Le déplacement du président américain à Pittsburgh, pour exprimer ses condoléances aux familles des onze victimes de la tuerie antisémite de samedi est loin de faire l'unanimité.
Le déplacement de Donald Trump à Pittsburgh, pour exprimer ses condoléances aux familles des onze victimes de la tuerie dans la synagogue Tree of Life samedi, la pire attaque antisémite sur le sol américain, est loin de faire l’unanimité. La Maison Blanche, via sa porte-parole Sarah Sanders, vient d'annoncer qu'il s'y rendrait ce mardi, à une semaine d’élections de mi-mandat à fort enjeu pour le camp républicain. Le rabbin de Tree of Life, Jeffrey Myers, a indiqué qu’il accueillerait le président américain, mais l’ancienne présidente de la synagogue meurtrie, Lynette Lederman, a indiqué sur CNN que le président n’était «pas le bienvenu» dans sa ville. «Il est la source de ces discours de haine. Les mots hypocrites qui sortent de sa bouche n’ont pas de valeur pour moi. Des gens nous soutiennent et croient en nos valeurs, et pas seulement des valeurs juives. Ce ne sont pas les valeurs du président, et je ne l’accueillerai pas à Pittsburgh», a-t-elle indiqué sur CNN.
Dans une lettre adressée dimanche au président américain, onze leaders juifs de l’organisation Bend the Arc: A Jewish Partnership for Justice, ont également fait savoir que Donald Trump n’était pas le bienvenu à Pittsburgh «aussi longtemps qu’[il] ne dénoncer[a] pas le nationalisme blanc» et tant qu’il ne cessera pas ses attaques visant «toutes les minorités»: «Ces trois dernières années, vos mots et vos politiques ont encouragé un mouvement nationaliste blanc en pleine croissance, écrivent-ils. Vous qualifiez le meurtrier de diabolique, mais la violence de [samedi] est l’aboutissement direct de votre influence», assènent-ils. Après les événements de Charlottesville, en août 2017, Trump avait par exemple renvoyé dos à dos manifestants suprémacistes et contre-manifestants - l’un des premiers ayant mené une attaque à la voiture-bélier, provoquant la mort d’une contre-manifestante et fait 19 blessés.
Les auteurs de la lettre rappellent que «la communauté juive n’est pas le seul groupe» que le président a ciblé. «Vous avez aussi délibérément ébranlé la sécurité des gens de couleur, des musulmans, de la communauté LGBTQ, des handicapés. Le massacre de samedi n’est pas le premier acte de terrorisme contre une minorité dans notre pays que vous avez encouragé.» Les leaders de la communauté juive font également le lien entre les propos du tireur de samedi, Robert Bowers, un Américain de 46 ans, contre le travail du Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS), une association d’aide aux réfugiés initiée par la communauté juive, et la rhétorique de Trump sur la caravane de migrants centraméricains, qui traverse actuellement le Mexique pour demander l’asile à la frontière américaine. Ils seraient, selon le président américain qui n’a apporté aucune preuve pour étayer ses propos, infiltrés par des criminels et financés par des figures démocrates. «Vous avez propagé des mensonges et semé la peur à propos de familles migrantes venues d’Amérique centrale. Il a tué des juifs dans le but de saper les efforts de ceux qui estiment partager la même humanité avec les immigrants et les réfugiés», lit-on dans la lettre.
Le massacre de samedi intervient dans un climat extrêmement tendu aux Etats-Unis, entre les attaques incessantes et complotistes de Donald Trump à propos de la caravane de migrants, jugées démagogiques à quelques jours des midterms, et l’affaire des colis piégés, envoyés la semaine dernière à des médias et des personnalités démocrates, cibles récurrentes des diatribes du président Trump. Cesar Sayoc, l’homme soupçonné d’avoir envoyé au moins treize bombes artisanales interpellé vendredi, est un farouche supporter de Donald Trump. Sur les réseaux sociaux, il reprenait à son compte la rhétorique incendiaire du président américain, contre les mêmes cibles.
Tandis que l’opposition dénonce un chef de l’exécutif coupable de souffler sur les braises et de désigner des boucs émissaires à des fins électoralistes, l’administration Trump cherche à détourner l’attention. La fusillade de Pittsburgh conjugue en effet plusieurs thèmes fortement défavorables pour le président : outre sa rhétorique haineuse et complotiste, survient, à nouveau, la question du contrôle des armes, sujet sensible pour une partie de l’électorat républicain. Le président a, de nouveau, tenté de faire porter la faute sur les médias, lundi matin: «Il y a une grande colère dans notre pays, causée en partie par la couverture médiatique imprécise, et souvent frauduleuse, de l’actualité, a-t-il tweeté. Les médias Fake News, les vrais Ennemis du Peuple, foivent cesser leur hostilité évidente et couvrir l’actualité de façon précise et juste. Cela contribuera à éteindre la flamme de colère et d’indignation et nous serons capables de nous rassembler dans la Paix et l’Harmonie.»
There is great anger in our Country caused in part by inaccurate, and even fraudulent, reporting of the news. The Fake News Media, the true Enemy of the People, must stop the open & obvious hostility & report the news accurately & fairly. That will do much to put out the flame...
Lors de sa conférence de presse lundi après-midi, Sarah Sanders a rappelé, la voix brisée, que le président américain comptait plusieurs membres de sa famille de confession juive (notamment son gendre Jared Kushner, et sa fille, qui s'est convertie au judaïsme). Interrogée sur le climat actuel, la porte-parole est allée dans le même sens que Trump: «La première réaction du président a été de condamner ces actes de haine. La première réaction des médias a été de condamner le président.» Quant aux attaques répétées du président américain contre des figures démocrates, notamment contre la représentante de Californie Maxine Waters, l'une des destinataires des colis piégés, Sarah Sanders a affirmé qu'il ne fallait «pas oublier que ces mêmes Démocrates ont fréquemment attaqué le président. Le président continuera à riposter.»
La justification la plus absurde est néanmoins venue de Kellyanne Conway, la conseillère de Donald Trump (à l’origine du concept de «réalité alternative» après l’investiture du président américain), lundi matin sur Fox News. Elle a accusé les «humoristes» des late-night shows, ces émissions du soir animées par des comédiens aux messages anti-Trump, d’être la cause du «sentiment anti-religieux dans ce pays, qui est un peu à la mode ces derniers temps».
Par Isabelle Hanne, correspondante à New York — 29 octobre 2018