Appel pour un renouveau chrétien

Appel pour un renouveau chrétien

Dr Fares Souhaid et Mr Samir Frangieh

« Le Liban vit sous la menace d'une reprise de la guerre civile, une guerre civile qui opposerait cette fois musulmans sunnites et musulmans chiites non seulement au Liban, mais également dans le monde arabe. Cette guerre, si elle a lieu, signifierait la fin du Liban.

Nous avons, en tant que chrétiens, la responsabilité de tout mettre en œuvre pour empêcher une nouvelle descente aux enfers et bâtir un avenir de paix.

Pourquoi sommes-nous appelés à mener cette bataille dont l'issue est déterminante pour l'avenir du Liban?

Parce que la guerre qui s'annonce nous concerne au même titre qu'elle concerne les communautés musulmanes. "Nous faisons partie intégrante, comme le soulignent les patriarches catholiques d'Orient, de l'identité culturelle des musulmans, de la même manière que ces derniers font partie intégrante de l'identité culturelle des chrétiens". Et nous sommes, de ce fait, "responsables les uns des autres devant Dieu et devant l'histoire".

Pouvons-nous mener cette bataille ? Oui ! Nous pouvons le faire.

• Nous pouvons le faire parce que nous avons, historiquement, joué un rôle d'avant-garde dans la promotion du vivre-ensemble et cela en participant activement, dès le XIXe siècle, à la Renaissance arabe, la Nahda, puis en rejetant en 1920 l'idée d'un "foyer national chrétien", et, enfin, en refusant en 1943 le maintien du mandat français sur le Liban.
• Nous pouvons le faire parce que nous avons été les premiers, après la rupture occasionnée par la guerre de 1975, à œuvrer en vue de rétablir le vivre-ensemble islamo-chrétien, et cela en initiant, avec l'Exhortation apostolique (1997), un travail de "purification de la mémoire".
• Nous pouvons le faire parce que nous avons été les premiers dans ce monde arabe, avec l'appel des évêques maronites (septembre 2000), à mener bataille contre les régimes de dictature, préparant le terrain à la révolution du Cèdre (2005), premier signe annonciateur du printemps arabe (2011).
• Nous pouvons le faire parce que nous avons été les premiers dans ce monde arabe à prôner, avec le synode patriarcal maronite (2006), l'établissement d'un État civil pour refonder le vivre-ensemble aux conditions de l'État et non plus aux conditions d'une communauté.

Ce rôle historique est aujourd'hui remis en question par des forces politiques pour qui la politique se réduit désormais à une simple lutte pour le pouvoir. Le revirement d'une partie des chrétiens qui, après avoir mené la bataille de l'indépendance, a rejoint le camp syro-iranien qu'elle avait combattu, le soutien apporté, au nom de la protection des minorités, à la dictature syrienne, le choix par la majorité des partis chrétiens d'une loi électorale – dite orthodoxe – qui ramène le pays à la situation qui existait avant la création du Grand Liban, les conflits suscités par l'élection d'un nouveau président de la République illustrent l'ampleur de la régression faite depuis 2005.

Pour mettre un terme à cette régression et au danger qu'elle représente pour notre avenir au Liban et dans la région, il nous faut revenir au message qui a fondé notre spécificité dans cette partie du monde.

Nous nous battons depuis bientôt un siècle pour défendre l'idée que nous pouvons vivre ensemble, chrétiens et musulmans, égaux dans nos droits et nos devoirs et différents dans nos appartenances religieuses.

Nous avons réussi à créer un modèle libanais du vivre-ensemble, qui prend aujourd'hui, avec la violence qui ravage notre région et commence à s'étendre à l'Europe, une dimension nouvelle, à cause du caractère exceptionnel de cette expérience où, fait unique dans le monde, chrétiens et musulmans sont associés dans la gestion d'un même État et où, fait unique dans le monde musulman, sunnites et chiites sont également partenaires dans la gestion d'un même État.

Sur base de ce qui précède, nous appelons les chrétiens du Liban à assumer leurs responsabilités et à revenir à l'essence du message évangélique, qui est d'apprendre aux hommes à vivre ensemble et en paix, et à rejeter toute instrumentalisation de la religion visant à créer des identités closes, qui très vite se transforment, comme l'a montré l'expérience de la guerre, en "identités meurtrières".

Nous les appelons à dépasser les frontières confessionnelles établies pour unifier les efforts entre modérés de toutes les communautés face aux extrémistes de toutes les communautés, et créer un filet de sécurité qui protégera le Liban des répercussions des conflits en cours dans la région.

Nous les appelons à tisser des liens avec les chrétiens arabes pour réfléchir avec les musulmans qui luttent contre l'extrémisme et l'intolérance, sur les moyens de jeter les bases d'un Machreq du vivre-ensemble entre les peuples qui le constituent et dont la diversité religieuse et ethnique doit être une source de richesse pour chacun et pour tous.

Nous les appelons à tisser des liens avec les forces modérées en Europe qui luttent contre l'islamophobie et toutes les formes de rejet de l'autre pour promouvoir une nouvelle vision de la Méditerranée, une Méditerranée du vivre ensemble entre les peuples qui bordent ses rives. Car celle-ci demeure aujourd'hui "la mer de toutes les fractures", entourée de conflits majeurs porteurs de ségrégations religieuses et de purifications ethniques et nationales dont nul n'est plus à l'abri. »