Après le coup de force d'Erdogan, la Turquie tente de contenir le chaos financier

Après le coup de force d'Erdogan, la Turquie tente de contenir le chaos financier
الأربعاء 26 مارس, 2025

Après le krach de la livre turque à son plus bas historique et le plongeon de la Bourse d'Istanbul, le pouvoir s'efforce d'éviter une crise financière. Une de plus qui serait à mettre au passif du président Erdogan et de sa dérive autoritaire.

Par Nessim Aït-Kacimi, Les Echos.

38 livres par dollar et 41 pour un euro: toujours à son plus bas niveau, la monnaie turque ne se remet pas de son krach du 19 mars. Ce jour-là, elle a plongé de 14% en quelques minutes après l'annonce de l'arrestation du maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu.

Cette interpellation a fait craindre aux marchés un nouveau tour de vis autoritaire du président Erdogan. Conséquence, selon le Financial Times, la Turquie a été contrainte de dépenser pas moins de 12 milliards de dollars pour soutenir sa devise. L'effort est venu en partie de banques publiques turques, ce qui permet à la banque centrale d'économiser ses réserves dans la perspective de nouvelles batailles sur les marchés.

Le ministre des Finances Mehmet Simsek a démenti avoir présenté sa démission comme le Parti républicain du peuple (dont Ekrem Imamoglu est le candidat à la présidentielle) l'a laissé entendre. S'il vous plaît, ne croyez pas les fausses nouvelles, a-t-il posté dimanche sur X. Mehmet Simsek tente de rassurer les investisseurs, notamment étrangers, qui ont de nouveau investi sur la dette turque depuis un an. Ces derniers avaient totalement déserté ce marché du fait de ses ris ques élevés malgré des taux à 10 ans à 39%! Ils détiennent aujourd'hui 10% de la dette locale, deux fois moins qu'il y a dix ans.

Baisse des taux interrompue
Le coup de force d'Ankara est une contre-publicité mondiale pour l'attractivité de la Turquie et de ses marchés financiers (monnaie, obligations, actions) qui ont connu des crises récurrentes depuis 2015, et une fuite des capitaux étrangers. Le début de la saison touristique au printemps devrait entrainer un afflux de devises dans le pays, ce qui permettra de stabiliser la livre. Nous n'anticipons plus de baisse des taux en avril, mais la banque de Turquie pourrait reprendre ses assouplissements monétaires en juin quand le retour au calme sera jugé durable. De fortes incertitudes persistent néanmoins, soulignent les experts de la Société Générale.

La crise politique en Turquie a interrompu brutalement, et pour une durée indéterminée, le cycle de baisse des taux entamé en décembre quand ils avaient atteint 50%.Ils avaient été réduits jusqu'à 42,5% en mars. Lors d'une réunion surprise au lendemain du krach, le taux de référence à une semaine a été maintenu, mais la Banque de Turquie a relevé de 200 points de base, à 46%, celui au jour le jour. Objectif? Renchérir le coût d'emprunt des livres et contrer la spéculation sur la monnaie. Après les tempêtes sur les marchés, le pouvoir accuse régulièrement les étrangers de tenter un coup d'Etat monétaire contre le pays. Une chasse aux sorcières pour permettre au gouvernement de tenter de se dédouaner dans son échec à brider une inflation structurelle élevée.

Le président Erdogan n'a cessé par le passé de faire pression sur la banque centrale pour qu'elle réduise le loyer de l'argent. Les banquiers centraux peu coopératifs avec la vision du président ont été limogés. Erdogan ne s'était résigné aux relèvements des taux que parce que l'inflation hors de contrôle avait dépassé 60% en 2023 et jusqu'à 75% l'an dernier.

Ruée vers l'or
La Bourse d'Istanbul a accusé le coup. Privée du soutien des baisses des taux, qui lui avaient permis de progresser cette année, elle a perdu 17% la semaine dernière, sa plus forte chute hebdomadaire depuis la crise financière de 2008. Tous ses gains de l'année (13%) ont été plus qu'effacés en quelques séances.

Pour la faire rebondir, le Conseil des marchés de capitaux turc a interdit les ventes à découvert pendant un mois et prend des mesures pour faciliter les programmes de rachats de leurs actions par les entreprises. Le fonds souverain turc, qui avait été mis à contribution dans les crises passées pour acheter des titres, est peut-être aussi intervenu.

Les actions turques ont regagné 7% dans un climat loin d'être serein. Les ménages turcs, qui détiennent déjà près de 400 milliards de dollars d'or, sont confortés dans leur choix d'avoir mis leurs économies à l'abri grâce à cet actif refuge contre l'inflation et l'instabilité politique. Ils ont profité de l'envolée du métal précieux dont le prix a franchi la barre des 3.000 dollars l'once.