Par Georges Malbrunot, Le Figaro
DÉCRYPTAGE - Contre la volonté de l'Iran, les islamistes ont élu le chef de la branche militaire à la tête de leur bureau politique.
En désignant Yahya Sinwar comme son chef, une semaine après l’assassinat d’Ismaël Haniyeh à Téhéran, le Hamas a privilégié une réconciliation palestinienne en vue de l’après-guerre à Gaza, ainsi que de bonnes relations avec l’Égypte. Quitte à lancer un défi à Israël, qui l’accuse d’être le cerveau de l’attaque terroriste du 7 octobre qui fit plus de 1100 morts, dans l’État hébreu. « La nomination de l’archi-terroriste (…) est une raison supplémentaire de l’éliminer », a réagi le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz.
«C’est Sinwar qui détenait de toute façon la première et la dernière décision au sein du Hamas depuis le 7 octobre», confie au Figaro une source palestinienne, qui le connaît. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, n’a pas dit autre chose : «Sinwar a été et reste le décisionnaire en ce qui concerne la conclusion d’un cessezle-feu» entre le Hamas et Israël, perspective qui constitue la clé de voûte des efforts américains pour s’extraire de l’engrenage de la violence à Gaza mais aussi entre Israël et le Hezbollah au Liban.
En vue de l’après-guerre, «Sinwar est convaincu qu’il faut inclure toutes les factions palestiniennes dans une structure représentative, y compris Mohammed Dahlan avec lequel il s’est réconcilié au Caire il y a quelques années», explique la source, qui le rencontrait régulièrement jusqu’au 7 octobre. Jadis à la tête d’un service de sécurité palestinien, Dahlan fut l’un des plus farouches adversaires des militants islamistes, qu’il a emprisonnés dans les années 1995-1997 danslabandedeGaza.
Si Yahya Sinwar entretient des relations aigres-douces avec le Qatar, son bailleur de fonds, il s’est, en revanche, rapproché de l’Égypte à partir de sa prise du pouvoir du Hamas à Gaza en 2017, après la rupture de 2013, lorsque l’armée égyptienne s’est lancée dans une sanglante répression des Frères musulmans. L’aide que Sinwar a apportée aux services de renseignements égyptiens dans la traque des salafistes radicaux de Gaza,qui se réfugièrent alors dans le Sinaï voisin, reste appréciée au Caire, l’autre médiateur avec le Qatar en vue d’un cessez-le-feu à Gaza. «Sinwar n’avait pas apprécié la manière dont les Frères égyptiens avaient géré leurs deux années au pouvoir au Caire, il a pris ses distances avec eux après», relève l’expert palestinien.
«Sinwar n’est pas dans l’orthodoxie frériste, ajoute-t-il. Ce qui compte pour lui, c’est le combat militaire pour épuiser l’armée israélienne et mettre un terme à l’occupation» des Territoires palestiniens. «C’est pour cela, toujours selon notre source, qu’il n’a jamais été pour un gouvernement palestinien gérant une occupation. Pour lui un tel gouvernement est un fardeau.»
Au cours des derniers mois de négociations, et sous la pression, Sinwar a fini par accepter le principe d’un «gouvernement de technocrates» pour gérer l’après-guerre à Gaza. Il s’inquiétait du sort des survivants de la branche armée du Hamas, afin qu’ils échappent à la vindicte de ceux qui prendraient le relais de la sécurité à Gaza.
Avant l’assassinat de Haniyeh, «les discussions internes au Hamas opposaient ceux qui voulaient que leurs combattants abandonnent leurs armes pour être intégrés dans une nouvelle force de sécurité à Gaza. Sinwar, lui, s’y opposait», écrit sur X le spécialiste israélien du Hamas, Gershon Baskin.
Son modèle serait le Hezbollah libanais, une milice qui n’a pas la gestion quotidienne des affaires mais contrôle la situation sur le terrain. Est-il pour autant l’homme de l’Iran à Gaza? «Sinwar n’est l’homme ni de l’Iran, ni du Qatar, ni de personne, c’est d’abord l’homme de Gaza», rectifie l’expert palestinien, qui le connaît depuis les bancs de l’université il y a quarante ans. C’est pour cette raison qu’il voit d’un assez mauvais œil le zèle de ses alliés yéménites, les rebelles houthistes, dont l’activisme anti-occidental en mer Rouge échappe à son contrôle. «Il cherche à surveiller leur lutte», poursuit l’expert. Sa désignation confirme enfin le rôle prééminent de la branche «intérieure» par rapport aux membres de la branche politique du Hamas, exilés au Qatar, notamment Khaled Mechaal que Sinwar n'aime guère.
Sa désignation a donné lieu à un couac révélateur des luttes d’influence pour contrôler le Hamas. «L’Iran voulait son homme, Mohammed Ismaël Darwich, une figure peu connue, l'information a fuit auprès de nombreux journalistes, mais la plupart des dirigeants du Hamas, et notamment Khalil al-Hayya, qui est l’homme de Sinwar à Doha, s’y sont opposés», décrypte la source palestinienne.