Avec l’attaque contre l’Iran, Benyamin Nétanyahou joue sa survie politique

Avec l’attaque contre l’Iran, Benyamin Nétanyahou joue sa survie politique
الثلاثاء 17 يونيو, 2025

En engageant Israël dans ce nouveau conflit, le premier ministre prend le risque d’un enlisement.

Par Samuel Forey (Jérusalem, correspondance). Le Monde

Quand, quelques heures après les premières frappes sur l’Iran, vendredi 13 juin, le succès de l’attaque d’ouverture se confirme, Benyamin Nétanyahou est euphorique, selon l’éditorialiste israélien Ben Caspit : « Il parle de terminer l’ère des guerres, après la fin de celle-ci. Il parle de l’adhésion de l’Arabie saoudite, de la Syrie et du Liban aux accords d’Abraham [la normalisation des relations avec l’Etat hébreu]. Il parle de la fin de la guerre à Gaza. »

En engageant le pays dans un conflit d’ampleur avec l’Iran, le premier ministre joue, une fois encore, la surenchère – avec le risque de s’engager dans une voie périlleuse pour lui et son pays. Grâce à l’attaque contre l’Iran, il a réussi à faire oublier, pour un temps, les difficultés qui le cernaient. A commencer par les crimes de guerre sans fin dans la bande de Gaza alors que plus des deux tiers de la population israélienne demandent un accord avec le Hamas pour la libération de tous les otages. La guerre à Gaza accentuait la division à l’intérieur et l’isolement grandissant sur la scène internationale. Le mouvement antiguerre gagnait en popularité en Israël, tandis que s’annonçait, mardi 17 juin, une conférence franco-saoudienne aux Nations unies qui renforçait, même sans reconnaissance d’un Etat palestinien, l’internationalisation progressive de la question de la Palestine, qu’Israël considère comme un enjeu domestique.

Sur le plan politique, la coalition menée par Benyamin Nétanyahou n’a aucune chance d’être reconduite lors des prochaines élections annoncées en 2026, ainsi que le prédisent les sondages depuis plusieurs mois. Et le gouvernement repousse sans trancher un projet sur la conscription des hommes de la communauté ultraorthodoxe, une décision clivante à même de faire éclater la coalition.

Sur le plan judiciaire, le premier ministre doit se plier, plusieurs fois par semaine, au rituel humiliant d’assister à son procès pour corruption, fraude et abus de confiance. Le feu allumé par l’affaire des liens entre les conseillers du premier ministre et le Qatar couve toujours, promettant d’éclater un jour. Dernier danger : une crise constitutionnelle pourrait éclater à cause de la nomination d’un nouveau chef des services des renseignements intérieurs, illégale et invalide, selon la procureure générale israélienne, pour cause de conflits d’intérêts, et allant à l’encontre d’une décision de la Cour suprême.

Relation avec l’armée restaurée
Dans un tel environnement, l’attaque contre l’Iran était l’une des rares options faisant consensus en Israël. Dans une étude publiée lundi 16 juin par l’Université hébraïque de Jérusalem, 70 % des sondés soutiennent l’opération. Avec une approche très divisée selon les populations : 83 % chez les juifs israéliens, contre 12 % chez les Palestiniens de citoyenneté israélienne.

L’initiative permet à Benyamin Nétanyahou de reprendre une fois de plus la main, une constante dans la vie de cet animal politique. « Il est dans le rôle qu’il aime avoir : au centre du jeu, il dicte l’agenda. Lui comme le reste de la population ont réagi de façon euphorique, notamment parce que tout le monde est à bout après vingt mois de guerre. Mais cela va retomber », analyse Denis Charbit, enseignant à l’Open university of Israël.

L’opération permet au premier ministre de restaurer, au moins temporairement, ses relations avec l’armée israélienne, qui se libère, en partie et provisoirement, du bourbier de Gaza. Des troupes ont été redéployées dimanche de l’enclave vers les frontières nord et est du pays. « Il y avait une motivation authentique d'attaquer la République islamique à cause de la menace qu'elle représentait, » explique Ksenia Svetlova, chercheuse pour le cercle de réflexion britannique Chatham House. Benyamin Nétanyahou et l'armée sont d'accord sur le sujet. Il faudrait voir combien de temps cela va durer et quels seront les résultats de l'opération. Dégrader les capacités iraniennes ne suffira pas. Si les Etats-Unis ne se joignent pas à l'attaque, quelle sera la fin de la partie?

Passé les premiers moments fulgurants, Israël risque l'enlisement face à un ennemi lointain et déterminé. L'usine d'enrichissement de Natanz a été complètement détruite en surface, selon le chef de l'agence internationale de l'énergie atomique, Rafael Grossi. Mais il reste les installations de Fordo, profondément enfouies, et que seuls les Américains peuvent atteindre, grâce à leur bombe antibunker GBU-57. Or, Donald Trump semble toujours hésiter entre négocier et intervenir. Il en-voie à la fois son émissaire spécial pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, pour préparer un nouveau cycle de pourparlers, et déploie dans la région une trentaine d'avions ravitailleurs, ainsi qu'un porte-avions, s'ajoutant aux deux autres déjà sur place.

Pas de stratégie de sortie
L'attaque sur l'Iran, censée se concentrer sur les programmes de recherches nucléaire et balistique, se transforme, avec les attaques sur les sites de production de pétrole et médias iraniens en une guerre d'attrition visant à un changement de régime, but désormais avoué de Benyamin Netanyahou.

Au risque de l'aventurisme: Il est cohérent sur un point: il n'a pas de stratégie de sortie. Ni pour Gaza, ni pour la conscription des ultraorthodoxes, ni pour l'Iran. Tout au long de sa carrière, il a commandé les plats les plus chers du menu, pensant que quelqu'un d'autre paierait l'addition, note l'éditorialiste du Yedioth Aharonoth.

De fait, la carrière politique de M. Nétanyahou a été marquée par deux lignes directrices. La première a consisté à gérer plutôt qu'à résoudre le conflit israélo-palestinien, avec notamment le maintien du Hamas considéré comme sous contrôle à Gaza pour diviser et décrédibiliser le mouvement national palestinien. Cette approche a mené au désastre du 7-Octobre. La seconde a été de désigner, depuis quelque trente ans, l'Iran comme un ennemi existentiel d'Israël.

Si l'Etat hébreu emporte une forme de victoire contre la République islamique, Benyamin Nétanyahou pourra masquer l'échec de sa stratégie sur la question palestinienne derrière cette réussite. Et peut-être se maintenir au pouvoir. Sinon, il restera comme celui qui aura enfoncé Israël dans des guerres sans fin. Plus que jamais, il a lié son destin avec celui de son pays. Pour le meilleur et pour le pire.

En trois jours de guerre avec l'Iran, Israël compte 21 morts et nombre de dégâts, tant sur les sites civils que stratégiques, comme la raffinerie de Haïfa, mise à l'arrêt à cause d'une frappe de missile balistique iranien. Mardi matin, 20 missiles iraniens ont visé Israël; la plupart ont été interceptés. L'attaque a fait cinq blessés.