Par Georges Malbrunot, LE FIGARO
ANALYSE - Lors de son premier mandat, Trump avait retiré les États-Unis de l’accord international sur le nucléaire iranien et avait imposé des sanctions contre les exportations de pétrole du pays.
D’abord, il y eut l’indifférence, feinte. « La vie des Iraniens ne sera pas affectée par les élections américaines », a réagi dans un premier temps à la victoire de Donald Trump la porte-parole du gouvernement, Fatemeh Mohajerani. « Ce n’est pas vraiment nos affaires », ajouta-t-elle, quelques heures après l’annonce du retour fracassant de l’ennemi juré de la République islamique. Sous-entendu : l’Iran est fort, son régime est stable et nul ne peut y porter atteinte.
Puis, comme souvent dans ce pays où l’on cultive l’art du clair-obscur, le jugement s’est affiné, et jeudi le principe de réalité a repris le dessus. Et la réalité de Donald Trump à la Maison-Blanche, c’est un scénario noir pour Téhéran, marqué par plus de sanctions encore pour freiner son programme nucléaire, voire des frappes américano-israéliennes contre ses installations nucléaires.
Pour conjurer ces sombres perspectives, Esmaïl Baghaï, le porte-parole de la diplomatie iranienne, a appelé jeudi Washington à «revoir les approches erronées du passé». Il fait notamment référence aux deux décisions de Donald Trump prises en 2018 au cours de son premier mandat qui ont affaibli le pouvoir iranien : le retrait de l’accord international sur le nucléaire, auquel les grandes puissances étaient laborieusement arrivées trois ans plus tôt pour brider les ambitions nucléaires de Téhéran, et dans la foulée l’imposition de sanctions contre ses exportations de pétrole– la vache à lait durégime–dans le cadre d’une politique de «pressions maximales» afin d’affaiblir ce dernier.
«Une situation différente»
Téhéran a de bonnes raisons de s’inquiéter du retour à la Maison-Blanche d’un homme qui renia la signature américaine. Mais loin d’avoir éloigné l’Iran de la bombe, la volte-face de Donald Trump l’en a au contraire rapproché. Et, face aux sanctions, Téhéran a trouvé en la Chine le pays qui lui permet d’écouler son pétrole à un niveau record cette année, grâce à la bénédiction de l’Administration Biden avec laquelle l’Iran négocia différents arrangements ces dernières années. Reste que dès le printemps, redoutant un retour du milliardaire républicain, le pouvoir iranien mit discrètement en place une « task force» chargée d’envisager ce scénario. Téhéran se souvient également qu’en janvier 2020, Donald Trump ordonna la liquidation à Bagdad de Qassem Soleimani, le tout-puissant général qui permit à l’Iran de développer son réseau de «relais» au Moyen-Orient. Réseau que Benyamin Netanyahou, qui s’est entretenu mercredi avec le nouveau président américain au sujet de «la menace iranienne», veut soumettre aujourd’hui, à commencer par le Hezbollah au Liban, sans oublier les milices chiites irakiennes et les rebelles yéménites houthistes.
Alors que les Iraniens se souviennent que la décision de Donald Trump en 2018 fit grimper les prix, réduisant leur pouvoir d’achat à cause d’une dépréciation de la monnaie, «la situation est désormais différente et Trump ne pourra plus isoler l’Iran et nuire à son économie», affirme jeudi le journal pro-gouvernemental, Iran.
«La nouvelle Administration Trump pourra-t-elle ressusciter sa politique de pressions maximales contre l’Iran dans un contexte de liens resserrés entre l’Iran, la Chine et la Russie?», s’interroge l’économiste d’origine iranienne Esfandyar Batmanghelidj, à Londres.
«Jusqu’où sera-t-elle prête à exercer une pression financière significative sur les institutions financières chinoises sans que celles-ci réagissent en se rapprochant des Brics et en réduisant leur dépendance au dollar dans les transactions pétrolières», renchérit Richard Nephew, ancien émissaire des États-Unis sur l’Iran. La clé est donc, en partie, à Pékin, la principale cible de la diplomatie Trump. «Les Chinois ont l’habitude de considérer l’Iran comme une variable d’ajustement dans leurs rapports de force avec Washington, constate un expert dans le Golfe. C’est pour cela que Téhéran s’en méfie.»
«Des pourparlers secrets»
Grâce à sa « task force» centrée sur Donald Trump, l’Iran a scruté ses déclarations de campagne. «J’ai été un utilisateur des sanctions contre des pays qui le méritent, mais j’essaie de les enlever aussi vite que possible, parce qu’au final, elles tuent le dollar et ce qu’il représente», affirma l’ancien président, en septembre, lors d’une conférence économique à New York. «Regardez, vous perdez l’Iran, vous perdez la Russie», ajouta celui qui déclare ne plus vouloir de guerres.
Juste après avoir voté mardi en Floride, Donald Trump déclara à une poignée de reporters qu’il ne «voulait pas endommager l’Iran, mais ils ne peuvent pas avoir des armes nucléaires». Comment l’en empêcher, alors que le pays est au seuil de posséder la bombe? Là encore, les responsables iraniens ont bien écouté les déclarations, parfois contradictoires, du candidat.
À l’automne, tout en assurant qu’il n’était pas prêt à entrer en guerre face à l’Iran, Trump déclara qu’«Israël devait mener une attaque préventive contre les installations nucléaires iraniennes», après les frappes iraniennes aux missiles contre des sites militaires israéliens, le 1er octobre. Le pouvoir à Téhéran craint que le nouveau président américain n’encourage Netanyahou à attaquer ses installations nucléaires ou à mener, comme dans le passé, des assassinats ciblés sur le territoire iranien.
En réponse, les options iraniennesse limitent à la diplomatie ou à l’intensification des attaques indirectes contre Israël, voire les États-Unis, menées par ses mandataires régionaux.
Des discussions indirectes en vue d’une détente entre les deux ennemis sont-elles inenvisageables? «L’Iran agira en fonction de ses propres intérêts, répond, à Téhéran, l’économiste Saeed Laylaz, Il est possible que des pourparlers secrets entre Téhéran et Washington se tiennent. Si les menaces contre la sécurité de la République islamique sont écartées, tout devient possible.»
«En pivotant ces dernières années vers la Chine économiquement et vers la Russie militairement avec la guerre en Ukraine, l’Iran s’est dit que lorsqu’il y aurait un règlement des différends entre les États-Unis et ces deux pays, il y aurait forcément un bout d’Iran dans les discussions», résume l’expert dans le Golfe. Afin d’éviter les cénario catastrophe.