A la faveur du recul de l’influence des pays occidentaux, Téhéran renforce ses liens avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Par Morgane Le Cam - Le Monde
Les dés géopolitiques sont relancés au Sahel depuis la succession de coups d’Etat qui ont eu lieu au Mali, au Burkina Faso et au Niger depuis 2020. Après avoir exigé le départ des diplomates et des soldats français, les militaires au pouvoir scellent de nouvelles alliances. Aux côtés de la Russie, devenue un partenaire majeur de Bamako et de Ouagadougou, l’Iran renforce aussi ses liens avec les trois pays sahéliens, quoique de façon plus discrète. Téhéran espère réduire son isolement sur la scène internationale, tout en poursuivant son combat contre les Occidentaux.
La dernière manifestation de cette récente offensive diplomatique iranienne au Sahel s’est jouée au Mali, où le Conseil national de transition (CNT, l’organe législatif de la junte) a annoncé, le 3 janvier, l’ouverture, durant l’année à venir, de « deux facultés de l’université d’Iran », « une technique et professionnelle et un centre d’innovation informatique », précise le communiqué. Cette annonce a eu lieu après une rencontre entre l’ambassadeur iranien en poste à Bamako, Hossein Taleshi Salehani, et le colonel Malick Diaw, le président du CNT. Auparavant, M. Salehani avait été reçu, en octobre 2023, par un des autres hommes-clés de la junte, le colonel Sadio Camara, puissant ministre de la défense. Dans la foulée, les deux pays s’étaient engagés à « renforcer les liens de coopération à travers la défense et la sécurité », avait précisé l’armée malienne dans un communiqué, sans donner davantage de précisions. Contacté, le ministère des affaires étrangères malien n’a pas répondu aux sollicitations du « Monde Afrique ».
Quelques mois plus tôt, en août, c’est le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir Abdollahian, qui s’était rendu à Bamako pour entamer sa tournée africaine, qui l’avait ensuite conduit en Tanzanie. Accompagné de représentants de plusieurs ministères et d’opérateurs économiques iraniens, M. Abdollahian avait assisté à la première session de la commission mixte de coopération Mali-Iran, créée à la suite de la visite de son homologue malien, Abdoulaye Diop, à Téhéran, en février 2022.
Lors de son séjour à Bamako, M. Abdollahian avait épousé à la perfection le vocabulaire populiste utilisé par la junte, en proie aux attaques des groupes djihadistes. Le chef de la diplomatie iranienne avait affirmé que « l’ingérence » occidentale en Afrique expliquait « la formation de certains groupes terroristes », selon les termes rapportés par l’IRNA, l’agence de presse officielle iranienne. Le ministre des affaires étrangères avait aussi souligné les points communs entre l’Iran et le Mali, deux pays, selon lui, « soumis à des sanctions injustes » de la part de la communauté internationale. L’Iran est régulièrement visé par des salves de sanctions américaines depuis le retrait des Etats-Unis des accords de Vienne sur le nucléaire iranien, en 2018. Le Mali a, quant à lui, subi celles imposées par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et plusieurs pays occidentaux, après les coups d’Etat d’août 2020 et de mai 2021.
Dans tout le Sahel, la diplomatie anti-occidentale et prorusse défendue par le président iranien ultra conservateur, Ebrahim Raïssi, depuis son élection en août 2021, a de l’écho. Au Burkina Faso, le régime militaire du capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir à la suite d’un putsch en septembre 2022, a annoncé, en janvier, la réouverture de l’ambassade burkinabée à Téhéran, après plus de vingt ans de fermeture.
Comme au Mali, la toute première session de la commission mixte de coopération Burkina Faso-Iran s’est tenue en octobre, après la visite, le mois précédent, d’Olivia Rouamba, alors ministre des affaires étrangères burkinabée, dans la capitale iranienne. Le président Raïssi avait profité de leur entrevue pour « faire l’éloge de la résistance des pays africains face au colonialisme et au terrorisme ».
Début novembre, auprès du chef de la diplomatie nigérienne, Bakary Yaou Sangaré, en séjour officiel à Téhéran, le président iranien a réitéré son apologie. Après avoir déclaré que l’Iran était « prêt à coopérer avec le Niger », un pays tombé sous la coupe des militaires depuis le coup d’Etat de juillet et lui aussi sanctionné par une partie de la communauté internationale, Ebrahim Raïssi a salué « la résistance du peuple nigérien contre les politiques hégémoniques européennes ».
Surfant sur la vague souverainiste qui a déferlé sur le Sahel avec l’arrivée au pouvoir des militaires, Ebrahim Raïssi tente plus largement de faire progresser l’influence iranienne en Afrique, comme en a témoigné sa tournée dans des pays d’Afrique anglophone, effectuée en juillet au Kenya, en Ouganda et au Zimbabwe. Selon le chercheur Hamid Talebian, spécialiste de la diplomatie iranienne, en accélérant son offensive sur le continent, Téhéran poursuit un objectif principal, celui de multiplier les alliances avec les pays non alignés sur l’Occident, dans un contexte de bouleversement de l’ordre mondial marqué par le recul de l’hégémonie américaine, et plus largement occidentale, au bénéfice de davantage de multipolarité.
« L’Iran considère que l’invasion russe de l’Ukraine est un signe de cette dynamique, explique le chercheur, associé à l’Institut GIGA d’études sur le Moyen-Orient de Hambourg. Depuis la guerre en Ukraine, Téhéran a renforcé sa présence et son engagement auprès des pays africains, dans le but de sortir de l’isolement tant sur le plan politique qu’économique. »
L’accès de l’Iran à des marchés commerciaux en Afrique lui permettrait de contourner en partie les lourdes sanctions (commerciales, financières et diplomatiques) imposées par les Etats-Unis par vagues successives depuis la révolution islamique de 1979 et qui asphyxient le pays. Pour Hamid Talebian, l’Iran cherche, notamment au Sahel, à accéder à l’uranium du Niger ainsi qu’à l’or du Burkina Faso et du Mali, chacun de ces pays figurant parmi les importants producteurs mondiaux de ces minerais. « Sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), l’Iran avait déjà essayé d’accéder aux ressources en uranium de certains pays africains, comme le Niger », rappelle-t-il.
Obtenir des votes en sa faveur
Sur le plan diplomatique, la construction d’alliances avec les pays africains est un moyen pour Téhéran d’obtenir des votes en sa faveur à l’ONU, notamment sur les résolutions relatives à son programme nucléaire ou aux droits de l’homme. Pour le chercheur Clément Therme, spécialiste du monde iranien, le regain d’influence de Téhéran sur le continent est aussi un moyen pour le pays de « lutter en Afrique contre l’influence de ses rivaux du monde arabe en général et de l’Arabie saoudite en particulier » et d’y « transposer son conflit économique, sécuritaire, idéologique » avec les Etats-Unis et Israël, note-t-il dans son rapport Les ambitions iraniennes en Afrique : une présence idéologique, sécuritaire et économique, publié en décembre 2022 par l’Institut français des relations internationales.
Des ambitions d’autant plus grandes que, ces dernières années, Israël, l’Arabie saoudite ainsi que la Turquie, rivaux régionaux de Téhéran, ont eux aussi accéléré leur coopération avec les pays africains. Selon Hamid Talebian, les rivalités devraient encore s’accroître sur ce terrain ces prochains mois. « Dans le sillage de cette guerre, il faut s’attendre à une plus grande ouverture diplomatique de l’Iran vers les Etats africains, dans le but d’agir contre Israël dans les instances internationales telles que l’ONU, projette-t-il. Car, dans le conflit israélo-palestinien, l’approche iranienne consiste à vouloir discréditer et isoler Israël sur le plan international. »