Avec un baril autour de 60 dollars, le royaume, qui dépend du pétrole pour ses recettes fiscales, va augmenter son endettement de 29 % du PIB en 2023 à 45 % en 2028, selon l’agence de notation S&P. Et le déficit pourrait se creuser en 2025 à plus de 6 %.
Par Julien Bouissou et Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante). LE MONDE.
Après le pétrole, la ruée vers la dette. La baisse du cours de l’or noir, précipitée par la décision des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et leurs alliés, le 3 mai, d’ouvrir les vannes de leur production, pousse l’Arabie saoudite à s’endetter pour financer ses projets pharaoniques, liés au plan de diversification économique Vision 2030. Avec un prix du baril qui devrait passer à près de 50 dollars (45 euros) en 2025 et 2026, selon les prévisions du cabinet Capital Economics, alors qu’il frôlait les 100 dollars en 2022, le royaume doit chercher de l’argent ailleurs.
Avec des recettes fiscales provenant à 61 % de la manne pétrolière, l’Arabie saoudite peut encore s’endetter massivement. En 2024, le pays a déjà emprunté 17 milliards de dollars sur les marchés, par l’émission d’obligations souveraines, soit le montant le plus élevé pour un pays émergent. L’agence de notation S&P Global Ratings estime que l’Etat saoudien et le richissime fonds souverain Public investment Fund (PIF) vont s’endetter de 60 milliards de dollars supplémentaires chaque année entre 2025 et 2028, soit l’équivalent de 4,9 % du produit intérieur brut (PIB), ce qui va faire bondir la dette extérieure de 29 % du PIB, en 2023, à 45 % en 2028. En 2014, elle n’était que de 1,5 %.
Une augmentation rapide qui ne semble pas inquiéter l’agence de notation. En mars, celle-ci a même relevé la note souveraine du pays de « A » à « A + » au motif que « la forte dynamique de croissance hors pétrole et le développement des marchés de capitaux nationaux compensent les risques liés à l’augmentation de la dette ».
Le royaume pourrait financer son développement ailleurs que dans le pétrole. L’ancien chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) pour l’Arabie saoudite, Tim Callen, souligne, dans une note pour l’Arab Gulf States Institute, à Washington, publiée le 6 mai, les progrès continus réalisés par le royaume en matière de diversification économique en 2024, notamment la croissance soutenue des exportations non pétrolières – tourisme, équipements, transports.
Pas d’impôt sur les revenus
« Sans la diversification apportée par la forte hausse des recettes touristiques ces dernières années, le déficit commercial aurait été de 33 milliards de dollars au lieu de 6 milliards en 2024 », indique-t-il. Le royaume, qui s’est ouvert au tourisme international en 2019, a enregistré 30 millions de visiteurs étrangers en 2024 et s’est fixé l’objectif de 70 millions en 2030.
Avec cette montée de l’endettement, l’Arabie saoudite doit d’autant plus veiller à ne pas creuser son déficit. Or, selon les calculs du FMI, l’équilibre budgétaire du royaume n’est atteint que si le prix du baril dépasse 90,90 dollars. Dans son budget pour l’année 2025, le royaume a prévu un déficit public de près de 27 milliards de dollars, soit 2,3 % du PIB, après avoir atteint 2,8 % en 2024. Mais avec un prix moyen du baril à 62 dollars en 2025, le déficit pourrait se creuser à plus de 6 % du PIB, selon les estimations de la banque Goldman Sachs.
Depuis son introduction en 2020, la TVA a tiré à la hausse les recettes non pétrolières. En septembre 2024, le FMI a suggéré au royaume d’augmenter encore sa fiscalité en mettant en place un impôt foncier ou un impôt sur les revenus. Des recommandations qui n’ont pour l’instant pas été suivies. « Comme dans le passé, il est probable que la consolidation fiscale passe principalement par une réduction des dépenses, notamment des investissements en capital, souligne James Swanston, analyste chez Capital Economics. Ce qui pourrait nuire à certains programmes de Vision 2030. » Le budget 2025 prévoit une réduction des dépenses de 6,5 % par rapport à l’année précédente.
Le royaume a revu à la baisse les mégaprojets qui engloutissent des centaines de milliards de dollars. La priorité est donnée aux programmes d’infrastructures prévus pour accueillir les prochains grands événements internationaux, comme l’Exposition universelle de 2030 et la Coupe du monde de football de 2034. Le PIF, qui investit dans ces projets sur capitaux propres, cherche à attirer des capitaux privés et étrangers. A la tête de plus de 700 milliards de dollars d’actifs, il a aussi annoncé qu’il réduirait la part de ses investissements à l’étranger, qui représentent actuellement le quart de son portefeuille.
De nombreux consultants issus de prestigieux cabinets, à l’instar de McKinsey, payés à prix d’or pour donner un sens et trouver une logique économique à tous ces grands chantiers, ont été renvoyés chez eux. Selon le Financial Times, qui s’appuie sur les chiffres du cabinet de recherche Source Global, le marché du conseil dans le royaume est en pleine décélération, passant d’une croissance de 38 % en 2022 à 14 % en 2024. Certes, le nombre d’expatriés employés dans le secteur privé a augmenté de 1,4 million en 2024, dont 40 % dans la construction, mais l’arrêt de chantiers commence à affecter les travailleurs migrants.
Lundi 12 mai, le quotidien népalais Kathmandu Post rapporte que 469 travailleurs du pays sont bloqués depuis huit mois en Arabie saoudite, sans travail ni salaire, après la faillite de leur employeur, une entreprise de construction. Et le Bangladesh s’inquiète d’un tarissement des offres d’emploi sur place. Selon l’agence gouvernementale Bureau of Manpower, Employment and Training, près de 29 000 Bangladais sont partis travailler en avril, soit une baisse de 63 % par rapport au mois de mars, un chiffre qui n’avait jamais été aussi bas depuis 2021. Plus de la moitié des travailleurs migrants bangladais sont employés en Arabie saoudite et envoient chaque année entre 20 millions et 40 millions d’euros à leur famille.