Le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant, qualifie la frappe qui a visé le commandant de cette force d’élite, Ibrahim Aqil, de « nouvelle phase de guerre ».
Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante), Le Monde
Dans les décombres d’un immeuble de dix étages de la banlieue sud de Beyrouth, les secouristes libanais continuaient de chercher des corps, samedi 21 septembre au matin. La veille, peu avant 16 heures, au cœur de ce fief du Hezbollah, alors que les rues autour de la mosquée Al-Naïm étaient remplies d’habitants revenant du travail, après avoir récupéré leurs enfants à l’école, plusieurs missiles ont visé le sous-sol de l’immeuble, tuant Ibrahim Aqil, le commandant de la force Radwan, et quinze combattants de cette unité d’élite du Hezbollah avec qui il était réuni.
Les carcasses de deux immeubles, réduits à l’état de poussière, se sont refermées comme un cercueil sur les miliciens, ainsi que sur les familles vivant aux étages. Dans un bilan provisoire, samedi matin, le ministère de la santé libanais a dénombré trente-et-un morts, dont trois enfants et sept femmes, ainsi que soixante-huit blessés. Pris de panique, et déjà terrorisés par une série d’explosions qui ont visé, mardi et mercredi, les systèmes de télécommunication du Hezbollah, au prix de trente-sept morts et de près de trois mille blessés, des habitants ont fait leurs valises et sont partis alors que les drones israéliens tournoyaient dans le ciel de Beyrouth.
Israël a choisi de n’offrir aucun répit au Hezbollah, et de balayer toutes les lignes rouges, afin d’amener, à tout prix, le parti chiite à cesser ses attaques contre son territoire. Au risque de précipiter une confrontation ouverte. En octobre 2023, peu après l’attaque du Hamas contre l’Etat hébreu, le Hezbollah a ouvert un front en soutien à la bande de Gaza, prise sous un déluge de feu israélien. Alors même que le Parti de Dieu n’a pas encore absorbé le choc de l’opération de sabotage israélienne du début de semaine, et que son chef, Hassan Nasrallah, a promis d’infliger en réponse à Israël « un terrible châtiment », la décapitation du commandement de la force Radwan est un nouveau revers de taille.
« Un grand leader djihadiste »
Dans la nuit de vendredi à samedi, le Hezbollah a confirmé la mort d’Ibrahim Aqil, le présentant comme « un grand leader djihadiste » et celle d’un autre haut cadre de la force Radwan, Ahmed Mahmoud Wehbe, dans la frappe sur la banlieue sud de Beyrouth, ainsi que la mort d’une quinzaine d’autres combattants, sans préciser ni leur unité ni le lieu de leur « martyre ». « Les commandants du Hezbollah que nous avons éliminés aujourd’hui planifiaient depuis des années leur 7 octobre [2023] à la frontière nord », avait affirmé, plus tôt, le chef de l’armée israélienne, le général Herzi Halevi.
Selon Israël, Ibrahim Aqil dirigeait les opérations du Hezbollah depuis 2004, notamment « dans les domaines des opérations antichars, des engins explosifs et de la défense aérienne ». Figure énigmatique, il a joué un rôle de premier plan dans la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, puis dans la guerre en Syrie aux côtés des forces loyales au président Bachar Al-Assad. Il aurait, toujours selon Israël, participé à des attaques et à des tentatives d’infiltration contre son territoire, dont un attentat à la bombe au carrefour de Megiddo en 2023. Il dirigeait de facto les 7 000 à 10 000 hommes de la force Radwan, rompue aux opérations spéciales et aux techniques de guérilla, après l’assassinat de Wissam Tawil en février par Israël.
L’homme, né en 1962 à Baalbek dans la plaine de la Bekaa (Est), connu sous le nom d’« Abou Tahsin », siégeait au sein de la plus haute instance militaire du parti chiite, le Conseil du Djihad, depuis 2008. Avec Fouad Chokr, le numéro deux militaire du Hezbollah, lui-même assassiné le 30 juillet dans la banlieue sud de Beyrouth par Israël, il était l’un des derniers membres encore en vie de la génération des fondateurs du Hezbollah, en 1982, et un proche de son chef Hassan Nasrallah. En 2019, le Trésor et le département d’Etat américains l’avaient placé sur la liste des personnalités terroristes mondiales et, depuis 2023, une récompense de 7 millions de dollars était offerte pour toute information le concernant.
Ancien membre de l’organisation du Jihad islamique, affilié au Hezbollah, il est accusé d’avoir été impliqué dans une série d’attentats revendiqués par la cellule terroriste à Beyrouth dans les années 1980, notamment l’attentat à la bombe d’avril 1983 contre l’ambassade américaine et la caserne du corps des marines américains, qui a tué plus de trois cents personnes, ainsi que dans des prises d’otages.
Escalade aussi à la frontière
Le Jihad islamique a aussi été impliqué dans la mort de cinquante-huit parachutistes français dans l’explosion de l’immeuble Drakkar, à Beyrouth, le 23 octobre 1983, et dans l’attentat à la voiture piégée qui a fait vingt-trois morts, dont les ambassadeurs américain et britannique, devant l’annexe de l’ambassade des Etats-Unis, le 20 septembre 1984.
Selon le quotidien israélien Haaretz, Ibrahim Aqil était sorti vendredi matin de l’hôpital après avoir été légèrement blessé dans les explosions qui ont visé les combattants du Hezbollah cette semaine. Cette information, si elle était confirmée, remettrait en cause l’affirmation, faite jeudi par Hassan Nasrallah, qu’aucun commandant du parti chiite n’avait été ciblé dans les explosions d’appareils de télécommunication, mardi et mercredi. Quoi qu’il en soit, sa mort est un nouveau coup dur pour le Hezbollah et une démonstration de la capacité de pénétration du renseignement israélien au sein de la formation chiite.
L’élimination du commandement de la force Radwan représente une victoire majeure pour Israël, qui a fait de cette unité sa bête noire. Depuis le début de la guerre, l’Etat hébreu s’est donné pour priorité de repousser ses combattants au loin de la frontière, craignant qu’ils mènent une opération d’infiltration sur son territoire. Leur ciblage au sein de la banlieue sud de Beyrouth renforce le sentiment de panique au sein de la population libanaise, et les doutes parmi les partisans du Hezbollah sur la capacité de la formation chiite à les protéger, au vu de la série de revers qu’elle a subie cette semaine.
A cette fin, Israël ne s’est aucunement embarrassé d’éviter les victimes collatérales, en violation du droit international. Vendredi soir, des photos d’habitants de la banlieue sud, portés disparus, parmi lesquels de nombreux enfants, circulaient sur les réseaux sociaux. Ils pourraient être au nombre des victimes. « Nous continuerons à poursuivre nos ennemis afin de défendre nos citoyens, même à Dahiya [la banlieue sud], à Beyrouth », a affirmé le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant, qualifiant la frappe israélienne visant Ibrahim Aqil de « nouvelle phase de guerre ».
Les derniers jours ont été marqués par une nouvelle escalade aussi à la frontière. Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’armée israélienne avait lourdement bombardé le sud du Liban. Vendredi, plus de deux cents roquettes ont été tirées par le Hezbollah en direction d’Israël. Le parti chiite a notamment revendiqué des tirs sur plusieurs sites militaires israéliens, dont une base de renseignement.
En parallèle, les Israéliens continuent, par le biais des chancelleries occidentales, à inviter le Hezbollah à baisser les armes et à choisir une solution négociée à la frontière. « La guerre n’est pas inévitable sur la “ligne bleue” [frontière tracée par l’ONU entre les deux pays], et nous allons continuer à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour essayer de l’éviter », a assuré, vendredi, le porte-parole de la sécurité nationale de la Maison Blanche, John Kirby.