Par Georges Malbrunot, Le Figaro
DÉCRYPTAGE - Si l’Iran s’est affaibli intérieurement depuis l’élection d’Ebrahim Raissi en 2018, le régime a renforcé ses positions régionales grâce à ses relais sur l’«axe de la résistance» à Israël et aux États-Unis.
Affaibli par une situation économique délicate et sortant d’une contestation populaire inédite, le régime iranien s’est mis en position d’affronter des temps difficiles, surtout si Donald Trump revient au pouvoir.
En 2018, le président républicain sortit de l’accord international nucléaire, signé trois ans plus tôt par l’Iran et les grandes puissances, et, dans la foulée, imposa de nouvelles sanctions qui firent trembler les dirigeants de la République islamique. Un tour de vis ultraconservateur fut alors donné avec l’élection à la présidence de la République d’Ebrahim Raissi. Depuis, le régime s’est calcifié autour d’un noyau dur, qui s’est rapproché diplomatiquement de la Russie à la faveur de la guerre en Ukraine et, au plan commercial, de la Chine.
« En perspective de l’élection américaine de novembre, l’Iran s’adosse encore plus à la Russie, constate un expert dans le Golfe, familier du régime des mollahs. Les Iraniens visent la sortie de la guerre en Ukraine, en se disant qu’il y aura à un moment ou à un autre une négociation. Ils savent qu’ils ne seront pas dans la négociation globale, mais ils se disent qu’au moins avec les Russes nos intérêts seront entendus sur une partie du sujet », qu’il s’agisse du nucléaire ou de leur influence au Moyen-Orient, jugée néfaste par la plupart de leurs voisins arabes.
Téhéran a livré des centaines de drones à Moscou, qui les utilise dans sa guerre contre l’Ukraine. La coopération avec la Russie s’est intensifiée ces dernières années. « Elle est désormais très coordonnée, ajoute la source. Moscou va finir par livrer ses avions de combat Sukhoï à l’Iran, et, en Syrie, leur coordination s’est aussi resserrée. Maintenant, il n’y a même pas une feuille de papier à cigarettes entre Téhéran et Moscou. » En retour, la Russie soutient l’entrée de l’Iran dans les Brics.
Déçu que Joe Biden n’ait pas réintégré l’accord nucléaire - ce qui aurait permis à l’Iran d’exporter davantage de pétrole et de soulager son économie - « Téhéran n’est pas particulièrement inquiet d’une victoire de Donald Trump », estime le chercheur américain d’origine iranienne Vali Nasr. Selon lui, « le régime ne voit pas une grande différence avec Trump. Biden a maintenu la politique de sanctions maximales de son prédécesseur, et, de toute façon, Trump ne pourra pas changer la réalité sur le terrain au Moyen-Orient ». À savoir que, si l’Iran s’est affaibli intérieurement, le régime a, à l’inverse, renforcé ses positions régionales grâce à ses relais sur l’« axe de la résistance » à Israël et aux États-Unis. Du Hezbollah au Liban, en passant par les milices chiites irakiennes et les houthistes yéménites, ils s’en prennent aux intérêts américains, en solidarité avec les Palestiniens de Gaza en guerre contre Israël, depuis l’attaque terroriste du Hamas dans l’État hébreu, le 7 octobre. Une attaque, qui a contrarié les plans iraniens dans la mesure où Téhéran négociait alors avec Washington un surplus de pétrole à exporter en échange d’un frein à son programme nucléaire. Ces négociations, qui avaient permis des échanges de prisonniers entre les deux ennemis, sont désormais stoppées à Oman. Quant au dégel des 7 milliards de dollars iraniens bloqués en Corée du Sud, après le 7 octobre, les États-Unis ont durci leurs conditions de transfert depuis le Qatar vers l’Iran.
Certains cercles du pouvoir iranien espèrent même une élection de Donald Trump. « Ils considèrent que Trump et Poutine négocieront la fin de la guerre en Ukraine et, à partir de là, ils espèrent que leur allié russe défendra leurs intérêts, alors qu’avec un démocrate la guerre continuera », décrypte l’expert dans le Golfe.
Vu de Téhéran, cet effet miroir entre des pôles radicaux en Iran et aux États-Unis n’est pas nouveau. « Moi, je vote Trump », confiait au Figaro quelques mois avant l’élection américaine de 2018, Hossein Shariatmadari, le patron du groupe de presse ultraconservateur Kayhan. « Avec Trump, nous avons en face de nous la vraie face de l’Amérique », se félicitait ce proche de l’ayatollah Ali Khamenei, le numéro un du régime.
Traditionnellement ces dernières décennies, le système politique iranien a souvent cherché à s’adapter à la donne américaine en faisant élire un modéré face à un modéré à Washington, et un conservateur hostile au « Grand Satan » face à un locataire de la Maison-Blanche sur une posture très ferme face à Téhéran. C’est ainsi qu’en 1997 le réformateur Mohammad Khatami, partisan d’une libéralisation du régime et d’une ouverture sur le monde, fit face à Bill Clinton. Après l’élection du « faucon » George Bush, Téhéran promut le populiste Mahmoud Ahmadinejad, avant de revenir à une figure plus modérée en la personne de Hassan Rohani, qui négocia l’accord nucléaire face à Barack Obama.
Au soutien diplomatique russe, l’Iran ajoute le rapprochement économique chinois. « Les hommes d’affaires chinois sont de retour à Téhéran », confie un diplomate sur place. À moins d’un an de la présidentielle américaine, « Pékin accélère sa coopération avec l’Iran », ajoute-t-il.
La Chine est le principal acquéreur de pétrole iranien. Ce pays se rembourse en inondant le marché iranien d’équipements et de marchandises en tout genre. Mais son rapprochement est loin d’être désintéressé, prévient l’expert dans le Golfe. Selon lui, « les Chinois vont remonter les volumes de leurs importations de pétrole iranien avant l’élection américaine pour se mettre en position de bien négocier avec le prochain président sur ce dossier. Ils se disent que de toute façon si Trump est élu, il va vouloir tout arrêter, donc il devra venir nous voir sur l’Iran ».
Quatre mois après l’attaque de son allié du Hamas, dont l’Iran n’avait pas été prévenu, Téhéran campe sur sa ligne : solidarité avec les Palestiniens mais refus d’une guerre totale avec Israël. Récemment, Washington et Téhéran ont échangé via des intermédiaires, a déclaré le chef de la diplomatie iranienne, Hossein Amir Abdollahian.
Les célébrations du quarante-cinquième anniversaire de l’avènement de la République islamique le 11 février 1979 ont donné lieu aux traditionnels slogans « Mort à l’Amérique » « Mort à Israël », mais sans déchaînement de violences. « L’Iran a suffisamment de problèmes pour ne pas en ajouter d’autres, conclut l’expert. Et d’ici à novembre, leur objectif est de remplir les caisses pour tenir ensuite. »