Affaibli, l’Iran dispose toujours d’un moyen de dissuasion majeur : l’option nucléaire

Affaibli, l’Iran dispose toujours d’un moyen de dissuasion majeur : l’option nucléaire
الأربعاء 9 أكتوبر, 2024

The Wall Street Journal / L'Opinion

Au moment où le Hezbollah est fragilisé et où ses propres missiles n’ont pas réussi à faire beaucoup de dégâts en Israël, les regards se tournent vers la menace potentielle représentée par le programme atomique de Téhéran

Laurence Norman et Sune Engel Rasmussen

Israël a montré que les deux principaux moyens de dissuasion dont dispose l'Iran contre une attaque — ses missiles balistiques et le Hezbollah, son allié paramilitaire — étaient moins efficaces qu'on ne le pensait. Les regards se tournent donc désormais vers Téhéran pour savoir s'il va accélérer son programme nucléaire afin de se prémunir contre son plus grand ennemi dans la région.

Depuis des mois, les responsables iraniens affirment disposer de la majeure partie des connaissances nécessaires à la fabrication d'une bombe atomique et disent qu'ils pourraient reconsidérer l'engagement pris il y a deux décennies par le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, de ne pas se doter d'armes de destruction massive.

Fin septembre, un ancien directeur de l'agence atomique iranienne, Fereydoun Abbasi, a laissé entendre que Téhéran était en mesure de commencer à produire de l'uranium enrichi à 90 %, de qualité militaire. Des responsables américains estiment qu'il faudrait moins de deux semaines à l'Iran pour convertir son stock actuel de combustible nucléaire (enrichi à 60 %) en matière utilisable à de telles fins.

L'accord nucléaire de 2015 restreignait le programme nucléaire iranien en échange d'un allègement des sanctions. Depuis le retrait des Etats-Unis, Téhéran l'a considérablement fait avancer, ce qui lui permet d'être aujourd'hui à deux doigts de produire une arme nucléaire.

« L'affaiblissement de ses positions face à Israël va obliger Téhéran à développer de nouveaux moyens de dissuasion. Cela va renforcer la pression sur le développement de son programme nucléaire, déclare Gregory Brew, analyste principal Iran et Energie au sein de la société de conseil Eurasia Group. Ce à quoi nous allons probablement assister, c'est à une impulsion plus forte pour faire avancer le programme et à des mises en garde sur le fait qu'il pourrait ne pas rester “paciique”. »

L'Iran est-il proche de détenir l'arme nucléaire ?

Bien qu'il affirme que son programme est destiné à des fins purement paciiques, l'Iran est la seule puissance non nucléaire à produire de l'uranium hautement enrichi. Selon les données les plus récentes de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Téhéran dispose de suffisamment de combustible de qualité quasi militaire pour fabriquer presque quatre bombes nucléaires. L'Iran a également mené des expériences avec de l'uranium sous forme métallique, un composant essentiel à la production d'une arme nucléaire, et a considérablement restreint la surveillance internationale prévue par l'accord sur le nucléaire.

Les services de renseignement américains et l'AIEA ne garantissent plus, comme autrefois, que Téhéran ne travaille pas sur un programme d'armement. Des responsables américains ont déclaré cet été que Téhéran avait entamé des activités visant à acquérir davantage de connaissances nécessaires à la fabrication d'une bombe. Les efforts de l'Iran en la matière pourraient aussi être plus diiciles à détecter rapidement. Certains experts estiment que la République islamique est en mesure de produire un engin nucléaire rudimentaire en l'espace de quelques mois.

Comment Israël et les Etats-Unis pourraient-ils réagir ?

Par le passé, Israël a mené des actions de sabotage contre le programme nucléaire iranien, sans pour autant entraver de manière irréversible les efforts d'enrichissement menés par Téhéran. Néanmoins, la quête de l'Iran de se doter de l'arme nucléaire — chose que les Etats-Unis ont promis d'empêcher — pourrait comporter des risques considérables pour l'Iran.

Israël a démontré que ses services de renseignement avaient pénétré en profondeur le système iranien et ceux de ses alliés lors de ses récentes opérations, dont l'une a tué le chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, dans une résidence gérée par les militaires à Téhéran. Et Israël pourrait décider de frapper les sites nucléaires iraniens si Téhéran accélère ses travaux.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré la semaine dernière que l'Iran avait « commis une grave erreur » avec sa frappe de missiles sur le sol de l'Etat hébreu et qu'il en paierait le prix. Dans un autre discours adressé la semaine dernière au peuple iranien, il a également prévenu : « Il n'y a pas d'endroit au Moyen-Orient qu'Israël ne puisse atteindre. »

Le Hezbollah, l'armée non étatique la plus lourdement équipée au monde, est depuis longtemps considéré comme la principale police d'assurance de l'Iran. Le groupe libanais, désigné par les Etats-Unis comme une organisation terroriste, est implanté à la frontière avec Israël. Mais la campagne militaire récemment lancée par l'Etat hébreu a fragilisé le mouvement en tuant son chef historique, Hassan Nasrallah, et en s'attaquant à son arsenal. La semaine dernière, Israël a déclenché la première opération terrestre dans le sud du Liban depuis une vingtaine d'années afin de détruire les positions du Hezbollah dans les villages proches de la frontière.

L'autre grande menace représentée par l'Iran est son stock de missiles balistiques, estimé à au moins 3 000 unités. Bien que certains de ces engins aient réussi à franchir les défenses antiaériennes d'Israël lors du tir de 180 missiles la semaine dernière, ils n'ont fait que peu de dégâts. Mais Téhéran a déjà menacé de lancer une attaque de plus grande envergure.

Après la toute première attaque directe de l'Iran sur le territoire israélien — plus de 300 missiles et drones en avril —, l'Etat hébreu a riposté par une frappe très limitée en forme d'avertissement, qui a mis hors service des batteries de défense antiaérienne situées à seulement 20 kilomètres des installations d'enrichissement d'uranium de Natanz.

Le directeur de l'agence atomique iranienne, Mohammad Eslami, a déclaré la semaine dernière que les forces armées du pays avaient mis en place les moyens de dissuasion nécessaires contre ce qu'il a appelé des menaces israéliennes contre les installations nucléaires de son pays.

Jusqu'à présent, Israël a choisi de ne pas frapper seul les sites nucléaires iraniens. Et, aujourd'hui, même si l'administration Biden a assuré que les États-Unis veilleraient à ce que l'Iran paie de lourdes conséquences pour son attaque de la semaine dernière, il n'y a pas de volonté à Washington d'engager une guerre plus large, en particulier avant l'élection présidentielle de novembre.

Des frappes aériennes israéliennes pourraient endommager les sites d'enrichissement nucléaire de l'Iran, mais complètement mettre hors d'état son programme nucléaire serait très difficile, selon des personnes connaissant bien le dossier. On ne sait pas exactement à quelle profondeur ces frappes pourraient atteindre les nouvelles installations que Téhéran a construites dans le sous-sol de Natanz ou sur le site de Fordow, creusé à lanc de montagne.

Les obstacles ne se limitent pas aux ouvrages de protection, selon ces sources. L'Iran détient plus de cinq tonnes d'uranium enrichi, dont 165 kg hautement, à l'extérieur de ses sites et proches de fourgons capables de se déplacer rapidement. Les frappes aériennes seraient également d'une utilité limitée contre les travaux que Téhéran doit encore mener pour fabriquer une bombe. Dans le passé, Israël est soupçonné d'avoir assassiné plusieurs des principaux scientifiques nucléaires iraniens ain d'empêcher ces eforts de progresser.

Un risque de déclencher la course à la bombe

Une attaque qui ne servirait qu'à retarder le programme nucléaire iranien de quelques mois ou d'un an serait un pari majeur. Les responsables iraniens ont déjà prévenu que de telles frappes pourraient les inciter à suivre les traces de la Corée du Nord et à quitter le traité qui prévoit un contrôle international sur les programmes nucléaires.

« La grande question serait alors de savoir si l'Iran se retire du traité de non-prolifération et met les inspecteurs à la porte », indique Eric Brewer, vice-président adjoint du programme Sécurité des matières nucléaires de la Nuclear Threat Initiative.

La volonté de l'Iran de se doter d'une bombe nucléaire pourrait également contraindre les Etats-Unis à intervenir pour l'empêcher d'y parvenir.

Téhéran pourrait, pour l'instant, décider de continuer à avancer par étapes ain de se rapprocher de la possibilité de produire une arme nucléaire, airme Michael Horowitz, responsable des services de renseignement de la société de conseil Le Beck, basée en Israël.

« L'Iran va d'abord se concentrer sur sa propre sécurité, avant de prendre des mesures radicales et risquées, notamment la fabrication d'une bombe », assure-t-il.

Une avancée sur le programme nucléaire impliquerait également des conséquences politiques pour l'Iran. Le président récemment élu, Masoud Pezeshkian, a en efet l'intention de jouer la carte diplomatique pour obtenir un allègement des sanctions occidentales qui pèsent sur une économie en crise. Tout espoir d'y parvenir dépendra probablement des mesures prises par l'Iran pour mettre in à la production d'uranium hautement enrichi et pour accorder un accès plus large à l'AIEA, l'agence des Nations unies chargée des questions nucléaires.

« Je ne pense pas que l'Iran ait pu prendre la décision de riposter sans avoir intégré son programme nucléaire dans la rélexion », analyse Nicole Grajewski, membre du programme Politique nucléaire de la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

« Cela ne signifie pas qu'il misera tout sur son programme militaire, mais peut-être qu'il s'assurera davantage de sa capacité à s'armer rapidement en cas de nécessité », conclut-elle.