Le président élu façonne une équipe choisie pour sa loyauté et sa ligne radicalement pro-israélienne. Pete Hegseth, un présentateur de Fox News, sera secrétaire à la défense, Mike Huckabee, proche des évangéliques, ambassadeur à Jérusalem.
Par Piotr Smolar (Washington, correspondant), LE MONDE
Un mur d’écrans, des dossiers sur la table. Une salle spéciale est aménagée à Mar-a-Lago, dans la résidence floridienne de Donald Trump, pour former au plus vite sa prochaine administration. Le banquier Howard Lutnick conduit le recrutement sur ses instructions, en coordination avec Susie Wiles, qui dirigera le cabinet de Donald Trump à la Maison Blanche, après son investiture comme président le 20 janvier 2025. Leur objectif : tenir la promesse de rupture radicale, lancer l’offensive contre l’Etat fédéral, placer des fidèles à la tête des ministères et des agences stratégiques. La pratique du pouvoir, le périmètre du gouvernement et la réputation des Etats-Unis pourraient s’en trouver bouleversés, en rupture avec des décennies de culture institutionnelle bipartisane.
Les critères de sélection sont classiques dans le monde trumpiste. D’abord, la loyauté au chef. Ensuite, la prestance télévisée et la compatibilité idéologique. Ces trois points ont joué, bien davantage que la compétence, en faveur du nouveau secrétaire à la défense, Pete Hegseth, dont la nomination a été annoncée mardi 12 novembre. Vétéran de l’armée au sein de la garde nationale, ce diplômé de Princeton est surtout connu comme présentateur d’une émission le week-end sur la chaîne conservatrice Fox News. En mars, ce chrétien passionné, aux bras couverts de tatouages relatifs à sa foi, à l’Amérique et à ses armes, avait organisé une prière en direct. De nombreux cadres républicains au Congrès ont eu le souffle coupé en apprenant ce choix de Donald Trump.
Auteur d’un livre sur la pénétration du « wokisme » et les ravages supposés de la diversité dans l’armée – devenus des thèmes prisés du monde trumpiste –, Pete Hegseth ne possède aucune expertise des questions militaires, des enjeux de sécurité, des crises actuelles impliquant le Pentagone. Il s’oppose à la promotion des femmes dans l’armée aux positions de combat. Nomination vertigineuse.
Purge en vue
Son livre « révèle la trahison de nos guerriers par la gauche », a estimé Donald Trump dans un communiqué. Selon le Wall Street Journal, l’équipe Trump travaillerait sur un projet d’ordre exécutif mettant en place un conseil disciplinaire, extérieur au Pentagone, pour traquer les généraux de l’armée qui manqueraient des « qualités de leadership requises ». Les cadres ciblés seraient mis à la retraite. Purge promise, purge en vue.
L’absence de compétences est aussi criante dans le cas du magnat de l’immobilier Steve Witkoff, partenaire de golf du président élu. Ce dernier l’a désigné, mardi, envoyé spécial au Moyen-Orient, malgré son manque d’expérience diplomatique et de connaissance de la région. Ce choix est l’une des heureuses surprises réservées à Israël dans ces nominations.
La future ambassadrice auprès de l’ONU choisie par Donald Trump, Elise Stefanik, et l’ambassadeur désigné pour s’installer à Jérusalem, Mike Huckabee – ancien pasteur et gouverneur de l’Arkansas, très apprécié des évangéliques – forment un duo garantissant une ligne ardemment pro-israélienne, sans égard pour les Palestiniens, vus comme un peuple artificiel. Mike Huckabee estime de longue date que l’occupation n’existe pas. Seuls comptent les liens bibliques des juifs avec la « Judée-Samarie ».
En politique étrangère, Donald Trump compte renouer avec une action ultrapersonnalisée. Il est difficile de trouver une cohérence entre ses propos à l’emporte-pièce pendant la campagne et ses premiers choix, notamment celui, classique, du représentant Mike Waltz (Floride) comme conseiller à la sécurité nationale, ou celui – toujours pas confirmé, malgré les annonces de la presse américaine – du sénateur Marco Rubio (Floride) comme secrétaire d’Etat.
John Ratcliffe, ancien directeur du renseignement national, sera, pour sa part, le prochain directeur de la Central Intelligence Agency (CIA). Son profil laisse entrevoir un risque important de politisation partisane de ce poste-clé. Le premier compliment que lui a adressé Donald Trump dans un communiqué, mardi, consiste à vanter son action contre les accusations de conspiration avec la Russie ayant visé le milliardaire en 2016. Fin septembre, sur la chaîne Fox News, John Ratcliffe dénonçait les « actes de guerre » multiples de l’Iran contre les Etats-Unis, notamment dans le domaine cyber : « Malheureusement, l’Iran partage un objectif avec les démocrates : arrêter Donald Trump à tout prix. » Il estimait également que les Etats-Unis devraient « prêter assistance » à la pression militaire exercée sur Téhéran par Israël.
L’expérience du premier mandat de Donald Trump est riche d’enseignement. Le milliardaire n’a peur ni du chaos ni de la contradiction. Il ne veut pas d’aventure militaire à l’étranger. Sa grille de lecture géopolitique passe le plus souvent par la question énergétique. Il voit les alliances comme un outil historique d’abus, au détriment des intérêts américains. Enfin, Donald Trump n’a cessé de renouveler son équipe. Il eut ainsi quatre conseillers à la sécurité nationale en autant d’années. C’est un président qui se lasse facilement, qui s’irrite et traque le moindre manquement au critère majeur d’appréciation : la loyauté.
Dès lors, on peut s’interroger sur la date de péremption de l’équipe qui se dessine, à la fois sur un plan humain et sur un plan idéologique. Certains Européens s’accrochent au dernier arbre encore debout, en constatant le profil familier de Mike Waltz et de Marco Rubio. Les deux hommes partagent, il est vrai, une même vision : une défense américaine puissante, une « pression maximale » sur l’Iran, un effort bien plus grand demandé aux Européens pour leur propre sécurité et une ligne dure face à la Chine, seul rival systémique.
Mike Waltz, cadre au Pentagone sous la présidence de George W. Bush, est un vétéran de la garde nationale, déployé sur plusieurs théâtres de crise, en particulier en Afghanistan. A la Chambre des représentants, où il siège depuis 2018, il est membre de la task force sur la Chine. « Arrêter la Russie avant qu’elle n’entraîne l’OTAN, et donc les Etats-Unis, dans la guerre est la chose correcte à faire », écrivait-il, en septembre 2023, sur le site de Fox News. Mardi, sur son compte X, Mike Waltz promettait que « l’Amérique gardera ses alliés près d’elle », ce qui ne dit rien des conditions éventuellement posées.
Dans une tribune coécrite avec Matthew Kroenig, expert de la défense, et publiée dans The Economist, à quelques jours de l’élection, Mike Waltz expliquait que le prochain président devrait agir vite pour mettre un terme aux guerres en Ukraine et au Proche-Orient, afin de se focaliser sur la priorité : « Contrer la menace plus essentielle venant du Parti communiste chinois. » Mais son approche du conflit en Ukraine ne repose pas sur l’idée d’une simple capitulation de la victime envahie.
« SANCTIONS CONTRE LA RUSSIE »
Selon Mike Waltz, les Etats-Unis pourraient lever les restrictions sur les frappes en profondeur ukrainiennes sur le sol russe, maintenues par l’administration Biden. Washington pourrait aussi œuvrer à restreindre les revenus de l’Etat russe. « D’abord et avant tout, on mettrait vraiment en œuvre les sanctions énergétiques contre la Russie, expliquait Mike Waltz à la radio publique NPR, le 4 novembre. La Russie est pour l’essentiel une station-service avec des têtes nucléaires. Poutine vend plus de pétrole et de gaz par la Russie et la Chine qu’il ne le faisait avant la guerre. »
Mais cette approche vis-à-vis de la Russie pose un double problème. L’objectif de Moscou n’est pas seulement de saisir une partie de son territoire, mais de priver l’Ukraine d’un modèle de développement et de sécurité occidental. En outre, cette approche nécessiterait du temps, alors que Donald Trump a promis un règlement du conflit « en vingt-quatre heures », avant même d’entrer à la Maison Blanche.
Si la promotion de Mike Waltz est officielle, celle de Marco Rubio demeure très incertaine. Membre à la fois de la commission du renseignement et de celle des affaires étrangères du Sénat, l’élu de Floride avait été cité parmi les possibles colistiers de Donald Trump, au début de l’été, avant le choix de J. D. Vance. Marco Rubio présente un profil légitime pour ce poste de chef de la diplomatie. Sauf si l’on se place du point de vue du monde MAGA (Make America Great Again), où sa réputation de faucon exaspère, contrairement à Richard Grenell, ancien ambassadeur en Allemagne, figure trumpiste transgressive par excellence, à la réputation sulfureuse. L’absence de communiqué confirmant la nomination de Marco Rubio témoigne aussi de calculs savants sur sa succession éventuelle comme sénateur, qui dépendrait du gouverneur de Floride, Ron DeSantis. Le nom de Lara Trump, la belle-fille du président élu, aujourd’hui à la tête du Comité national républicain (RNC), est avancé.
La désignation de Marco Rubio comme chef de la diplomatie serait une promotion inespérée, mais fragile, pour ce dernier. En février 2013, le magazine Time lui consacrait sa une sous un titre flatteur : « Le sauveur républicain ». Au début des années 2010, il relayait l’orthodoxie républicaine en politique étrangère. Citant Ronald Reagan en exemple, il vante alors le rôle leader de l’Amérique dans le monde, l’importance de sa puissance militaire, la défense de ses valeurs et de ses intérêts. « L’Amérique est la première puissance dans l’histoire motivée par le désir d’étendre la liberté, plutôt que de simplement étendre son territoire », affirmait-il devant un cercle de réflexion à Washington, en 2015. On est là à mille lieues de la vision trumpiste du monde, jungle brutale et transactionnelle, où seuls comptent les intérêts.
« Marco Rubio est un poids léger complet que je n’embaucherais pas pour diriger l’une de mes plus petites sociétés », écrivait Donald Trump sur Twitter, en 2015. A l’époque, au cours des primaires républicaines, le magnat de l’immobilier appela son rival « Little Marco » ou encore « petit chiot apeuré ». Il se moqua de ses chaussures à talon efféminées et finit par imposer l’idée qu’il était trop tendre à ce niveau de compétition politique. Puis Marco Rubio, comme tant d’autres, avait posé le genou à terre devant Donald Trump.