceci indique un signe de stabilité, semblable à ...:: la transition du leadership (au cours de la campagne électorale) a Taymour Joumblatt d'une manière très douce, et l'absence de Walid Joumblatt qui n'a pas eu besoin d'avoir recours un discours communautaire.
  • Cette situation renouvelée lui permet de reprendre son jeu favori («l'œuf du kabban»), quand il trouve le moment disponible, et ce s'il ne préfère pas rester regarder couler le fleuve.

 

V- La soi-disante «société civile».

 

  • Cette «société» inconnue et méconnue, ni pragmatique ni théorique, a été marginalisée dans toutes les régions.
  • Rejetant toute position politique, sauf le slogan «tous c'est à dire tous», il s'est perdue dans le tourbillon de la polarisation communautaire et partisane.
  • Il serait possible à ce mouvement d'être présent politiquement dans le futur, à condition qu'il se fasse connaître et ce malgré toutes les sensibilités civiles ...

 

               Conclusions préliminaires

 

  • La principale conclusion de cette campagne électorale est que la vie politique libanaise est passée en dessous du seuil national. En d'autres termes, les méthodes, intérêts et priorités des grandes forces politiques qui y ont participé sont un prélude d'une transition de l'idée du vivre-ensemble à celle d'une coexistence communautaire
  • Le retrait des principales forces politiques vers leurs intérêts communautaires et partisans met le Liban sur le bord du conflit régional, incapable de participer à son autodétermination, et ce faute d'un consensus national (seul le consensus communautaire prévaut) ... D'où l'option "d'apaisement et de refroidissement" que certains suggèrent reste le meilleur disponible - et ce si les forces en présence ne poursuivent pas leurs batailles après les élections - sachant que cette option ne peut qu'être un pis-aller.
  • Le plus grand perdant de cette élection est «l'idée du vivre-ensemble a la libanaise », avec toutes ses ramifications, qui ne sont plus de que simples bavardages dans la bouche de «conférenciers de la vertu nationale» ... Les forces politico-communautaires qui ont combattu sous le slogan «nous ou personne! sont toutes ressorties gagnantes, selon leurs perceptions et priorités, et non selon les priorités nationales.
  • Nous avons la conviction que tout effort de salut qui sera dans la bonne direction doit respecter trois termes de référence:
  • la constitution libanaise et l'accord de Taëf, les résolutions arabes et internationales en relation avec la souveraineté de l'État libanais et le projet de paix dans la région.. En dehors de ce cadre, on ne se se retrouvera que face à plus de la même chose...