Déclaration de Marrakech

Déclaration de Marrakech
الأربعاء 27 يناير, 2016

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux

 

Louange à Dieu, Seigneur de l’univers, paix et salut sur notre Maître Mohammed, sur ses

frères les Prophètes et les Envoyés de Dieu et sur sa famille et tous ses compagnons.

Compte tenu de la détérioration de la situation qui sévit dans différentes régions du monde

Islamique, en raison du recours à la violence et aux armes pour régler les différends et imposer

des opinions et des choix,

 

Vu que cette situation a conduit à l’affaiblissement ou à la dislocation du pouvoir central dans

certaines régions, qu’elle, a en outre, favorisé la montée en puissance de groupements

criminels, dénués de toute légitimité scientifique (intellectuelle) ou politique et qui se sont

arrogés le droit d’édicter des règles en les imputant à l’Islam, d’appliquer des concepts qu’ils

ont sortis de leur contexte et dissociés de leurs desseins initiaux, et de s’en prévaloir pour se

livrer à des agissements néfastes pour toutes les couches de la société,

Vu les effets de cette situation sur les minorités, qui subissent massacres, asservissements,

déracinements et autres horreurs et humiliations, alors qu’elles avaient vécu, des siècles

durant, au sein des musulmans et sous leur protection, dans un climat de tolérance, de

coexistence et de fraternité, dûment consigné par l’histoire, et attesté par les chroniqueurs

scrupuleux de la vie des nations et des civilisations,

Vu que ces forfaits sont perpétrés au nom de l’Islam et en invoquant perfidement Dieu le

Très-Haut et le Prophète de la miséricorde, paix et salut sur lui, en calomniant plus d’un

milliard d’êtres humains, dont la religion et la réputation ont été stigmatisées et perverties, et

qui suscitent désormais la répulsion et la haine, alors qu’ils subissent eux-mêmes les affres de

ces crimes.

En vertu du devoir d’explication et d’exégèse dont Dieu a confié la charge aux oulémas,

surtout en cette période critique de l’histoire de la Oumma islamique, afin de revivifier la

quête de la vertu infaillible, de préserver la paix entre les humains, de veiller à l’exigibilité des

droits entre les humains, et de rétablir l’image authentique de notre sainte religion, d’éclairer

l’ensemble de la Oumma et de la mettre en garde contre les menaces que ces crimes, drapés de

couverture religieuse, font peser sur son unité, sa stabilité, et ses intérêts supérieurs, à court

terme et à longue échéance;

1400 ans environ, après la parution de «Sahifat al Madina», dans la ville du Royaume

chérifien du Maroc, Marrakech et sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed

VI, Roi du Maroc, pays qui, avec ses dirigeants et peuple, s’est de tout temps affirmé comme

un modèle et une source d’inspiration, en matière de protection des droits des minorités

religieuses et de préservation d’un riche patrimoine historique marqué du sceau de la

tolérance, du vivre ensemble et le brassage entre les musulmans et ceux qui ont en partagé

avec eux l’appartenance à la même patrie ou qui se sont réfugiés auprès d’eux pour fuir la

persécution religieuse ou l’injustice et l’oppression sociales.

Dans une rencontre organisée conjointement par le Ministère des Habous et des Affaires

islamiques et le Forum pour la Promotion de la Paix dans les Sociétés Musulmanes (Emirats

Arabes Unis) organisent à Marrakech, du 14 au 16 Rabi’ al-Thânî 1437, correspondant aux

25-27 janvier 2016,

 

Plus de 300 personnalités, Oulémas, intellectuels, ministres, muftis, et chefs religieux

musulmans, de différents rites et tendances, se sont réunis, en présence de leurs frères

représentant les religions concernées et d’autres, au sein du monde islamique, et en dehors,

ainsi que les représentants des instances et des organisations islamiques et internationales, de

plus de 120 pays, convaincus de la noblesse de cette démarche, et conscients de la gravité des

enjeux,

Au terme de débats riches et féconds et les échanges d’idées et d’avis, les oulémas et les

penseurs musulmans participant à cette conférence, soutenus par leurs frères des autres

religions, déclarent ce qui suit:

« Déclaration de Marrakech sur les Droits des Minorités

Religieuses dans le Monde Islamique »

I- Rappel des principes universels et des valeurs fédératrices (ou consensuelles)

prônées par l’Islam:

1- L’ensemble des humains, dans la diversité de leurs ethnies, leurs couleurs, leurs

langues, et leurs croyances ont été honorés par Dieu qui a insufflé de son esprit dans

leur père Adam – paix sur lui: «Assurément, Nous avons honoré les enfants

d’Adam» (Al-Isrâ’, 70).

2- Honorer l’homme, c’est lui accorder le droit de choisir comme le rappelle le saint

Coran: «Nulle contrainte en religion» (Al-Baqara), 256). «Si Dieu l’avait voulu,

ceux qui sont sur terre croiraient tous ; forces-tu les gens à devenir des

croyants?!» (Yûnus, 99).

3- Les hommes, indépendamment de leurs différences naturelles, sociales et

intellectuelles, sont des frères en vertu de leur humanité, comme le dispose la parole

divine: « ô vous hommes! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle.

Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous

connaissiez entre vous» (Al-Hujurât, 13).

4- Dieu Tout-Puissant a créé les Cieux et la Terre en se fondant sur le principe de justice.

Celui-ci a été érigé en norme de conduite pour tous les humains afin de prévenir toute

tentation de haine et de violence. Par ailleurs, Dieu a exhorté à la bienfaisance qui

favorise l’amitié et la cordialité, comme décrété dans le verset suivant: «Oui, Dieu

ordonne l’équité, la bienfaisance et la libéralité envers les proches parents».

(An-nahl, 90).

5- La paix est la devise de l’Islam et la finalité suprême de la Loi sacrée pour ce qui

touche à la vie des hommes, comme indiqué dans les deux versets: «ô vous qui

croyez! Entrez tous dans la paix» (Al-Baqara, 208) et «s’ils inclinent à la paix,

fais de même; confie-toi à Dieu» (Al-Anfâl, 61).

6- Dieu le Très-Haut a envoyé sidna Mohammed, paix et salut sur lui, comme une

miséricorde aux mondes, comme cela est précisé dans la parole de Dieu: «Nous

t’avons seulement envoyé comme une miséricorde aux mondes». (Al-Anbiyâ’,

107).

7- L’Islam incite à la charité et à la bienveillance envers autrui, sans distinction entre

partisans ou adversaires en matière religieuse. A ce propos, Dieu a dit: «Dieu ne vous

interdit pas d’être bons et équitables envers ceux qui ne vous ont pas

combattus à cause de votre foi, ceux qui ne vous ont pas expulsés de vos

maisons. Dieu aime ceux qui sont équitables». (Al-Mumtahana, 08).

8- La Loi islamique tient au respect des contrats, des engagements et des traités qui

garantissent la paix et la coexistence entre les hommes, comme en témoignent les

versets suivants: «ô vous qui croyez! Respectez vos engagements» (Al-Mâ’ida, 1),

«Soyez fidèles à l’alliance de Dieu après l’avoir contractée» (An-nahl, 91) et le

Hadith du Prophète: «l’Islam ne fait que conforter toute alliance scellée du temps de la

Jahiliya» (Hadith authentique).

II- La Charte de Médine, une base de référence pour garantir les droits des minorités

religieuses en terre d’Islam:

9- Rédigée par Sidna Mohammed, paix et salut sur lui, pour être la Constitution d’une

société multiethnique et pluriconfessionnelle, la «Charte de Médine» incarnait les

principes coraniques majeurs et les grandes valeurs islamiques.

10- La réalité de ce document est attestée par les illustres imams de la Oumma.

11- La «Charte de Médine», comparativement aux références qui lui sont antérieures et

postérieures dans l’histoire de l’Islam et dans l’histoire du monde, puise sa singularité

dans:

a- Sa vision universelle de l’Homme en tant qu’être honoré n’évoque ni minorité ni

majorité, mais renvoie à l’idée de l’existence de diverses composantes au sein d’une

seule nation (en d’autre terme citoyens).

b- Le fait que la Charte de Médine n’est pas la conséquence de guerres ou de luttes,

mais qu’elle découle, plutôt, d’un contrat entre des communautés vivant

initialement en bonne intelligence et dans la paix.

12- Cette Charte ne contredit pas le texte canonique, pas plus qu’elle n’est abrogée vu que

ses contenus sont l’expression tangible des finalités suprêmes de la Loi sacrée. En effet,

chaque clause de la Charte induit l’idée de miséricorde, de sagesse, de justice ou

d’intérêt communautaire.

13- Dans le processus de la civilisation contemporaine, la «Charte de Médine» est

qualifiée pour fournir aux musulmans une base de référence fondatrice de la

citoyenneté: C’est l’archétype d’une citoyenneté contractuelle et d’une Constitution

juste pour une société dotée d’un pluralisme ethnique, religieux et linguistique,

solidaire, et dont les membres jouissent des mêmes droits, accomplissent les mêmes

devoirs et appartiennent à une même nation, indépendamment de leurs différences.

14- Que cette Charte ait été la référence pour notre contexte et notre époque, ne signifie

nullement, que d’autres systèmes manquaient d’esprit de justice.

15- Les dispositions de «la Charte de Médine» contiennent de nombreux principes de la

citoyenneté contractuelle, comme la liberté de culte, la liberté de mouvement, la liberté

de posséder des biens, le principe d’entraide publique et celui de défense commune. A

cela s’ajoute le principe d’égalité devant la loi (…les Juifs de Bani Ouaf ne font qu’une

communauté avec les croyants; les Juifs ont leur religion, et les musulmans la leur et

celle de leurs alliés. ils doivent s’allier les uns aux autres contre quiconque se bat

contre la Gens de la Charte. Ils doivent se conseiller mutuellement, agir

charitablement les uns envers les autres et se garder de toute iniquité. Aucun individu

n’est comptable des agissements de son allié. Aide et assistance sont dues à la partie

lésée).

16- Les finalités de «la Charte de Médine» constituent un cadre idoine pour les

Constitutions nationales des pays à majorité musulmane. Ce référentiel est en accord

avec la Charte des Nations Unies et ses annexes comme la Déclaration des Droits de

l’Homme, avec respect de l’ordre public.

III- De la mise au point conceptuelle et l’exposé des fondements méthodologiques

de la position canonique concernant les droits des minorités :

17- La position canonique, tant en la matière que pour d’autres questions, s’appuie sur

un ensemble de fondements méthodologiques dont la méconnaissance, intentionnelle

ou non, crée de l’amalgame et de l’ambiguïté et déforme les vérités. En voici quelques

uns :

a- La nécessité de prendre en considération les principes généraux de la Loi divine

comme la sagesse, la miséricorde, la justice et l’intérêt et de privilégier l’approche

globale qui relie les textes canoniques les uns aux autres sans pour autant négliger

les parties dont se compose le corpus dans sa globalité.

b- Les parties habilitées à pratiquer l’ijtihad doivent tenir compte du contexte dans

lequel ont été révélées les prescriptions canoniques partielles, ainsi que des

contextes contemporains. Il leur incombe de relever les ressemblances et les

dissemblances qui existent entre ces différents contextes, en vue d’une application

adaptée desdites prescriptions. Il leur appartient aussi d’inscrire chaque

prescription dans le cadre qui lui convient, de manière à ce que les concepts ne

s’inversent pas, et que leurs finalités ne s’en trouvent pas perverties.

c- Il convient de prendre en considération le lien organique qui existe entre l’énoncé

prescriptif et celui qui en établit le contexte: En d’autres termes, considérer les

dispositions prescriptives dans leur corrélation avec le contexte matériel et humain

dans lequel s’accomplissent les obligations prescrites. C’est pour cela que les

docteurs de loi musulmans ont instauré la règle fondamentale suivante: il est

indéniable que les dispositions changent selon les époques.

d- Mettre en évidence le lien entre les commandements et les interdits d’une part et le

système des intérêts et des risques de dégât : Dans la Loi sacrée, il n’est de

commandement ou d’interdit qui ne soit destiné à produire un effet bénéfique ou à

prévenir un préjudice.

18- De nombreuses interprétations doctrinales portant sur la relation avec les minorités

religieuses se sont fondées sur des pratiques historiques dictées par un contexte et une

réalité autres que la conjoncture actuelle. Les pratiques historiques étaient dominées

essentiellement par le paradigme des luttes et des guerres.

19-Chaque fois que nous apprécions les diverses crises qui menacent l’humanité, notre

conviction se renforce pour la nécessité de coopérer entre toutes les religions et

l’impératif de son urgence. Cette coopération fondée sur des actes et pas seulement sur

des vœux généraux de concordance et de respect. Cette coopération, enfin, doit être

fondée sur l’engagement de respecter scrupuleusement les droits et libertés, avec

l’obligation de les inscrire dans le cadre de la loi au niveau de chaque pays. Il est

insuffisant d’édicter des règles relationnelles, il est exigé, avant tout, d’avoir un

comportement civique qui exclu toute forme de contrainte de fanatisme et

d’arrogance.

Compte tenu de ce qui précède, les conférenciers invitent:

a - Les Ouléma et les penseurs musulmans à s’investir dans la démarche visant à ancrer le

principe de citoyenneté, qui englobe toutes les appartenances, en procédant à une bonne

appréciation et à une révision judicieuse du patrimoine du fiqh et des pratiques

historiques, et en assimilant les mutations qui se sont opérées dans le monde.

b - Les institutions académiques et les magistères religieux à réaliser des révisions

courageuses et responsables des manuels scolaires, de sorte à corriger les distorsions

induites par cette culture en crise qui, outre l’incitation à l’extrémisme et à l’agressivité,

alimente les guerres et les dissensions et sape l’unité des sociétés.

c - Les politiciens et les décideurs à prendre les mesures constitutionnelles, politiques et

juridiques nécessaires pour donner corps à la citoyenneté contractuelle et appuyer les

formules et les initiatives visant à raffermir les liens d’entente et de coexistence entre les

communautés religieuses vivant en terre d’islam.

d - Les intellectuels, les créateurs et les composantes de la société civile à favoriser

l’émergence d’un large courant social faisant justice aux minorités religieuses dans les

sociétés musulmanes et suscitant une prise de conscience quant aux droits de ces

minorités. Il leur revient aussi d’œuvrer sur les plans intellectuel, culturel, éducatif et

médiatique pour préparer un terrain propice à l’éclosion de ce courant social.

e - Les différentes communautés religieuses unies par le même lien national à soigner les

traumatismes mémoriels nés de la focalisation sélective mutuelle sur des faits particuliers

et l’occultation de siècles de vie commune sur une même terre. Elles sont également

appelées à reconstruire le passé par la revivification du patrimoine commun et à tendre les

passerelles de la confiance, loin des tentations d’excommunication et de violence.

f – La communauté internationale à édicter des lois criminalisant les offenses aux

religions, les atteintes aux valeurs sacrées et tous les discours d’incitation à la haine et au

racisme.

 

En conclusion, les participants déclarent que :

Il n’est pas autorisé d’instrumentaliser la religion aux fins de priver les minorités

religieuses de leur droits dans les pays musulmans.