La communauté arabe a longtemps soutenu les démocrates durant les élections, mais la guerre menée par Israël à Gaza et au Liban change la donne.
Par Bastien Bouchaud, LES ECHOS
Les enseignes en arabe sont aussi nombreuses que celles en anglais le long de Warren Avenue, l’une des grandes artères commerçantes de Dearborn, dans le Michigan. Des deux côtés de la rue, les boulangeries-pâtisseries libanaises, les kebabs irakiens, les cafés yéménites et les restaurants méditerranéens s’enchaînent. Cette banlieue cossue de Detroit est la plus grande ville à majorité arabe des Etats-Unis. La guerre menée par Israël à Gaza depuis un an, et sa récente extension au Liban, a un écho particulier ici où de nombreux migrants originaires des territoires palestiniens se sont installés.
Le soutien inconditionnel de l’administration Biden aux opérations offensives d’Israël est vécu comme une trahison dans cette ville généralement acquise aux démocrates. Donald Trump a senti une opportunité, et il ne manque pas à chaque passage au Michigan de se montrer en compagnie de membres de la communauté, notamment le maire d’origine yéménite d’Hamtramck, Amer Ghalib, une autre banlieue de Detroit.
A Dearborn, ce qui se passe au Moyen-Orient est dans tous les esprits. « Nous avons le choix entre pire et encore pire », résume un résident à propos de l’élection présidentielle. Il s’est récemment mis à vendre des drapeaux et des tee-shirts arborant le cèdre libanais depuis le coffre de sa voiture pour aider ceux qui sont sur place. Lui semble résigné à voter pour Kamala Harris, compte tenu de l’alternative, mais d’autres sont plus ambivalents, voire franchement hostiles vis-à-vis de la candidate démocrate.
« Je suis déçu par mon parti »
Abed Hammoud, le fondateur du Comité d’action politique arabo-américain (AAPAC), fait partie de ceux-là. Parti du Liban, il est arrivé aux Etats-Unis au début des années 1990 après un passage en Auvergne où il a décroché un diplôme d’ingénieur. Il s’est reconverti dans le droit une fois installé à Dearborn où il a rejoint ses parents. « J’ai de la famille, des amis, des collègues au Liban, la famille de ma femme y est, tous les matins on prie, on attend des nouvelles », confie-t-il. « J’ai été un démocrate toute ma vie », explique-t-il, mais il est écœuré aujourd’hui par le soutien inconditionnel de l’administration Biden, et par extension de Kamala Harris, à Israël et à son Premier ministre Benyamin Netanyahou.
« Je suis déçu par mon parti », dénonce-t-il, évoquant un sentiment de « trahison ». Kamala Harris ne s’est pas rendue à Dearborn, elle n’a pas répondu aux demandes du mouvement des « Uncommitted », même les plus anodines comme de laisser la parole à un américain d’origine palestinienne lors de la Convention. Lorsqu’elle a été interrompue début août lors d’un meeting dans le Michigan par des militants anti-guerre, elle leur a répondu : « Si vous voulez que Donald Trump gagne, continuez. »
« Ils pensent qu’ils peuvent se passer de nos votes, on va voir », assure Abed Hammoud, combatif, expliquant vouloir leur « apprendre une leçon ». « Je vais tout faire pour convaincre toute la communauté de ne pas donner un vote pour Harris. Mon but aujourd’hui, c’est qu’elle perde au Michigan et au niveau A Dearborn, ce qui se passe au Moyen-Orient est dans tous les esprits. « Nous avons le choix entre pire et encore pire », résume un résident à propos de l’élection présidentielle. Il s’est récemment mis à vendre des drapeaux et des tee-shirts 2 national », insiste-t-il. Quitte à mobiliser l’AAPAC, qu’il a fondé en 1998 et qui a généralement soutenu les candidats démocrates, contre elle. En 2020, le comité avait envoyé plus de 50.000 lettres et mobilisé des dizaines de volontaires pour encourager la communauté à voter. Quant à Donald Trump, « je ne sais pas ce qu’il peut faire, Kamala Harris on le sait », estime-t-il, jugeant que le « “muslim ban”, ce n’est rien à côté des tueries en cours ».
Le conflit palestinien menace de défaire des années de bonnes relations entre la communauté arabe et les démocrates. Le maire de Dearborn, la représentante de la circonscription au Congrès, et de nombreux juges et élus locaux sont issus de la communauté et ont fait campagne sous bannière démocrate. « Ce nouveau réalignement politique rappelle l’évolution politique des Américains arabes et musulmans qui penchaient historiquement pour les Républicains, mais qui ont été “poussés” à rejoindre les démocrates après que l’ancien président George W. Bush a déclaré une “guerre contre la terreur” à la suite des attaques terroristes du 11 septembre », expliquait récemment l’Arab American News publié à Dearborn.
La candidate écologiste en embuscade
Le gouffre croissant entre les électeurs arabo-américains et le Parti démocrate est une très mauvaise nouvelle pour Kamala Harris. Au Michigan, l’un des 7 Etats pivots de cette élection, la communauté arabe, forte de près de 400.000 membres, dont près de 80.000 d’origine libanaise, pourrait faire la différence. L’Etat avait voté pour Donald Trump en 2016 avant de revenir dans le giron démocrate en 2020. Cette année encore, l’élection s’annonce très serrée. Kamala Harris dispose d’un point d’avance seulement dans les sondages, selon l’agrégateur Split-ticket.
Alors que les Arabes-américains votaient en faveur du Parti démocrate à 2 contre 1 depuis plus de dix ans, ils sont désormais divisés à parts égales entre Harris et Trump pour cette élection, avec même un léger avantage pour le républicain 43 % contre 41 %, selon un récent sondage YouGov pour Arab News. Certains penchent pour la candidate du parti écologiste, Jill Stein, qui s’est rendue 4 fois à Dearborn. En 2016, elle avait obtenu 50.000 voix au Michigan, bien davantage que les 10.000 voix d’écart entre Trump et Clinton. Le parti prend la menace très au sérieux. Il a lancé une campagne d’attaques publicitaires contre elle au Michigan, au Wisconsin et en Pennsylvanie.
Localement, les démocrates sonnent l’alarme. « C’est un vrai problème, il est très dur de convaincre les gens de voter démocrate en ce moment », reconnaît Sami Khaldi, le président du Club démocrate de Dearborn. Il était bien plus optimiste début septembre, mais « l’extension de la guerre au Liban n’aide pas, beaucoup de personnes ont de la famille sur place, ils jugent ce qu’il se passe sur le terrain », explique-t-il.
La présence de la très interventionniste Liz Cheney, en campagne auprès de Kamala Harris, n’est pas du genre à apaiser ces électeurs. Des soutiens de Donald Trump ont d’ailleurs placardé son visage à côté de celui de la candidate démocrate sur de grands panneaux publicitaires. Si Sami Khaldi reste convaincu que Kamala Harris demeure le meilleur choix pour la communauté, il estime lui aussi que la candidate n’a pas été suffisamment à l’écoute. « Notre voix devrait compter », regrette-t-il.