La réunion annuelle des Nations unies s’ouvre mardi après-midi à New York avec un discours de Volodymyr Zelensky. Cette session devra surmonter les divisions entre Occidentaux et pays émergents qu’a creusées la guerre en Ukraine.
Par Carrie Nooten(New York, Nations unies, correspondante) et Philippe Ricard - Le Monde
Tout faire pour tenter de combler le fossé entre les pays émergents et les Occidentaux, que la guerre en Ukraine est venue révéler et creuser. Les débats de l’Assemblée générale de l’ONU, qui commencent mardi 19 septembre, à New York, vont se dérouler dans l’ombre des combats qui continuent de faire rage, dix-neuf mois après l’invasion russe. En pleine contre-offensive ukrainienne, le conflit devrait être abordé de front par les présidents américain, Joe Biden, et ukrainien, Volodymyr Zelensky, à l’ouverture des discussions. Les diplomates des pays occidentaux, tout comme leurs collègues onusiens, n’ont cependant eu de cesse de marteler que les préoccupations des pays pauvres, comme celles des émergents, seraient au centre des travaux des quelque 140 chefs d’Etat et de gouvernement attendus, sur 193 Etats membres.
Tenu à l’écart du sommet du G20, organisé il y a dix jours à New Delhi, Volodymyr Zelensky aura lui même à cœur de plaider sa cause auprès des nombreux dirigeants de pays dits du Sud global, qui refusent de choisir leur camp, entre la Russie et l’Ukraine. Après un discours à la tribune, mardi, il participera mercredi à une réunion du Conseil de sécurité, consacrée à la guerre qui déchire son pays. « Le président ukrainien joue gros », prévient Richard Gowan du centre de réflexion International Crisis Group : « Il pourrait braquer certains dirigeants de pays émergents, s’il ne modère pas son ton contre la Russie et l’ONU. S’il se concentre sur la défense de la Charte de l’ONU et sur la paix, que réclament plusieurs d’entre eux, il pourrait, au contraire, se faire de nouveaux alliés. »
A ce jour, Kiev et ses alliés occidentaux semblent avoir renoncé à organiser une nouvelle rencontre, après celles de Copenhague et de Djeddah, sur le « plan de paix » présenté par M. Zelensky voici un an au sommet du G20 de Bali. Tandis que 35 Etats membres, dont 17 africains, la Chine et l’Inde, s’étaient abstenus de condamner Moscou aux lendemains de l’invasion, l’idée est d’éviter autant que possible la confrontation entre les Occidentaux et les pays du Sud, dont Moscou et Pékin prétendent souvent être les chefs de file. Pour Catherine Colonna, la ministre française des affaires étrangères, qui conduit la délégation française au nom d’Emmanuel Macron, le « Sud Global » est d’ailleurs une « expression erronée » : « La planète est vaste, elle est diverse, et quand j’entends le ministre russe des Affaires étrangères parler du « Global South » comme si la Russie faisait partie du Sud, cela ne manque pas de m’interpeller. »
« Constat désolant d’un échec »
A l’annonce de la venue de Volodymyr Zelensky, les Etats les moins développés ont craint que les enjeux qui les concernent passent au second plan. Mais les Occidentaux ont promis de s’intéresser autant à la guerre en Ukraine qu’aux défis rencontrés par les pays émergents et en développement, eux-mêmes très touchés par les retombées du conflit, sur le plan énergétique et alimentaire notamment. La pression devrait être mise sur la Russie pour relancer l’accord dénoncé par Vladimir Poutine, afin de permettre à l’Ukraine d’exporter ses céréales par la Mer Noire. Et différents événements ont été organisés pour contrer l’idée que les Occidentaux ne seraient concentrés que sur le seul soutien à l’Ukraine. Face à l’East River, les jardins de l’ONU ont ainsi accueilli un nouveau bâtiment temporaire, cerclé de 17 portes de couleurs, chacune représentant un des objectifs de développement durables (ODD) adoptés en 2015. Eradication de la faim, de la pauvreté, égalité entre les sexes, accès à l’eau et à la médecine, lutte contre le changement climatique… Ces indicateurs, censés guider le développement des pays émergents d’ici à 2030, accusent un net recul depuis la pandémie de Covid-19.
Ce sommet fait le « constat désolant d’un échec avec seulement 15 % des objectifs atteints à mi-parcours », selon la secrétaire générale adjointe de l’ONU, Amina Mohammed. « Or sans investissement dans les populations, on crée plus d’instabilité, de conflits, de changements de gouvernements anticonstitutionnels », a confié au Monde cette ancienne ministre du Nigéria : « Le “Sud Global” attend une concrétisation des objectifs de développement durable. Le déficit de confiance est en partie dû au fait que les promesses de 100 milliards de dollars par an pour le climat [promis par les pays riches] ne se sont pas concrétisées. »
En prélude, une déclaration politique a été âprement négociée ces dernières semaines. Elle a failli être bloquée par la Russie et un groupe de « pays amis » qui désiraient imposer dans le texte une critique des sanctions occidentales adoptées contre Moscou depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine. Mais la Russie a battu en retraite, et les pays membres ont pu reconnaître par consensus la nécessité de réformer l’ordre financier international. Le secrétaire général, Antonio Gutteres, a enfin suggéré de financer chaque année les ODD à hauteur de 500 milliards de dollars – une proposition pas encore entérinée par les pays membres.
Pour changer le paradigme, le patron de l’ONU ne voit pas d’autre solution que de « réformer les institutions multilatérales dysfonctionnelles et obsolètes ». Une autre réunion, sur le financement du développement, doit se tenir mercredi 20 septembre. Il s’agit de poursuivre les travaux engagés notamment lors du sommet de Paris, en juin, sur la conception d’un nouveau « pacte financier » mondial,.
Discussions préparatoires
En parallèle, un sommet de l’ambition climatique sera aussi organisé mercredi, alors que les discussions préparatoires à la COP28 de Dubaï (Emirats arabes unis), début décembre, sont compliquées, pour ne pas dire dans l’impasse. Les pays en développement sont particulièrement touchés par le changement climatique sans être les principaux émetteurs.
Enfin, même si c’est un serpent de mer aux Nations unies, la question de la réforme du Conseil de Sécurité revient davantage dans les conversations. Voici un an, Joe Biden avait été le premier président américain à entrouvrir la boîte de Pandore. L’ambassadrice américaine auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, évoque régulièrement cette réforme récusée par la Chine et la Russie, mais soutenu par la France et le RoyaumeUni. Elle parle cependant toujours d’élargir le Conseil de sécurité, mais jamais de réformer le droit de veto de ses membres.
Il n’empêche, certains diplomates de pays en développement ne croient pas à la sincérité des engagements des pays « du Nord ». Certains parlent même d’hypocrisie. « C’est beaucoup de bruit maintenant, mais c’est pour nous endormir, je ne crois pas qu’un grand changement se profile », lâche, blasé, un ambassadeur africain. Pour d’autres, les alliés de Kiev chercheraient surtout à récupérer des soutiens, afin de continuer à isoler la Russie dans la bataille diplomatique qui se joue loin des combats.