Asfari, le milliardaire qui rêve de peser sur l’avenir de la Syrie

Asfari, le milliardaire qui rêve de peser sur l’avenir de la Syrie
السبت 22 فبراير, 2025

L’homme d’affaires syro-britannique, fondateur de la plateforme de la société civile syrienne, est pressenti pour le poste de premier ministre

Par Ghazal Golshiri (à Paris) et Hélène Sallon, Le Monde

Parmi les noms qui circulent pour le poste de premier ministre en Syrie, celui d’Ayman Asfari figure en bonne place. Tout juste revenu au pays, pour la première fois depuis 2010, l’homme d’affaires syro-britannique avait décroché, le 5 janvier, un entretien avec Ahmed Al-Charaa. Alors que le nouveau dirigeant syrien portait encore peu d’attention à l’opposition en exil, le milliardaire de 66 ans, au carnet d’adresses bien fourni, déterminé à compter dans la future Syrie, avait été reçu en tant que fondateur de la plateforme de la société civile Madaniya (« civique »). Cette première prise de contact avec Ahmed Al-Charaa l’a « très agréablement surpris », « impressionné » même, confie-t-il au Monde. L’homme lui a semblé maîtriser ses dossiers. « Je n’ai absolument aucun doute sur le fait qu’il porte un véritable projet national syrien et qu’il agit dans l’intérêt du peuple syrien », estime le fondateur de Madaniya.

Le président par intérim syrien l’a assuré de son intention de former un gouvernement inclusif, d’organiser des élections libres et de garantir l’égalité de tous les Syriens en tant que citoyens. « Les promesses sont ambitieuses, mais il subsiste des interrogations et inquiétudes sur leur mise en œuvre », note Ayman Asfari. Il dit néanmoins comprendre les défis auxquels M. Al-Charaa est confronté : l’impératif sécuritaire, le délabrement des institutions, la multiplicité des dossiers et les divergences de vues dans son entourage.

Ayman Asfari a, lui aussi, visiblement fait mouche. Plusieurs experts et jeunes talents syriens qu’il a recommandés au dirigeant de Damas ont été embauchés dans les administrations. L’avocat Ibrahim Olabi, membre du conseil d’administration de Madaniya, a été nommé conseiller juridique au ministère des affaires étrangères. Hoda Al-Atassi, cofondatrice de Madaniya, et Hind Kabawat, une militante civique, ont été nommées au comité de préparation du dialogue national, les deux seules représentantes de la société civile aux côtés de cinq hommes proches d’Ahmed Al-Charaa. « On pourrait toujours dire que nous aurions aimé que le comité soit plus inclusif. Mais je comprends aussi que le gouvernement doit trouver un équilibre entre les intérêts de toutes les parties concernées. Il faut davantage de personnes compétentes. C’est la même chose pour le gouvernement. Nous attendons de voir sa composition », commente Ayman Asfari. Certains l’appuient, en coulisses, pour qu’il prenne la tête de ce futur gouvernement.

Il est apparu sur le devant de la scène lors de la conférence internationale sur la Syrie, à Paris, le 13 février. Le ministère des affaires étrangères syrien, emmené par Assad Hassan Al-Chibani, s’est associé, avec le Quai d’Orsay, à la conférence de la société civile organisée par Madaniya la veille à l’Institut du monde arabe (IMA). Ayman Asfari et son bras droit, l’urbaniste Sawsan Abou Zainedin, ont été conviés à la réunion entre diplomates français et syriens.

« Excellente réputation »
« Ayman Asfari jouit d’une excellente réputation dans la société civile. Al-Charaa attache de l’importance à son opinion, ce qui lui donne un réel levier d’action. Nous ne faisons pas confiance à Al-Charaa, mais nous avons confiance en Asfari », assure un membre de la société civile syrienne. « Ayman Asfari a clairement des ambitions politiques. Il joue le jeu de l’engagement avec le pouvoir. Il est intelligent, charismatique, mais peut-il susciter un intérêt chez Al-Charaa ? », s’interroge un diplomate.

De son positionnement vis-àvis du pouvoir, Ayman Asfari répond que « les objectifs qu’Ahmed Al-Charaa s’est fixés pour cette période de transition sont en phase avec les [leurs]. S[’ils] constat[ent] des écarts par rapport à ces engagements, il sera de [leur] responsabilité de les signaler, de proposer des corrections et de veiller à ce qu[’ils] rest[ent] sur la voie qu[’ils] souhait[ent] tous suivre ».

C’est à Paris, et à l’IMA déjà, que, le 6 juin 2023, Ayman Asfari avait annoncé le lancement de Madaniya, en présence de 170 associations membres et d’une dizaine de diplomates occidentaux. Alors que le régime de Bachar Al-Assad semblait indéboulonnable, il faisait le pari de fédérer ceux qui, en Syrie et dans la diaspora, pouvaient offrir une autre solution de gouvernance, notamment parmi la jeunesse. La plateforme offrait à cette personnalité une crédibilité.

Le pari a fonctionné. Avec 200 organisations membres et une cinquantaine d’autres en cours d’adhésion, Madaniya a établi un réseau solide. Elle a désormais un siège à Damas, dans la maison Farhi, l’ancien palais qu’avait acheté le milliardaire en 2008 au cœur du quartier juif de la vieille ville. « Nous ne pensions jamais pouvoir opérer avec un tel niveau de liberté en Syrie, après avoir longtemps dû travailler à l’étranger, ou dans la clandestinité », se félicite M. Asfari.

Au déclenchement du soulèvement syrien en 2011, de l’étranger, le milliardaire est devenu l’un des principaux financiers de l’opposition civile. Fils d’un médecin devenu député puis diplomate, ce sunnite né à Idlib en 1958 a fait ses études à l’université de Pennsylvanie (Etats-Unis). Installé à Londres, il a fait fortune dans le pétrole et le gaz. Sa société d’ingénierie pétrolière, Petrofac, a réalisé de nombreux projets en Syrie dans les années 2000. Il en a quitté la direction en 2020 après un scandale de corruption au Royaume-Uni, pour créer la société Venterra, qui fournit des services pour l’industrie éolienne offshore. «[Ayman Asfari] est une figure originale du monde des affaires, qui a une image plutôt propre et qui n’a pas été mêlé aux affaires du régime », estime un bon observateur.

La fondation qui porte son nom et qu’il a créée avec son épouse en 2006 pour financer notamment des bourses d’études pour les Syriens à l’étranger a soutenu les associations de l’opposition. En 2012, l’entrepreneur a fait un don à l’Université américaine de Beyrouth pour créer l’Institut Asfari, afin d’accompagner l’écosystème de la société civile alors en germe dans la région. Il a travaillé avec Bassma Kodmani, une figure de l’opposition syrienne décédée en 2023.

Campagne de Hillary Clinton
Longtemps donateur du Parti conservateur britannique, Ayman Asfari a aussi conseillé l’équipe de la démocrate américaine Hillary Clinton sur la Syrie, lors de la campagne de 2016 perdue face à Trump. La même année, il fait un pari sur l’avenir en reprenant pied en Syrie. Il rachète des parts de la société britannique Gulfsands Petroleum, dont les activités dans des champs pétroliers du nord-est syrien sont suspendues du fait des sanctions américaines.

Son retour à Damas, en janvier, lui a laissé un sentiment mitigé. La détérioration économique du pays et le niveau de pauvreté l’ont attristé. « En même temps, j’ai ressenti une immense joie. Beaucoup de gens ont décidé de tourner la page et regardent désormais vers l’avenir avec un certain optimisme », poursuit-il. La justice transitionnelle, le développement et la transition politique sont, à ses yeux, prioritaires.

Mais l’urgence, dit-il, est la levée des sanctions internationales. « La Syrie est comme un patient mourant qui a été transféré en soins intensifs. Aujourd’hui, alors que la Syrie est encore malade, elle doit en plus supporter le poids de sanctions paralysantes, déploret-il. Ce qui m’inquiète est que si ce gouvernement échoue dans cette période cruciale, de graves mouvements de grève pourraient compromettre tout le processus de transition politique en cours. »