Par Georges Malbrunot
LES SERVICES de renseignements égyptiens ont mis en garde Israël à plusieurs reprises que le Hamas préparait « quelque chose de très important », mais leurs interlocuteurs n’ont pas tenu compte de cet avertissement, a déclaré lundi un responsable des « grandes oreilles » égyptiennes. Le bureau du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a démenti l’existence d’une telle mise en garde qui, lorsque la situation se sera apaisée, pourrait lui nuire politiquement, alors que les interrogations fusent sur la faillite des renseignements israéliens.
« Nous avons averti à plusieurs reprises les Israéliens que la situation avait atteint le point d’explosion et qu’elle serait très grave. Mais ils l’ont pris à la légère », a affirmé ce responsable des services égyptiens. « Je n’ai pas été extrêmement surpris, on peut donner du crédit à cette option », confie au Figaro un ancien membre des services de renseignements français, familier de Gaza. « Historiquement, ajoute-t-il, les services égyptiens ont toujours été très bons à Gaza, où ils disposent d’agents. En tant que voisins, ils sont directement concernés par la situation à Gaza, ils ont toujours eu peur que le conflit déborde chez eux et aujourd’hui, encore plus qu’hier, ils redoutent que la poussée militaire israélienne du nord vers le sud conduise les habitants de Gaza à se réfugier chez eux. »
L’Égypte, qui a administré la bande de Gaza de 1948 jusqu’à son occupation par Israël en 1967, a eu d’excellentes relations avec les services de l’Autorité palestinienne quand celle-ci contrôlait Gaza de 1994 jusqu’à ce que le Hamas l’évince par la force en 2007. « Amine al-Hindi, le patron des renseignements d’Arafat, était très proche d’Omar Souleiman, son homologue égyptien », se souvient l’ex-espion français.
L’Égypte, l’Autorité palestinienne et Israël partagent la même crainte des Frères musulmans, une confrérie dont la branche palestinienne est le Hamas, et dont la matrice égyptienne a dirigé le pays de 2012 à 2013, après avoir remporté les élections consécutives au renversement de Hosni Moubarak. « Depuis que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza en 2007, les liens ne se sont pas délités entre les renseignements égyptiens et les islamistes palestiniens », affirment la source française. Le Hamas dispose d’un bureau de liaison dans la capitale égyptienne.
Ces liens ont permis au Caire de jouer les médiateurs dans les précédents épisodes de guerre entre Israël et le Hamas. « Les Égyptiens sont des facilitateurs, explique l’ex-agent français, le seul point de respiration des Palestiniens de Gaza vers le monde arabe est le poste-frontière de Rafah (bombardé mardi par Israël, NDLR) avec l’Égypte. Leurs services peuvent donc recruter presque autant de sources qu’ils le souhaitent, et arracher des arrangements entre Israéliens et Palestiniens. »
Il fait peu de doutes que lorsque les armes se seront tues, les négociations entre Israël et le Hamas passeront par Le Caire pour les aspects sécuritaires et le Qatar pour les questions politiques et financières. Dès lundi, le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a multiplié les contacts avec d’autres leaders arabes pour « arrêter l’escalade ».
Si la paix israélo-égyptienne est sans chaleur depuis 1979, en revanche, la coopération sécuritaire entre le Mossad et les renseignements du Caire est bonne. L’Égypte a besoin d’Israël dans sa lutte contre les cellules djihadistes de Daech implantées dans le désert du Sinaï. Une coopération maintenue toutefois sous les radars pour ne pas heurter un sentiment anti-israélien persistant chez les Égyptiens, comme en témoigne l’assassinat dimanche de deux touristes israéliens à Alexandrie par un policier.
Alors que les relations s’étaient sérieusement dégradées entre l’Égypte et le Hamas après le renversement en 2013 du président Mohammed Morsi, issus des Frères musulmans, elles se sont améliorées à partir de 2017. Plaçant ses intérêts nationaux audessus des considérations idéologiques, Le Caire accueillit pour la première fois, cette année-là, le chef du bureau politique du Hamas, installé au Qatar, Ismaël Haniyeh. Vis-à-vis du mouvement islamiste palestinien, les services égyptiens restent toutefois très vigilants sur plusieurs dossiers. « Le Hamas doit d’abord jouer le jeu de la sécurité dans le Sinaï, sinon nous agiterons la menace de le considérer comme un mouvement terroriste », avertit une source politico-sécuritaire au Caire. En clair, que le Hamas, qui n’est pas un mouvement djihadiste, empêche le passage des plus radicaux de ses membres vers Daech dans le Sinaï, dont certains ont commis des attentats dans le passé. « Il y a aussi le dossier des tunnels entre Gaza et le Sinaï, ajoute la source égyp tienne. Le Hamas les a longtemps utilisés comme une carte dans ses négociations avec nous. »
Le Figaro