Assassinat d’Ismaïl Haniyeh : la diplomatie s’intensifie pour éviter une guerre régionale entre Israël et l’Iran

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Assassinat d’Ismaïl Haniyeh : la diplomatie s’intensifie pour éviter une guerre régionale entre Israël et l’Iran
الخميس 8 أغسطس, 2024

Téhéran promet toujours une réponse « ferme », mais laisse entendre qu’une condamnation de l’Etat hébreu par le Conseil de sécurité des Nations unies ôterait toute nécessité à une riposte militaire.

Par Ghazal Golshiri et Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante), Le Monde

L’Iran était venu chercher à Djedda, en Arabie saoudite, mercredi 7 août, le soutien des pays musulmans dans l’escalade qui l’oppose à Israël. Avec la Palestine, il avait sollicité une réunion d’urgence de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), en réponse à la mort d’Ismaïl Haniyeh, le 31 juillet, à Téhéran, dans une frappe attribuée à l’Etat hébreu.

L’Arabie saoudite, leader du monde musulman sunnite, lui a donné satisfaction, en sortant du silence qu’elle observait depuis la mort du chef du Hamas pour se joindre aux condamnations des pays membres de l’OCI. « L’assassinat d’Ismaïl Haniyeh est une violation flagrante de la souveraineté de l’Iran, du droit international et de la Charte des Nations unies, qui menace de déstabiliser la région », dénonce la diplomatie saoudienne.

L’Iran était en quête d’un tel soutien depuis l’attaque, subie comme une humiliation, au cœur de sa capitale. Quand bien même Téhéran a promis d’infliger à Israël une réponse « ferme » pour restaurer sa dissuasion, le gouvernement fait d’une solution diplomatique une priorité. Le pays ne veut pas être entraîné dans une guerre ouverte avec l’Etat hébreu, qui pourrait compromettre son rapprochement avec les Etats arabes et ses efforts pour sortir de son isolement international.

Condamnation d’Israël
Depuis le 31 juillet, la République islamique s’évertue à défendre la légalité de sa riposte potentielle au regard du droit international et tente d’isoler diplomatiquement l’Etat hébreu. « Si les Etats-Unis et les pays occidentaux veulent éviter la guerre et l’insécurité dans la région, ils devraient immédiatement cesser de vendre des armes et de soutenir le régime sioniste », a ainsi exhorté, mercredi, le président iranien, Masoud Pezeshkian, lors d’une conversation avec Emmanuel Macron, selon la présidence iranienne. Téhéran « doit s’engager à appeler les acteurs déstabilisateurs qu’il soutient à la plus grande retenue, pour éviter un embrasement », a fait valoir la présidence française, appelant à « sortir de la logique de représailles ».

« Une condamnation d’Israël sur la scène internationale constituerait une grande victoire pour l’Iran, bien plus que de cibler une base israélienne », estime Hamidreza Azizi, chercheur à la Stiftung Wissenschaft und Politik, à Berlin. Dénonçant une violation de sa souveraineté et une menace à la paix et à la sécurité régionale et internationale, l’Iran invoque son « droit inhérent à la légitime défense, selon l’article 51 de la Charte des Nations unies ».

Plaider la désescalade
Comme elle l’avait déjà fait en avril, avant de mener une offensive d’ampleur contre Israël, en réponse à l’attaque du consulat iranien, à Damas, qui a tué des hauts gradés des gardiens de la révolution, Téhéran laisse entendre qu’une condamnation de l’Etat hébreu par le Conseil de sécurité des Nations unies ôterait toute nécessité à une riposte militaire. Cette condamnation n’est cependant pas venue. Washington s’est seulement défendu de toute implication dans la mort du chef du Hamas – une organisation classée terroriste par les Etats-Unis et l’Union européenne –, pour ne pas s’exposer à des représailles contre ses bases en Irak et en Syrie.

L’administration américaine dit s’impliquer « jour et nuit » dans une « intense diplomatie » pour empêcher une guerre régionale entre Israël, d’une part, l’Iran et le Hezbollah libanais, d’autre part. Les partenaires arabes et les alliés occidentaux, comme la France ou la Suisse – qui représente les intérêts des Etats-Unis en Iran –, se démènent aussi sans relâche pour plaider la désescalade. Afin d’amener l’Iran à la retenue, Washington fait valoir qu’une confrontation pourrait saper les chances de parvenir à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza.

« Nous pensons que l’on n’a jamais été aussi proche » de sceller un accord, a assuré, mercredi, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby. Le représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU, Amir Saïd Iravani, lui a répondu qu’un « cessezle-feu à Gaza et le retrait d’Israël de Gaza » étaient une priorité pour l’Iran, avec celle de « punir l’agresseur pour l’assassinat du martyr Haniyeh ». Mais la capacité de Washington à amener le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et le nouveau chef du Hamas, Yahya Sinouar, à un compromis, est mise en doute.

Alliée de l’Iran, la Russie a dépêché à Téhéran, lundi 5 août, Sergueï Choïgou, secrétaire du conseil de sécurité russe, pour transmettre aux dirigeants iraniens un message de retenue, de la part du président russe, Vladimir Poutine. « La Russie craint qu’une guerre entre l’Iran et Israël ne conduise à de lourdes attaques israéliennes contre la Syrie, qui pourrait provoquer l’effondrement du régime Assad et mettre en péril les acquis militaires et économiques russes en Syrie », indique Arman Mahmoudian, chercheur au Global and National Security Institute de l’université de Floride du Sud. L’émissaire russe a reçu de Téhéran une demande de livraison de systèmes de défense aérienne et de chasseurs Su-35.

Malgré cette mobilisation internationale, la riposte iranienne pourrait bien être « inévitable », selon des sources diplomatiques. Mercredi, le ministre des affaires étrangères iranien par intérim, Ali Bagheri Kani, a assuré qu’elle surviendrait « au moment opportun et sous la forme appropriée ». « Notre riposte viendra, elle sera forte et efficace », avait répété, la veille, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, déterminé à venger la frappe israélienne qui a tué son bras droit, Fouad Chokr, ainsi que cinq civils, dans la banlieue sud de Beyrouth, le 30 juillet. Hassan Nasrallah a, néanmoins, plaidé la mesure, avec une riposte « méticuleuse » et non « impulsive ».

Les réticences arabes
« Il est encore temps pour l’Iran de prendre la décision d’une frappe calibrée plutôt que d’une attaque d’envergure si Téhéran reçoit les garanties nécessaires », souligne M. Azizi. Selon un bon connaisseur du dossier, la retenue pourrait s’imposer à l’Iran et au Hezbollah de par la stratégie même dans laquelle ils se positionnent dans la durée. « Ils savent que la guerre va s’inscrire dans la durée, qu’il faut encaisser une riposte et une escalade mesurées pour résister sur le long terme », indique cette source, alors que le Hezbollah a déjà perdu quatre cents de ses combattants, dont plusieurs hauts gradés, depuis octobre 2023.

Si, en avril, l’Iran avait informé les Américains et les pays arabes des contours de sa riposte au préalable, elle entretient, aujour d’hui, le flou le plus total sur ses intentions. « L’attente israélienne, depuis une semaine, fait partie du châtiment », a assuré Hassan Nasrallah, raillant la fébrilité et la faiblesse d’Israël.

Washington a redit, mercredi, sa détermination à défendre l’Etat hébreu. Des navires de guerre et des avions de combat supplémentaires ont été déployés au MoyenOrient. L’alliance de défense que les Etats-Unis avait constituée, en avril, avec l’aide de pays arabes a, elle, du plomb dans l’aile. L’Egypte, la Jordanie et les pays du Golfe avaient aidé à déjouer l’attaque iranienne contre l’Etat hébreu, avec partage de renseignements et, en ce qui concerne Amman, l’interception de drones et de missiles iraniens dans son espace aérien.

Mais, lors d’une tournée régionale destinée à reformer cette alliance, le général Michael Kurilla, chef du commandement central américain au Moyen-Orient, s’est heurté aux réticences arabes. « La coalition jordanienne et golfienne contre les frappes iraniennes a été exagérée par Israël, en avril. Cette fois-ci, la Jordanie a d’ores et déjà annoncé son intention de rester neutre. Idem pour les six pays du Golfe qui ne veulent rien avoir à faire avec cette escalade », explique le politologue émirati, Abdulkhaleq Abdulla.

Ces pays, bien que peu amènes, pour certains, à l’égard du Hamas, ont été échaudés par l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, une « provocation » d’Israël qui menace de faire basculer la région dans une guerre totale, mais aussi mis en garde par Téhéran, qui a désigné comme cible quiconque interviendrait en défense d’Israël.