Par Sébastien Falletti, correspondant en Asie, LE FIGARO
DÉCRYPTAGE - Soutien ancien du régime syrien, Pékin doit s’adapter à la nouvelle donne qui affaiblit ses partenaires iranien et russe.
Avec la chute de la dynastie el-Assad en Syrie, la Chine perd un appui historique au Moyen-Orient. En retrait, Pékin scrute avec attention et une pointe d’effroi les bouleversements en cours à Damas et ses répercussions sur l’Iran et la Russie, partenaires clés de la deuxième puissance mondiale. Le régime communiste « suit de près » la situation en Syrie, a déclaré Mao Ning, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, le 9 décembre, et a appelé à une « solution politique » entre « toutes les parties », en vue d’assurer « la stabilité ». L’ambassade de Chine avait appelé ses ressortissants à quitter d’urgence le pays, alors que les troupes rebelles approchaient de Damas.
Hanté par le spectre d'une « révolution de couleurs», le Parti accueille avec un pragmatisme teinté d'anxiété la chute abrupte d'un régime autoritaire dont l'amitié remonte à l'ère Mao. Et avec suspicion l'arrivée au pouvoir des rebelles islamistes, scrutant le rôle potentiel de combattants originaires du Xinjiang, venus en Syrie s'aguerrir au djihad au fil des ans. La transition post-Assad représente un défi majeur pour la politique étrangère de la Chine. Ayant soutenu le régime et sa normalisation avec la Ligue arabe, elle risque d'étre marginalisée dans la nouvelle Syrie. Cette nouvelle réalité politique l'oblige à une approche pragmatique, juge Emilie Tran, enseignante-chercheuse à la Hongkong Metropolitan University.
La Syrie d'Hafez el-Assad fut « l'un des premiers pays arabes à reconnaitre diplomatiquement la République populaire de Chine et à soutenir la restauration légitime de son siège à l'ONU », avait rappelé Xi Jinping en septembre 2023, en accueillant en grande pompe l'héritier de la dynastie. Au cœur de la guerre froide, le parti Baas d'Assad, d'obédience socialiste, appuya naturellement le géant communiste du Grand Timonier au détriment de Taipei, en 1971, face au bloc occidental, mené par les États-Unis.
Le régime chinois a une mémoire d'éléphant et la chute spectaculaire du dictateur aujourd'hui n'est pas une bonne nouvelle pour Zhongnanhai, la discrète résidence de ses dirigeants. Elle prive l'empire du Milieu d'un partenaire stratégique dans la région, même s'il possède d'autres leviers forgés avec les puissances du Golfe, dont l'Arabie saoudite, sous l'égide de Xi. « C'est un revers en termes de prestige. Cela réduit encore le rôle diplomatique de la Chine au Moyen-Orient. Sans compter les investissements perdus, dont il sera difficile d'obtenir compensation », juge Shi Yinhong, professeur émérite à l'Université Renmin, à Pékin.
Il y a un an à peine, Xi avait déroulé le tapis rouge à Bachar à Hangzhou. Accompagné de son épouse, Asma, le dictateur syrien avait pu s'offrir une rare virée hors de son pays paria à bord d'un avion mis à disposition par Pékin, narguant les sanctions occidentales dans l'ancienne capitale impériale. Le couple avait été reçu comme des vedettes, la glamour première dame enflammant les réseaux sociaux chinois par sa prestance. Guest-star de la cérémonie d'ouverture des Jeux asiatiques, Bachar eut même droit aux acclamations de la foule, dans le stade de Hang-zhou. Une bouffée d'air au parfum de revanche pour le dirigeant assiégé, brisant son isolement et affichant sa résilience au sortir de la sanglante guerre civile.
Xi affichait alors en pleine lumière ses ambitions décomplexées au Moyen-Orient, défiant crânement Washington dans son arrière-cour. Quelques mois plus tôt, il avait parrainé une réconciliation spectaculaire entre l'Iran et l'Arabie saoudite et rêvait de faire de même entre les factions pales tiniennes. La visite d'Assad n'était pas sans arrière-pensées sonnantes, trébuchantes et sécuritaires. Le dictateur en quête de subsides avait rejoint les nouvelles routes de la soie et Pékin lorgnait la reconstruction d'une Syrie dévastée, aux besoins d'infrastructures criants.
Les services de sécurité chinois, eux, voulaient des informations sur d'éventuels combattants ouïgours, du Mouvement islamique du Turkestan oriental (ETIM), qui auraient combattu près d'Idlib. Une délégation de Pékin a visité la ville en 2021 selon le site Intelligence Online. Cette organisation combattante, agitée comme un épouvantail par le pouvoir chinois pour justifier sa reprise en main dans sa province occidentale turcophone, a été retirée de la liste des organisations terroristes par Donald Trump, en 2020, et nombre d'experts doutent qu'elle soit encore en activité.
La fuite piteuse de Bachar vers la Russie met un terme abrupt à ce tango, mais pas à l'influence chinoise grandissante au Moyen-Orient. Comme les autres puissances, Pékin doit s'adapter avec agilité à la nouvelle donne incertaine qui se dessine, mais devrait continuer à peser sur l'après-Assad, du fait de son imposant poids économique et diplomatique. Les nouveaux maitres de Damas ne pourront complètement ignorer un membre permanent du Conseil de sécurité, précieux pour balancer les pressions occidentales, et pourvoyeur d'infrastructures.
Après les revers infligés par Israël au Hezbollah et au Hamas, la chute de Damas est un nouvel échec cinglant pour l'Iran, partenaire clé de Pékin dans la région. Un coup de semonce de plus sapant l'influence de la République islamique, et dont la Chine est le principal bailleur via l'achat massif d'hydrocarbures, absorbant l'essentiel de ses exportations. Un facteur d'incertitude supplémentaire, plombant l'horizon du régime des mollahs, et semant la nervosité chez les stratèges rouges, qui redoutent un effet domino.
Néanmoins, les revers encaissés par Moscou et Téhéran laissent un vide en Syrie dans lequel la Chine pourrait à terme s'engouffrer si elle réussit à reprendre langue avec les nouveaux maitres d'un pays toujours à la merci de la guerre civile. L'affaiblissement de l'influence iranienne et russe laisse la Syrie sans partenaire économique solide, ce qui pourrait offrir à Pékin une chance d'intervenir. Les relations tissées avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pourraient faciliter cet engagement, juge Tran, spécialiste de la stratégie chinoise dans la région. À condition de naviguer adroitement, et de briser à Damas son image de puissance marraine du dictateur déchu.