Sara Daniel – Le Nouvel Observateur
Le ministre libanais de la Culture réclame la censure du film de Greta Gerwig, accusé de faire « la promotion de l’homosexualité ». Une demande qui intervient alors que le pays du Cèdre est le théâtre d’une intense campagne anti-LGBTQ + orchestrée par le puissant Parti de Dieu qui, au-delà du caractère idéologique des attaques, cherche à détourner l’attention de son échec politique.
Le Liban, un des pays les plus libéraux du Moyen-Orient, sera-t-il privé du blockbuster « Barbie » ? Son ministre de la Culture a annoncé avoir demandé l’interdiction du film qui évoque en les détournant les codes de la poupée de Mattel estimant que celui-ci fait « la promotion de l’homosexualité ». Mohammad Mortada a ainsi estimé que le film, qui devait sortir dans le pays le 31 août, « va à l’encontre des valeurs morales et religieuses au Liban ». « Barbie » ferait ainsi « la promotion de l’homosexualité et du changement de sexe, soutient le rejet de la tutelle du père, ridiculise le rôle de la mère et remet en question la nécessité du mariage et de la formation d’une famille ». Rien que cela.
Alors que les autorités libanaises continuent de se référer à l’article 534 du Code pénal qui criminalise toute relation sexuelle « contre nature », les abus contre la communauté LGBTQ+ ont augmenté depuis le début de la crise économique et politique qui ravage le pays. C’est le puissant Parti de Dieu, le Hezbollah pro-iranien, qui mène la campagne. En juillet dernier, son chef, Hassan Nasrallah, dans un de ses discours f ilmés et largement partagés sur les réseaux sociaux, a affirmé que les « liwat » (terme péjoratif désignant les homosexuels) devaient être tués selon les enseignements coraniques.
Au-delà du caractère idéologique de ces attaques, quels en sont les objectifs politiques ? Rappelons que le Liban traverse une période tumultueuse marquée par des conflits internes, une inflation galopante et une crise économique sans précédent. La chute de la livre libanaise a entraîné une dévaluation drastique, annihilant les retraites des citoyens et provoquant la fermeture des banques internationales. D’après Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du Hezbollah, cité par le quotidien libanais « l’Orient-le Jour », cette démarche est « une attaque préventive contre une éventuelle promotion des droits des LGBTQ+ orchestrée par l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth, ainsi que d’autres ambassades occidentales ». Mais selon d’autres observateurs, si le Hezbollah s’en prend à cette communauté, c’est pour désigner un bouc émissaire qui lui permet de détourner l’attention de son échec politique. Car il a été un soutien majeur du gouvernement de transition qui s’est montré totalement inefficace face à la crise économique et politique. La démission du Parti de Dieu après l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth a laissé un vide politique rendant encore plus difficile la formation d’un nouveau gouvernement capable de répondre aux besoins urgents du pays.
C’est dans ce contexte que, le 10 août dernier, l’armée libanaise a annoncé avoir saisi des munitions dans un camion du Hezbollah qui s’était renversé à l’est de Beyrouth. Des sources sécuritaires régionales, citées par la chaîne israélienne Kan, ont estimé que le camion transportait des missiles antichars envoyés par l’Iran à son groupe terroriste mandataire au Liban… L’accident a causé la mort de deux personnes et déclenché des affrontements avec les habitants d’une ville chrétienne locale qui réclament, comme la plupart de ses opposants, le désarmement de la milice. Car le Hezbollah est la seule formation au Liban à avoir conservé ses armes après la fin de la guerre civile, au nom de la « résistance contre Israël ».
Les provocations continuelles entre Israël et le Hezbollah suscitent l’inquiétude de tous les observateurs. Exacerbées par la présence de groupes armés dans les régions frontalières, elles pourraient dégénérer en un nouveau conflit ouvert. Le facteur clé à surveiller est l’intention du Hezbollah de déstabiliser le Liban pour pouvoir s’emparer du pouvoir, en utilisant la crise comme un tremplin pour atteindre, avec son sponsor iranien, ses objectifs régionaux. Le Liban, ex-Suisse du Moyen-Orient, deviendrait alors son Afghanistan.