Analyse L’ancien ministre des affaires étrangères a demandé un audit de l’Agence pour le développement d’Al-Ula, qu’il dirige. Il y a six ans, la France a signé un important partenariat avec l’Arabie saoudite pour la transformation de cette région dotée d’un très riche patrimoine.
Marianne Meunier, La Croix
Six mois après en avoir pris les rênes, Jean-Yves Le Drian imprime sa marque sur l’Afalula. L’agence, créée en 2018 dans la foulée de la signature en grande pompe d’un accord entre la France et l’Arabie saoudite, fait l’objet d’un audit de l’Inspection générale des finances depuis quelques semaines, selon les informations de La Croix. Celui-ci a été sollicité en octobre par l’ancien ministre des affaires étrangères, nommé en juillet dernier.
Siégeant à Paris, à quelques pas de l’ambassade saoudienne, l’Afalula exerce une mission inédite dans l’histoire de la coopération culturelle : accompagner le développement d’Al-Ula, vaste enclave désertique dans le nord-ouest du royaume wahhabite, pour en faire une destination touristique. Un objectif qui s’explique par le patrimoine archéologique de la région, aussi fabuleux que prometteur à l’heure où l’Arabie saoudite cherche des relais économiques à l’or noir (lire les repères).
Musée du basalte, festival de la datte, résidence d’artistes, création d’une filière de matériaux de construction locaux, hôtels… Avec l’espoir de placer l’expertise et les entreprises françaises, l’Afalula accompagne la réalisation de projets dans de multiples domaines après les avoir proposés ou avoir répondu aux demandes de la Commission royale pour Al-Ula (RCU), son interlocuteur saoudien. Et, en retour, Riyad assure le financement de l’agence, qui compte une cinquantaine de salariés.
Un budget passé de 30 à 60 millions d’euros
D’un montant annuel de 30 millions d’euros environ depuis sa création, le budget de l’Afalula a grimpé à 60 millions en 2023. Un doublement qui explique en grande partie l’audit, selon Mathias Curnier, directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian : « Il s’agit de vérifier que notre dispositif de pare-feu est suffisant et en adéquation avec cette augmentation », indique ce dernier à La Croix. Le site Intelligence Online, quant à lui, précise que les auditeurs de l’Inspection des finances se penchent en particulier sur le recours à de « nombreux consultants » par l’agence à l’époque de son ancien président, Gérard Mestrallet, ex-patron d’Engie. Des informations démenties par Mathias Curnier.
Dépenses inutiles ? Mauvaise gestion ? L’audit en cours le dira. Reste que pour le directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, le doublement du budget s’explique par la multiplication des demandes saoudiennes. « Au fil du temps, la Commission royale a souhaité confier à l’Afalula plus de projets, signe d’une reconnaissance et d’une confiance, ce qui a impliqué cette augmentation. » Et de compléter : « Faire un état des lieux, pour un nouveau président, relève toujours de la bonne gouvernance. »
Arrestation du directeur de la Commission royale pour le développement d’Al-Ula
Difficile pour autant de faire un lien entre ce souci de bonne gouvernance et le débarquement d’Amr Al Madani de son poste de directeur de la Commission royale pour Al-Ula. Fin janvier, celui-ci a en effet été arrêté « pour son implication dans des crimes d’abus d’autorité et de blanchiment d’argent » dans de précédentes fonctions, a indiqué l’Autorité saoudienne de lutte contre la corruption. Mais l’audit sur l’Afalula en France résulte d’une demande antérieure à cette mise au pas. La conjugaison des deux opérations suscite néanmoins l’impression d’un ménage en cours dans la gestion de la transformation de la région, sur laquelle se déversent des sommes colossales attisant les convoitises. Rien que pour l’année 2021, la RCU y a dépensé 2 milliards de dollars dans des « projets de développement clé », indique-t-elle dans un rapport.
Le départ d’Amr Al Madani pourrait aussi avoir des conséquences sur le rôle de la France à Al-Ula. Depuis 2018, le volume des contrats signés par les entreprises hexagonales dans la région s’élève à 2,1 milliards d’euros. Une moisson jugée décevante en regard de l’ampleur du partenariat, qui pourrait s’expliquer en partie par un penchant du directeur de la RCU pour les projets anglo-saxons. « Dès le début, il ne voulait pas de cet accord avec la France, aussi, pendant toutes les années qui ont suivi, on a passé notre temps à courir après lui », explique un bon connaisseur du dossier, qui, dans ce contexte de concurrence anglo-saxonne, met aussi en cause « la vision “client roi” de Gérard Mestrallet » là où une « approche cocardière » est nécessaire.
Défendre les couleurs françaises : c’est justement pour relever le défi que Jean-Yves Le Drian a été nommé à la tête de l’Afalula. Les liens politiques qu’il a noués avec l’Arabie saoudite comme ministre de la défense puis diplomate – qu’il demeure en tant qu’envoyé spécial d’Emmanuel Macron pour le Liban, très lié avec Riyad – devraient l’y aider. Dans l’immédiat, il pourrait marquer un point : Riyad devrait prochainement verser la « somme » censée « soutenir le patrimoine français » encore jamais déboursée mais prévue par l’accord de 2018 sans que son montant soit défini. Celui-ci sera « très conséquent », assure une source. Seule réserve : le « fléchage » des dépenses, demandé par les Saoudiens, qui ne figure pas dans l’accord mais sur lequel les deux parties cherchent à s’entendre.