Accords et dissuasion: les armes de la politique étrangère de Trump pour son second mandat

Accords et dissuasion: les armes de la politique étrangère de Trump pour son second mandat
الثلاثاء 12 نوفمبر, 2024

Le président élu devrait faire étalage de la puissance économique et militaire des Etats-Unis, afin d’inspirer la crainte à ses adversaires et d’obtenir une attitude plus conciliante de la part de ses alliés

Yaroslav Trofimov, Lara Seligman et Alexander Ward / The Wall Street Journal // L'Opinion

Le monde est aujourd’hui bien plus dangereux que lors du premier mandat de Donald Trump. Ses nouveaux et ses anciens conseillers s'attendent à ce qu'il manœuvre entre les conflits de plus en plus nombreux en usant de la dissuasion face aux rivaux étrangers des Etats-Unis et en recourant à la diplomatie transactionnelle vis-à-vis de ses alliés.

Selon eux, les Etats-Unis n'ont pas été suffisamment craints à l'étranger sous l'administration Biden. En faisant étalage de la puissance économique et militaire américaine, ajoutent-ils, la seconde présidence Trump devrait apporter la paix ou, au minimum, empêcher une nouvelle escalade en Ukraine, au Moyen-Orient et au-delà.

« Ce sera un retour à la paix par la force. La dissuasion va être rétablie, explique Robert O'Brien, ancien conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, qui pourrait jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle administration. Les adversaires américains comprendront que les choses qu’ils ont pu faire sans être inquiétés au cours des quatre dernières années ne seront plus tolérées. »

La mise en œuvre d’une telle politique est plus facile à dire qu'à faire. Ce sera en particulier le cas face à la Russie, à l'Iran et à la Corée du Nord, dont l’alliance militaire informelle bénéficie du soutien économique et diplomatique d'une Chine elle-même en plein réarmement.

Lorsque M. Trump a tenté, en vain, de négocier un accord nucléaire avec le dirigeant nordcoréen Kim Jong-un, le problème de la péninsule coréenne pouvait être abordé de manière relativement séparée. Ce n'est plus possible aujourd’hui et c’est aussi le cas dans la plupart des points chauds les plus diiciles du monde, selon un ancien de ses représentants à la Maison Blanche.

« Nous voyons des soldats nord-coréens combattre aux côtés des Russes qui tuent des Ukrainiens en utilisant des missiles conçus par les Iraniens, lesquels vendent leur pétrole aux Chinois, observe-t-il. Une telle interconnexion géopolitique est quelque chose que nous n'avions pas. » Et d’ajouter : « Nous pouvions avoir une politique distincte pour la Corée du Nord et une politique distincte pour l'Iran. Mais aujourd'hui, il faut agir de manière beaucoup plus holistique. »

Contrairement à M. Biden, qui n'a pas parlé à Vladimir Poutine depuis février 2022, M. Trump a indiqué qu'il souhaitait négocier un règlement de la guerre en Ukraine avec le président russe. Cette diplomatie inter-personnelle pourrait contribuer à affaiblir le nouvel axe anti-américain, d’après le général à la retraite Keith Kellogg, qui a occupé des postes importants dans le domaine de la sécurité nationale sous la première administration Trump.

« Tout commence par des relations personnelles, affirme M. Kellogg qui est pressenti pour intégrer la nouvelle administration. Un président Trump tendra la main aux principaux dirigeants pour essayer de trouver un moyen de résoudre un problème. Il aura toujours les options les plus fortes à sa disposition, comme les sanctions ou la force brute, mais ce n'est pas l'option de premier choix. »

Les alliances de l'Amérique risquent d'être mises à rude épreuve si M. Trump augmente les droits de douane sur les produits de ses alliés européens et asiatiques, comme il l'a annoncé durant sa campagne présidentielle. Il s'est souvent plaint que des pays comme l'Allemagne profitent des largesses américaines en enregistrant un énorme excédent commercial avec les États-Unis tout en bénéiciant de leur protection militaire.

« Je ne pense pas que M. Trump ait pour projet de détruire les alliances, mais il ne s'en soucie pas vraiment non plus, reconnaît Jeremy Shapiro, directeur du programme américain au Conseil européen pour les relations internationales. Il pense qu'il s'agit d’arnaques aux dépens du public américain et que les alliés sont comme des parents qui viennent chez vous pour emprunter de l'argent et qui restent ensuite toute la journée pour profiter de votre piscine. »

Se préparant à cette nouvelle relation avec les Etats-Unis, le président Emmanuel Macron a mis en garde jeudi contre un « transatlantisme naïf », dans un discours prononcé devant les dirigeants européens réunis à Budapest. M. Trump « a été élu par le peuple américain et il défendra les intérêts américains, c’est légitime et c’est une bonne chose, a déclaré M. Macron. La question est de savoir si nous sommes prêts à défendre les intérêts des Européens. C'est la seule question. »

Au cours du premier mandat de M. Trump, son équipe a d’abord eu du mal à persuader les Européens de remplacer les équipements télécoms des fournisseurs chinois appartenant à l'Etat, tels que Huawei, soupçonnés de pouvoir être utilisés à des fins d’espionnage. La guerre commerciale déclenchée par M. Trump contre l'Europe a en efet rendu certains dirigeants moins enclins à travailler avec Washington.

Si des gouvernements européens estiment que la nouvelle administration Trump menace leur sécurité en ménageant la Russie au sujet de l'Ukraine, certains alliés américains pourraient être tentés de resserrer les liens avec la Chine, l'autre grande puissance mondiale, même si cela implique de rompre le front commun avec Washington.

Une ligne dure
Les relations entre les Etats-Unis et la Chine devraient dominer le second mandat de M. Trump. Il va probablement adopter une approche encore plus intransigeante que précédemment, une ligne dure que l'administration Biden a en grande partie poursuivie, selon d'anciens conseillers et des conseillers actuels. M. Trump pourrait reprendre la guerre commerciale qui a marqué son premier mandat et investir davantage pour préparer militairement les États-Unis à un éventuel conflit dans le Pacifique.

Le président élu se montre aujourd’hui plus méfiant vis-à-vis du dirigeant chinois Xi Jinping, qu'il tient pour responsable de la pandémie de Covid-19 mais aussi de sa défaite face à M. Biden en 2020, en raison des conséquences désastreuses qu’elle a eues, selon deux anciens responsables de l'administration Trump. Il a également été irrité par les tentatives chinoises pour hacker l’organisation de sa campagne de 2024.

M. Trump ne sera plus aussi disposé à prendre tout ce que dira M. Xi pour argent comptant, souligne l’un de ces anciens responsables.

Selon le sénateur démocrate du Delaware Chris Coons, tout faux pas de M. Trump dans les relations avec les alliés européens pourrait s'avérer une aubaine géopolitique pour Pékin. « Les Chinois n’attendent que cela et ils s'y préparent, prévient-il. Nous avons tout intérêt à contrer les avancées technologiques de la Chine et la domination qu'elle entend exercer en le faisant en partenariat avec nos alliés. »

La réduction des engagements militaires américains à l'étranger était un objectif de la première administration de M. Trump. Les conflits actuels en Europe et au Moyen-Orient n'impliquent pas directement les troupes américaines, mais cela ne signifie pas qu'il restera à l’écart. Au contraire, prédisent des conseillers actuels et anciens, le nouveau commandant en chef tentera probablement de s'impliquer sur le plan diplomatique, et peut-être davantage que ne l'a fait M. Biden.

« Il veut introduire les États-Unis dans tous les conflits du monde en tant que médiateur et apporter des solutions diplomatiques, explique l'ancien responsable de la Maison Blanche de M. Trump. Ce sera l'une des clés de voute de son action : être une sorte de négociateur de paix dans le monde entier. »

Le penchant de M. Trump à se placer au centre des négociations s’illustre même dans des différends de moindre importance. Un ancien responsable de la Maison-Blanche se souvient être arrivé un jour au travail sous la première administration de M. Trump et l’avoir entendu parler de médiation dans le conflit historique — et politiquement lointain — entre l'Ethiopie et l'Egypte au sujet du barrage de la Grande renaissance éthiopienne sur le Nil.

Le principal atout de M. Trump est son imprévisibilité, selon ses partisans et même selon certains de ses détracteurs. Il se distingue en cela de M. Biden qui a souvent « téléphoné » ses actions à l'avance. En janvier 2022, celui-ci avait commis une gaffe en déclarant que les alliés occidentaux n'auraient pas de réponse unifiée si M. Poutine effectuait une « incursion mineure » en Ukraine. Des propos qui auraient encouragé l'invasion généralisée un peu plus d'un mois plus tard, selon les partisans de M. Trump.

Avec ce dernier, disent ses partisans, les dirigeants rivaux ne peuvent savoir avec certitude jusqu’où irait la réaction américaine à leurs actions. « La dissuasion exige de communiquer clairement les menaces à vos adversaires, et c'est ce qu'a fait Trump, qu'on aime cela ou pas », affirme Matthew Kroenig, vice-président du Scowcroft Center for Strategy and Security at the Atlantic Council. Il a été conseiller principal au Pentagone lors de la première administration Trump.

Un prix élevé
M. Trump a clairement indiqué qu'il souhaitait mettre fin à la guerre en Ukraine, sans toutefois préciser comment. Ses conseillers suggèrent de geler la guerre, reconnaissant ainsi la mainmise de fait de la Russie sur environ 20 % du territoire ukrainien, et de contraindre Kiev à renoncer pendant des décennies à sa quête d’adhésion à l'Otan.

De son côté, M. Poutine souhaite s'emparer d'une plus grande partie de l'Ukraine et prendre le contrôle du futur gouvernement de Kiev, ce que M. Trump pourrait trouver difficilement acceptable. M. Trump « va faire ce qu'il faut pour mettre fin à la guerre et aux massacres », souligne M. O'Brien. « Nous verrons comment il s'y prendra sur le plan diplomatique, ajoute-t-il. Mais le président a été très clair sur le fait que les massacres devaient cesser. »

M. Trump est par ailleurs déterminé à se montrer plus dur avec l'Iran que ne l’a été M. Biden, ce qui passe par la relance de la mise en oeuvre des sanctions et le retour à la campagne de « pression maximale » de son administration précédente, selon des conseillers, surtout si Téhéran se rapproche de l'obtention de l’arme nucléaire.

Vendredi, le département de la justice a révélé que le FBI avait déjoué un complot iranien visant à assassiner M. Trump avant l'élection. En août, les procureurs américains ont inculpé un Pakistanais ayant des liens avec l'Iran dans le cadre d'un complot visant à tuer M. Trump.

Le président élu reste disposé à discuter avec l'Iran, indique l'un des anciens responsables de l'administration Trump, mais il prévient que Téhéran va payer un prix très élevé à la table des négociations. « Peut-être n'auriez-vous pas dû essayer de le tuer », lance-t-il à l’adresse des Iraniens.

Ni M. Trump ni son colistier, J.-D. Vance, ne souhaitent une guerre avec Téhéran, soulignent des personnes proches du président élu. Mais cela ne signiie pas qu'il resterait les bras croisés si l'Iran décidait de se doter d'armes nucléaires.

M. Trump fait campagne depuis longtemps contre ce qu'il appelle les guerres sans fin. Cela pourrait l’amener à retirer les troupes américaines de Syrie et d'Irak, où elles ont été attaquées à plusieurs reprises par des groupes armés et financés par l’Iran.

« Nous ne savons pas encore ce qu'elle sera, mais l'approche de Trump sera beaucoup plus forte. Cela ne devrait surprendre personne, avertit Andrew Tabler, chercheur principal au Washington Institute for Near East Policy et ancien collaborateur de la Maison Blanche sous M. Trump. Il est probable qu'il aura recours aussi bien à la diplomatie, aux sanctions et à une menace crédible de recours à la force militaire pour tenter d'obtenir un résultat. »

M. Trump cherchera probablement à faire adhérer l'Arabie saoudite aux accords d'Abraham, une série d'accords bilatéraux que son administration a négociés entre Israël et quatre pays arabes, selon d'anciens conseillers et des conseillers actuels. Il n'y est pas parvenu lors de son premier mandat.

Contrairement à l'administration Biden, qui a tout fait pour dissuader Israël de frapper les sites nucléaires et les installations d'exportation d'énergie de l'Iran, M. Trump a autorisé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à « faire ce qu'il faut » en ce qui concerne l'Iran et ses milices alliées.

Il est toutefois peu probable que M. Netanyahu dispose du soutien illimité des Etats-Unis pour poursuivre les opérations militaires à Gaza et au Liban, compte tenu du bilan dévastateur pour les civils palestiniens et libanais. M. Trump s'est en effet brouillé avec le Premier ministre israélien en raison de son refus de contester la légitimité de la victoire de M. Biden en 2020. Bien que les deux hommes aient renoué des liens cette année, le ressentiment de M. Trump demeure, selon d'anciens et d'actuels conseillers.

M. Trump a fait campagne avec succès pour attirer les électeurs musulmans et arabes horrifiés par le carnage à Gaza, battant la vice-présidente Kamala Harris dans des villes à forte population arabo-américaine, comme Dearborn, dans le Michigan. Mais contrairement à M. Biden, il ne paierait qu’un prix politique limité au Congrès s'il utilisait la manière forte pour contraindre M. Netanyahu à mettre fin à la guerre.