Au Liban, un cessez-le-feu à sens unique

Au Liban, un cessez-le-feu à sens unique
الجمعة 23 مايو, 2025

L’armée israélienne a pilonné le sud du pays, jeudi, faisant peser des inquiétudes sur les municipales de samedi

Laure Stephan, Le Monde

Le Liban devrait être en phase de post-conflit, six mois après la fin de la guerre asymétrique entre Israël et le Hezbollah. Il en est loin, comme l'illustrent les inquiétudes portant sur la sécurité des élections municipales prévues, samedi 24 mai, dans le sud du pays. Jeudi soir, l'armée israélienne a pilonné cette région, avant ce scrutin dont le Hezbollah espère faire un plébiscite.

La fin des hostilités, prévue par l'accord de cessez-le-feu entré en vigueur le 27 novembre 2024, est à sens unique: Israël continue de recourir à la violence, le plus souvent au moyen de frappes de drones et de tirs d'artillerie. Depuis le Liban, seuls trois incidents impliquant des tirs de roquettes vers Israël ou la zone contestée des fermes de Chebaa, dont un, en décembre 2024, a été revendiqué par le Hezbollah, ont eu lieu depuis le début de la trêve.

La stratégie affichée de l'armée israélienne est de détruire les capacités du mouvement armé li-banais soutenu par l'Iran. Elle poursuit l'élimination de ses combattants, après avoir décapité son commandement lors de la récente guerre. Mais des civils sont aussi tués ou blessés lors de ces frappes récurrentes.

Ces opérations empêchent un retour à la normalité pour la population du sud du Liban, région la plus exposée aux bombardements : ils y sont quasi-quotidiens. « La guerre se poursuit, sous une autre forme », dit Riad Al-Assad, entrepreneur, qui y passe une partie de son temps.

La persistance des frappes a lieu alors que, selon diverses sources occidentales ou libanaises, les militaires libanais, avec le soutien de la Finul, la force des Nations unies déployée dans le sud du Liban, ont aujourd'hui détruit l'essentiel de ce qui restait des armes du Hezbollah au sud du fleuve Litani, qui marque l'entrée vers la zone frontalière. Plus de 7000 soldats y sont déployés, contre les 10000 prévus - les tensions à la frontière avec la Syrie, après la chute de Bachar Al-Assad, en décembre 2024, ont contraint à y conserver des troupes.

Dès lors, des questions se posent: « S'agit-il pour Israël de faire pression sur les nouvelles autorités libanaises pour qu'elles hâtent le désarmement du Hezbollah sur le reste du territoire?, interroge une source politique. De pousser le Liban vers une normalisation de ses relations avec l'Etat hébreu? Ou, dans une logique de guerre permanente, de maintenir à ses portes un pays affaibli, en y entretenant l'instabilité? »

Un incident illustre les frustrations: le 27 avril, l'armée israélienne appelle soudainement à évacuer les alentours d'un hangar, dans la banlieue sud de Beyrouth. Selon une source informée, l'armée libanaise contacte aussitôt la partie américaine, qui dirige le mécanisme de surveillance, instance prévue par l'accord de cessez-le-feu: elle veut agir elle-même, vérifier si des armes du Hezbollah sont entreposées. Il lui est répondu que la partie israélienne est injoignable. La zone sera bombardée.

La situation actuelle semble devoir durer, maintenant le Liban sur un baril de poudre et nourrissant les tensions politiques internes. « C’est la “nouvelle normalité” : les Israéliens ont les mains libres pour faire ce qu’ils veulent. Toutefois, on n’est plus dans l’intensité de la guerre [de l’automne 2024] », constate une source diplomatique occidentale.

Promesses non tenues
En acceptant le cessez-le-feu négocié par Washington, qui prévoit la fin des hostilités et l'application de la résolution 1701 des Nations unies - pas de présence militaire autre que celle de l'armée libanaise et de la Finul au sud du fleuve Litani, les autorités de Beyrouth avaient pourtant cru extraire le pays de la violence.

Quand il a reçu le texte du négociateur américain, le premier ministre de l'époque, Najib Mikati, a eu une heure pour répondre. L'un des interlocuteurs qu'il a contactés pour prendre conseil l'a alerté sur l'ambiguïté de divers articles, comme le manque de précisions sur le rôle, en cas de violations, du comité de surveillance. Mais il était trop tard pour obtenir des amendements. Et M. Mikati a appris que le président du Parlement, Nabih Berri, qui avait obtenu le ralliement du Hezbollah, très affaibli, venait d'approuver l'accord. Le cessez-le-feu est alors entré en vigueur.

Quelques mois plus tard, M. Berri ne cache pas son dépit à ses visiteurs face aux promesses non tenues par Washington, et l'absence de retour au calme. Les Etats-Unis soutiennent certes. fortement le nouveau président, Joseph Aoun, mais ils perçoivent le Liban au prisme de la sécurité d'Israël, dont ils cautionnent les actions au pays du Cèdre. La nouvelle administration américaine est inquiète à l'idée que le Hezbollah se reconstitue. M. Aoun s'est engagé à sa démilitarisation, un processus qui, selon lui, doit être politique, ce qui prendra nécessairement du temps.

Garants du cessez-le-feu, Washington et Paris se sont gardés de lever publiquement les ambiguïtés de l'accord, entretenant le flou sur ce qui relève d'une violation. Ils n'ont pas non plus fait la lumière sur l'existence d'un accord séparé entre les Etats-Unis et l'Etat hébreu - dont les médias israéliens s'étaient fait l'écho donnant à ce dernier le droit de répondre à ce qu'il considère comme une menace. Paris n'a condamné qu'à quelques reprises les bombardements israéliens. Or, même si l'influence de la France s'est réduite au Liban, plusieurs observateurs considèrent que la donne serait différente si elle prenait davantage la parole, ce qu'elle dit faire en coulisses.

« Ce n’est pas l’accord de cessez-lefeu qui pose problème, mais l’impunité dont jouit Israël », estime une source proche de Nabih Berri. Une fois les hostilités théoriquement terminées, « Israël a rasé des villages chiites frontaliers, y compris leurs infrastructures : une politique de la terre brûlée, visant à empêcher le retour des habitants », décrit la source diplomatique. Cela crée de facto une zone tampon, alors que l’armée israélienne reste déployée en territoire libanais et dit vouloir protéger le retour des habitants du nord de l’Etat hébreu.

« Les Israéliens ont cimenté leurs bases sur les cinq collines [frontalières] qu’ils occupent, et n’ont pas l'air de vouloir en partir demain. Ces cinq points n'ont rien de stra-tégique. Les Israéliens disposent de collines plus élevées sur leur territoire. Quel est l'intérêt d'une zone tampon à l'heure des drones?, interroge Ghassan Salamé, ministre de la culture et diplomate chevronné. Il s'agit plus probablement d'un gage territorial, pour faire pression sur le gouvernement [de Nawaf Salam], pour négocier plus tard. »

Le Hezbollah affirme se placer dans une position d'observateur. « Selon l'accord de cessez-le-feu, c'est à l'Etat libanais de faire face aux agressions israéliennes, dit Hassan Fadlallah, l'un de ses députés. Nous ne lui demandons pas d'ouvrir une guerre. Nous attendons de voir le résultat de ses contacts diplomatiques avec les Etats-Unis, en premier lieu, pour contraindre Israël à se retirer du territoire libanais et à cesser ses frappes. »

Leur continuation conforte le discours du Hezbollah auprès de ses partisans: l'Etat est impuissant face à Israël. Plusieurs incidents ont eu lieu dans le Sud, vivier du mouvement chiite, avec la Finul. En outre, le mécanisme de surveillance du cessez-le-feu y est de plus en plus perçu par la population comme un « mécanisme de surveillance du Liban », dit un observateur. Comme d'autres, il estime pourtant qu'une accalmie au Liban, ou un retour à davantage de violences, se joue dans l'issue des négociations entre l'Iran et les Etats-Unis.