DÉCRYPTAGE - Le fonds souverain du royaume, bras armé financier de Vision 2030, vient d’annoncer une réduction majeure des investissements à l’étranger pour se concentrer sur l’économie nationale.
Par Clara Galtier. LE FIGARO
TikTok, Goldman Sachs, Dell… Sept mille représentants d’entreprises et investisseurs se sont réunis dans la capitale de l’Arabie saoudite du 24 au 28 octobre à l’occasion du forum d’affaires Future Investment Initiative (FII), plus connu sous le nom de Davos du désert. Riyad poursuit ses activités « business as usual », avec seulement vingt annulations de visiteurs pour cause de guerre à Gaza, alors que le front se situe à 150 kilomètres de sa frontière nord-ouest. Rien n’aurait pu empêcher la pétromonarchie de tenir, pour la huitième fois, ce grand raout annuel, qui vise à attirer des investissements étrangers dans le cadre de son programme de réformes Vision 2030.
Lancé en 2016 par le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), l’objectif de cet agenda est de transformer le tissu économique saoudien pour ne plus dépendre du pétrole, en diversifiant ses sources de revenus grâce aux nouvelles technologies, au tourisme, à l’industrie minière, et à l’innovation. Un défi de taille malgré la manne de 930 milliards de dollars d’actifs détenus par le fonds souverain du royaume (PIF), bras armé financier de cette diversification. Le pays, en grande partie désertique, ne peut pas compter sur des secteurs d’exportation traditionnels comme l’agriculture ou l’industrie manufacturière. Le tourisme est encore en développement, et la majorité des actifs saoudiens sont employés par l’État, leurs salaires étant largement financés par les revenus de l’or noir.
Mégaprojets
La monarchie aux 33 millions d’habitants, encore taxée de «station-service», premier exportateur de brut au monde est toujours trop dépendante des hydrocarbures. En 2024, le pétrole représente encore 90% des recettes d’exportation, 80% des recettes budgétaires et 40% du PIB. Pour atteindre ses objectifs d’ici à 2030, qui prévoient de réduire la contribution de l’or noir à 10% du PIB, l’Arabie saoudite doit développer un secteur privé solide, avec une contribution majeure des PME, selon les vœux de Mohammed Ben Salman.
Le fonds souverain a multiplié les investissements ces dernières années : 3,5 milliards de dollars dans Uber, 45 milliards dans le fond technologique de SoftBank, 20 milliards dans une filiale de Blackstone (gestionnaire d’actifs), et une participation majoritaire dans le club anglais de football Newcastle United pour 350 millions de dollars. Mais de plus en plus soumis à des contraintes budgétaires, Riyad doit réorienter ses priorités. Yasir al-Rumayyan, gouverneur du PIF, aainsi annoncé lors du forum une réduction significative des investissements à l’étranger. Il y a dix ans, «nous avions moins de 2% d’investissements à l’international et aujourd’hui ils sont montés à 30%. Notre objectif est désormais de les ramener entre 18 et 20%»,a-t-il précisé. Cette stratégie vise à se recentrer sur l’économie interne, notamment en investissant dans des mégaprojets tels que Neom, une ville futuriste à 500 milliards de dollars, en cours de construction, et un nouvel aéroport international.
Ces ambitions de diversification sont contrariées par les fluctuations des prix dupétrole. Riyad s’efforce de les soutenir. En 2023, le royaume a réduit sa production dans le cadre des accords de l’Opep+, maintenant un rythme autour de 9 millions de barils par jour, soit une baisse de 10% par rapport à l’année dernière. Cette stratégie se heurte à la hausse de la production dans d’autres pays, comme les États-Unis et des nouveaux acteurs sur le marché, ce qui maintient le cours du brent autour de 75 dollars, loin des 96 dollars nécessaires pour équilibrer le budget saoudien, selon les calculs du FMI.
Un royaume endetté
La baisse des recettes pétrolières a des effets immédiats sur les finances publiques. Les prévisions de croissance pour 2024 ont été drastiquement révisées à la baisse, de 4,4% à 0,8%, avec un déficit attendu à 3%, au lieu des 1,9% initialement prévus. Aramco, le géant pétrolier et principale source de financement de Vision 2030, a annoncé ce mardi une baisse de 15% de son bénéfice net au troisième trimestre.
Pour maintenir sa trajectoire et compenser, en outre, la faiblesse des investissements étrangers, qui n’ont atteint que 11 milliards de dollars en 2023 (contre un objectif de 100 milliards d’ici à 2030), le royaume s’endette. Le gouvernement et le PIF ont émis 50 milliards de dollars d’obligations en 2024, un montant record depuis sept ans. Riyad dispose cependant d’une marge de manœuvre confortable, commente Justin Alexander, directeur du cabinet Khalij Economics. «L’Arabie saoudite n’a pasdedifficultés à financer son déficit jusqu’en 2027 parce que la dette publique est inférieure à 30% du PIB et qu’elle attire les investisseurs internationaux», explique-t-il.
Ce recours à la dette permet de financer les infrastructures et de soutenir les PME locales, cruciales pour atteindre l’objectif de 65% de contribution du secteur privé au PIB d’ici à 2030. Les ambitions de Riyad sur l’économie domestique touchent tous les secteurs. Le royaume a fondé via le PIF, 93 sociétés dans des domaines variés, de la production de panneaux solaires à l’hôtellerie et au divertissement.
Reste que les recettes issues de ces investissements se font attendre. «Nous commencerons à voir les premiers revenus des gigaprojets au cours de l’année prochaine, à mesure que les stations touristiques ouvriront, mais la plupart d’entre eux sont encore à des années d’en générer», précise Justin Alexander. Le royaume n’a pas de stratégie alternative si ses revenus pétroliers se trouvent fortement contraints, relève l’économiste Laure de Nervo, du Crédit agricole. La difficulté, pour Riyad, sera de poursuivre ses investissements et ses réformes, en résistant aux éventuels chocs externes.