À peine la levée des sanctions américaines annoncée, les investisseurs renouent avec la Syrie

À peine la levée des sanctions américaines annoncée, les investisseurs renouent avec la Syrie
الجمعة 16 مايو, 2025

Par Apolline Convain, à Damas. Le Figaro.

REPORTAGE - Une quinzaine de grandes entreprises, du Golfe et d’Europe, dans le ferroviaire ou la fibre optique, ont pris contact avec le régime d’Ahmad al-Charaa.

Ce mardi soir, la place des Omeyyades se remplit d’une marée de voitures dont les haut-parleurs crachent des musiques à la gloire de l’unité du peuple. Entre les véhicules, les manifestants dansent pour célébrer la déclaration de Donald Trump, qui a annoncé quelques heures plus tôt vouloir retirer les sanctions économiques imposées sur la Syrie. « J’ordonnerai la levée des sanctions contre la Syrie afin de lui donner une chance de briller. C’est son heure de gloire », a annoncé avec son sens de la nuance le président américain depuis l’Arabie saoudite, dans le cadre de sa tournée dans le Golfe.

L’euphorie qui a gagné les rues de la capitale rappelle celle du lendemain de la chute du régime Assad. « Nous attendions ce jour depuis tellement longtemps. C’est un nouveau départ qui va enfin nous permettre d’avancer, je le vis presque comme une nouvelle chute (de régime, NDLR) », s’enthousiasme Samirine, étudiante en business âgée de 20 ans.

Au lendemain de l’annonce de Donald Trump, le président syrien Ahmed al-Charaa a salué à son tour «un geste courageux qui a soulagé les souffrances du peuple, aidé à son renouveau et jeté les bases de la stabilité dans la région». Les premières sanctions imposées sur Damas remontent à 1979, mais les mesures les plus lourdes ont été adoptées à partir de 2011, durant la guerre civile. L’Administration américaine a notamment imposé un embargo sur le secteur pétrolier, exclu la Banque centrale du système d’échange interbancaire Swift, et interdit toute transaction avec des institutions bancaires syriennes. Plutôt que de punir le «boucher de Damas» pour la répression orchestrée contre sa population et l’inciter à réformer le système politique, ces restrictions ont étouffé la population et ont fait s’écrouler l’économie. Elles entravent l’approvisionnement de l’aide humanitaire et de médicaments, ainsi que la plupart des investissements.

En réaction à la déclaration de Trump, et avant même que la levée des sanctions ne soit effective, les entreprises étrangères se sont ruées à Damas. Ayman Hamuya, directeur de l’agence des investissements au sein du ministère de l’Économie, assure avoir échangé avec quinze entreprises ce mercredi. «Elles prévoient de venir la semaine prochaine afin d’étudier et de discuter des possibilités d’investissement, détaille l’officiel. Ce sont des entreprises principalement émiriennes, saoudiennes et européennes. Nous avons notamment eu des discussions avec Siemens (qui adéjà récemment signé deux contrats en Syrie, NDLR), mais aussi avec Hitachi pour la rénovation du secteur ferroviaire, qui a déjà envoyé des représentants à Damas.» Le pays dispose d’un réseau ferroviaire long de 2500 kilomètres, aujourd’hui inexploité. Les secteurs les plus convoités sont ceux de la construction, des transports publics et de l’énergie. Mardi, quelques heures avant que Trump neprenne la parole, le ministre des Communications et des Technologies de l’information a annoncé le déploiement de la fibre optique sur le territoire syrien via un appel d’offres ouvert aux entreprises étrangères. «Évidemment qu’il y a un lien direct entre ces deux annonces», commente Ayman Hamuya. Le secteur des télécommunications n’est pas concerné par les sanctions américaines, mais ces dernières ont souvent un impact psychologique sur les investisseurs, frileux de réaliser une quelconque opération en Syrie.

Le directeur de l’agence des investissements confie par ailleurs avoir effectué plusieurs rencontres avec des investisseurs avant l’annonce. «Certaines entreprises étaient déjà au courant de la levée des sanctions, et c’était une évidence pour nous», affirme-t-il. Alors que de nombreuses incertitudes demeurent quant à la date et aux modalités de la fin des restrictions, l’officiel balaie tout doute. «Selon nos informations, ce n’est qu’une question de jours, éventuellement de semaines, avant que la plupart des sanctions soient annulées par décret par le président des États-Unis.»

Si l’annonce de ce mardi accélère la venue des investisseurs, certaines entreprises avaient déjà entamé un retour en Syrie ces derniers mois. Le 1er mai 2025, l’amateur français CMA-CGM, dirigé par le Franco-Libanais Rodolphe Saadé, a signé un contrat d’investissement de 230 millions d’euros afin d’opérer et de développer le port de Lattaquié. Malgré les risques financiers, en particulier l’instabilité de la livre syrienne, le pays dispose de marchés vierges aux opportunités colossales. Ahmed al-Charaa a placé la question des investissements au cœur de sa visite à Paris le 7 mai dernier. «Il était avant tout là pour rencontrer les membres de la diaspora qui ont de l’argent et du pouvoir», commente le chercheur Cédric Labrousse.

Reste à voir si l’Union européenne, qui a également imposé des sanctions sur la Syrie, marchera dans les pas des États-Unis. Les Vingt-Sept doivent voter le renouvellement de ces restrictions le 1er juin. «Tout dépendra de Trump, s’il ne fait qu’une annonce ou agit réellement. Si ce n’est pas le cas, il y a des chances que l’Union européenne renouvelle les siennes», commentait un diplomate européen au soir de la déclaration du président américain.