Moyen-Orient. Sous la pression de leurs adversaires, les alliés de l’Iran subissent une série de revers militaires et diplomatiques sans précédent ces dernières semaines.
Par Corentin Pennarguear, L'EXPRESS
L’instant se veut solennel, en ce matin de décembre 2022 à Téhéran. Dans sa résidence à l’angle des rues Azerbaïdjan et Palestine, le Guide suprême, Ali Khamenei, a réuni ses principaux ministres, ses généraux et ses commandants des Gardiens de la révolution. Le chef de l’Etat iranien leur annonce qu’il veut mettre fin à l’isolement régional dans lequel le régime s’embourbe depuis 2018 et la fin de l'accord nucléaire international. Le pays est exsangue, l’inflation explose et les Iraniens ont pris la rue après le meurtre de Mahsa Amini lors d’un contrôle de police, pour un voile mal mis. Il est temps de reprendre langue avec les autres puissances de la région, dont l’Arabie saoudite. Trois mois plus tard, en mars 2023, un accord est signé avec Riyad, sous l’égide de la Chine.
La stratégie d’apaisement de Khamenei prend forme, mais ses alliés du Hamas vont tout changer le 7 octobre de cette même année : en menant leur raid sur Israël, massacrant près de 1 200 personnes et capturant plus de 200 otages, l’organisation terroriste palestinienne, armée et financée par Téhéran mais qui semble avoir agi sans son aval, provoque un séisme au Moyen-Orient. Ses secousses, et la réplique israélienne, balaient aujourd’hui un à un les alliés du régime des mollahs dans la région. "L’Iran ne l’admettra jamais mais il subit de lourds revers stratégiques en cascade, souligne Bilal Saab, du Royal Institute of International Affairs de Londres. Son objectif était de relier tous les champs de bataille sur lesquels il a de l’influence pour frapper et déborder Israël, mais Tsahal a réussi à bloquer ce projet grâce à sa force brute."
Hamas et Hezbollah, deux alliés clés neutralisés par Israël
Après le 7 octobre, l’Iran mobilise pour la première fois l’ensemble de ce qu’il nomme "l’axe de la Résistance", qui comprend le Hamas palestinien, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et ses milices chiites en Syrie et en Irak. Son but : affaiblir Israël en multipliant les fronts de combat et les menaces potentielles. Mais Tsahal répond à la force par la force, en déchaînant toute sa puissance sur la bande de Gaza, avec le soutien presque sans faille des Américains. Résultat, le Hamas perd des milliers d’hommes et le contrôle sur son enclave. Tous ses chefs sont éliminés, ses combattants se terrent dans des tunnels et mènent désormais des opérations de guérilla contre l’armée israélienne. Un soldat de moins pour l’Iran.
La secousse du 7 octobre frappe ensuite plus au Nord, au Liban, où agit le Hezbollah. Pendant huit mois, la milice chiite surarmée se contente d’une guerre dite "de basse intensité", menant quelques offensives le long de la frontière israélienne et tirant des roquettes de manière presque quotidienne. En septembre, l’establishment israélien décide de se débarrasser de cette menace. L’offensive au Liban est lancée. En quelques jours, le leadership du Hezbollah - dont son chef Hassan Nasrallah - est décapité, son système de communication mis hors service par l’explosion simultanée des milliers de bipeurs de ses combattants. La déroute est quasi-totale.
Fin novembre, la milice chiite se retrouve contrainte de signer un cessez-le-feu qui la place en position de faiblesse, l’obligeant à se retirer du Sud-Liban tout en restant sous la menace des bombardements israéliens. Surtout, l’organisation n’a rien obtenu de ses demandes initiales. "Jusqu’à présent, le Hezbollah conditionnait l’arrêt des combats à la fin de l’offensive israélienne contre le Hamas, note Bilal Saab. En acceptant ces termes du cessez-le-feu, qui dissocient le Liban et Gaza, le Hezbollah abandonne littéralement le Hamas et toute notion d’interdépendance stratégique, du moins pour le moment." Une autre défaite iranienne. "L’axe Iran-Hezbollah se trouve gravement endommagé, souligne l’analyste israélienne Sarit Zehavi, du Alma Research and Education Center. Cet affaiblissement réduit de manière immédiate les menaces qui pèsent sur la frontière nord d’Israël et offre une bouffée d’oxygène à la stratégie de défense israélienne."
Téhéran a toujours considéré le Hezbollah comme sa pièce maîtresse, le joyau de son réseau de proxys au Moyen-Orient. A la fois organisation militaire capable de se doter de 50 000 soldats et 150 000 roquettes, la milice peut aussi bloquer le jeu démocratique libanais grâce à la place centrale de son parti politique au Parlement. L’offensive israélienne l’oblige à revoir toute sa stratégie libanaise. "L’Iran a vu son allié se faire démolir par Israël et, comme dans un match de boxe, il a jeté la serviette au sol avant que son combattant ne soit complètement détruit", estime Bilal Saab. Des sources israéliennes indiquent que Tsahal a neutralisé 80 à 85 % des capacités militaires du Hezbollah, suffisant selon elles pour éliminer cette menace libanaise pendant au moins plusieurs années.
Assad, prochain domino à tomber ?
Les secousses font maintenant trembler le plus faible de la bande, celui qui se tenait à bonne distance du combat depuis le 7 octobre : Bachar el-Assad, membre de l’Axe de résistance rendu impuissant par la faiblesse de son propre régime après treize années de guerre civile. Le dictateur syrien ne devait sa survie qu’aux interventions conjuguées de la Russie et de l’Iran, appuyés par les hommes du Hezbollah. Moscou empêtré en Ukraine, le Hezbollah écrasé par Israël, Damas doit se reposer sur le seul régime iranien pour se défendre. Les groupes rebelles syriens et les djihadistes ont su en profiter fin novembre.
En trois jours, ils ont saisi Alep, la deuxième ville du pays, et Hama, la quatrième, ce jeudi. Le régime syrien semble en déroute et ne peut compter que sur l’arrivée imminente de milices chiites irakiennes, fidèles à Téhéran. Les soldats d’Assad, sous-payés, prennent la fuite devant les rebelles, qui avancent à toute vitesse vers Damas. Un scénario catastrophe pour les Iraniens. "L’Iran a investi dans les infrastructures militaires de la Syrie, y compris pour la fabrication d’armes sophistiquées qui servaient au Hezbollah, explique Sarit Zehavi. L’avancée des factions rebelles menace ces infrastructures et les réseaux d’armement du Hezbollah, ce qui altère gravement les ambitions régionales de l’Iran."
En 2011, le régime iranien avait vu dans la guerre civile syrienne une opportunité en or d’amplifier son influence régionale, en tenant à bout de bras Bachar el-Assad. C’est d’ailleurs Téhéran qui a demandé, en 2015, l’intervention militaire de Moscou, alors que le régime syrien se trouvait sur le point de chuter. Depuis, les deux puissances, Iran et Russie, se partageaient les contrats et le contrôle de vastes zones en Syrie. "Mais si la Russie a une importance stratégique évidente pour le régime syrien, l’Iran est absolument essentiel à sa survie, explique l’analyste syrien Haid Haid, de la Chatham House. Assad se repose sur des milices pro-Iran pour sécuriser d’immenses territoires, il dépend financièrement de l’Iran pour garder son économie à flot et son régime ne tient que grâce au pétrole envoyé chaque mois par Téhéran." Des dépenses de l’Etat iranien qui se comptent en milliards de dollars sur plusieurs années et qui lui sont aujourd’hui reprochées lors des manifestations.
Les dangers d’un "nouveau" Moyen-Orient
Mais une question centrale se pose aujourd’hui : l’Iran a-t-il les moyens militaires de maintenir en vie le régime Assad ? Sans le Hezbollah et avec la défense de son propre territoire à assurer depuis les frappes israéliennes du 26 octobre sur son sol, le régime de Téhéran laisse planer le doute, alors que les rebelles avancent. La défense de Bachar el-Assad pourrait finalement s’avérer trop coûteuse pour une République islamique bientôt confrontée au retour de Donald Trump et de sa politique de "pression maximale" sur l’Iran.
Depuis des années, Benyamin Netanyahou répète que son objectif consiste à créer un "nouveau Moyen-Orient", dans lequel Israël serait en paix avec ses voisins arabes et l’Iran deviendrait une menace sous cloche. Le 7 octobre a déclenché ces grandes manœuvres et accélère l’Histoire, par la force. Le Premier ministre israélien compte aller encore plus vite et plus loin avec le retour de son allié Trump à la Maison-Blanche, le 20 janvier prochain.
Mais si cet affaiblissement de l’axe iranien sert les intérêts d’Israël à court terme, il fait surgir un problème majeur : personne n’est capable de contrôler l’étendue et la force du séisme en cours en Syrie. "La fragmentation accentuée du pays pourrait voir des groupes non-étatiques s’emparer d’armes élaborées, avec tous les dangers afférents, alerte Sarit Zehavi. Ce qui nécessitera un engagement et des mesures fortes en retour." Un "nouveau Moyen-Orient" finalement tout aussi périlleux que l’ancien.