Benyamin Netanyahou au Figaro : «C’est une guerre de civilisation !»

Benyamin Netanyahou au Figaro : «C’est une guerre de civilisation !»
الأربعاء 19 يونيو, 2024

Par Renaud Girard

ENTRETIEN EXCLUSIF - Pour le premier ministre israélien, «il n’existe pas d’État palestinien» et Israël gardera le contrôle de la sécurité «du Jourdain à la mer».

C’est dans son bureau situé au centre de la Kyria, le complexe de l’état-major de Tsahal à Tel-Aviv, que nous a reçu, devant une carte du Moyen-Orient, celui qui, à 74 ans, vient de dépasser le record de longévité de Ben Gourion à la tête de la nation israélienne.

LE FIGARO. - Que pensez-vous du plan de Joe Biden pour un cessez-le-feu à Gaza, qui a été repris dans une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ?

BENYAMIN NETANYAHOU. - Nous avons accepté un cessez-le-feu provisoire, afin de libérer les otages. Le Hamas refuse de les relâcher, car il exige un cessez-le-feu permanent, qui laissera ces terroristes maîtres de Gaza et prêts à réitérer des massacres du type de celui du 7 octobre 2023 - brûler des bébés, violer des femmes, kidnapper des survivants de l’Holocauste. Aucun gouvernement responsable ne l’accepterait. Tout le monde reconnaît aujourd’hui que c’est Sinwar (le chef militaire, NDLR) et les dirigeants du Hamas qui font obstacle à un accord. La guerre peut s’arrêter demain s’ils capitulent sans conditions et relâchent les otages.

Faut-il qu’ils quittent Gaza et partent à Alger ou ailleurs ?

C’est quelque chose qui peut s’envisager, le jour venu.

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a requis l’émission d’un mandat d’arrêt contre vous et votre ministre de la Défense, vous accusant d’affamer la population palestinienne. Quelle est votre réaction ?

Ma réaction est la même que celles de nombreux dirigeants, notamment le président des États-Unis, qui ont dit que c’était scandaleux. La requête du procureur est doublement erronée. Premièrement, elle repose sur une fausse symétrie entre les dirigeants d’Israël démocratiquement élus, livrant une guerre juste, avec des moyens légitimes, et l’organisation terroriste et génocidaire qu’est le Hamas. C’est comme si la CPI avait mis sur le même banc des accusés Churchill, de Gaulle et les dignitaires nazis ; ou encore George W. Bush et Ben Laden. Deuxièmement, la requête du procureur accuse Israël de cibler délibérément des civils. La réalité est qu’Israël fait juste le contraire. Tsahal a pris des mesures qu’aucune armée contemporaine n’a prises dans le combat urbain pour limiter les victimes collatérales : en envoyant des SMS, en lâchant des tracts aux civils des zones qui vont être investies pour leur demander de les quitter, notre armée abandonne volontairement l’effet de surprise. C’est pour cela que le ratio de tués civils/ combattants - environ un pour un - est le plus bas des guerres contemporaines, alors que le Hamas utilise les civils comme autant de boucliers humains.

Et l’accusation d’affamer délibérément la population de Gaza ?

C’est de la calomnie. Nous avons permis à 25 500 camions d’entrer dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre, qui ont apporté plus d’un demi-million de tonnes de nourriture et de médicaments. Nous avons bitumé de nouvelles routes et ouvert de nouveaux points de passage pour ces camions. Nous avons permis des parachutages et des accès maritimes à l’aide humanitaire. À cause de notre politique, le prix des denrées alimentaires à Gaza a baissé de 80 %.

Mais le procureur n’a pas pris en compte cela ?

S’il avait fait son travail de recherche des faits en effectuant une visite en Israël, il aurait vu tout cela. Mais il a annulé son voyage sans explication pour, le lendemain, publier cette requête calomnieuse. Il n’a même pas proposé à Israël de mener sa propre enquête, alors qu’il sait parfaitement bien que notre pays a une justice particulièrement indépendante. Le principe de la complémentarité fait obstacle à la compétence de la CPI, quand il s’agit d’un pays doté d’une justice indépendante. De surcroît, Israël, qui n’a pas signé le Statut de Rome, conteste la compétence de la CPI. La CPI n’a pas non plus la compétence sur les territoires de Judée-Samarie (la Cisjordanie) et Gaza, car l’État palestinien n’existe pas.
Si les juges de la CPI suivaient le procureur et accusaient Israël de pratiquer une politique volontaire de famine et d’assassinat de civils, une telle calomnie alimenterait gravement le feu de l’antisémitisme dans le monde, et détruirait le crédit international de la CPI. Ce serait un dangereux précédent judiciaire, s’opposant au droit des démocraties à se défendre. La France a elle-même souffert du terrorisme et doit bientôt accueillir sur son sol les Jeux olympiques. Si vous permettez au terrorisme de réussir en un lieu, il se répandra ensuite partout. Il faut que vous compreniez bien, vous, les Occidentaux, que c’est une guerre de civilisation ! Israël est aux avant-postes, sa victoire contre le terrorisme sera aussi votre victoire.

En Israël, en Cisjordanie et à Gaza vivent aujourd’hui sept millions de Juifs et sept millions d’Arabes. Comment voyez vous la cohabitation dans les cinquante prochaines années de ces deux communautés qui ne semblent pas partager les mêmes valeurs ?

Les Israéliens veulent vivre en paix avec leurs voisins palestiniens. Mais malheureusement, au cours des cent dernières années, les Palestiniens ont été pris en otages par leurs dirigeants nationalistes, dont le seul objectif a toujours été la disparition de l’État juif, avant comme après sa création, en 1948. Le grand reporter Albert Londres, qui vint ici dans les années 1930, l’avait déjà remarqué. Il a écrit que la devise biblique affichée à la municipalité de Tel-Aviv était : « Nous construirons et reconstruirons », alors que les Arabes palestiniens étaient « en permanence incités à détruire et redétruire ». Malheureusement, c’est ce qui est arrivé au mouvement palestinien depuis cette époque. Il refuse de reconnaître au peuple juif le droit à un État, quelles qu’en soient les frontières.

Quelle est votre position sur la création d’un État palestinien ?

L’État juif d’Israël, avec ses citoyens non juifs dotés des mêmes droits, va continuer à survivre et à prospérer. En ce qui concerne les Palestiniens vivant dans les territoires contrôlés par eux, ils devront avoir tous les pouvoirs pour se gouverner eux-mêmes, mais aucun pour nous menacer. Cela signifie que, dans un avenir prévisible, Israël devra garder le contrôle de la sécurité, du Jourdain à la mer. Si nous abandonnions notre contrôle sur la Judée et la Samarie, l’Iran s’en emparerait immédiatement, via le Hamas ou d’autres groupes islamistes. Nous avons vu cela à maintes reprises, à Gaza comme au Liban.

Avez-vous l’intention de faire la guerre au nord, en territoire libanais ?

Ce qui arrive dans le nord d’Israël ne peut pas continuer. Aucune nation au monde n’accepterait le bombardement de ses villages. Pourtant, le Hezbollah bombarde quotidiennement nos villages. Cette crise peut se résoudre de deux manières : par la diplomatie ou par la guerre. Je n’en dirai pas plus.

Durant le G7, le président français a proposé une initiative trilatérale (USA, France, Israël) sur le Liban. Qu’en pensez-vous ?

Trop de chefs en cuisine gâtent la soupe. J’ai toujours pensé que la France, qui a des liens historiques avec le Liban, devrait placer ses efforts sous le leadership des États-Unis. Je dois ajouter que le crédit accordé à la France par les Israéliens a été récemment entamé par l’exclusion des exposants israéliens d’Eurosatory. Cela m’a beaucoup déçu, car cela n’envoie pas le bon message à nos ennemis communs.

Dans votre autobiographie, vous écrivez que l’un de vos premiers objectifs a toujours été de débarrasser Israël du risque nucléaire iranien. Eu égard à l’histoire des Perses et des Juifs, vous croyez vraiment que l’Iran veut la destruction de l’État juif ?

Le leader suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, ne cesse de le répéter dans ses tweets. L’endiguement de l’expansionnisme iranien commence par une victoire à Gaza. Nous devons tout faire pour empêcher les Iraniens d’acquérir l’arme nucléaire. S’ils l’obtenaient, ils bouleverseraient l’ensemble du Moyen-Orient, puis menaceraient l’Europe. Ils développent en effet des missiles balistiques à longue portée, aux fins de cibler un jour les capitales occidentales, y compris Washington. Ils possèdent déjà des missiles capables de frapper Israël.

Que veut au juste l’Iran, selon vous ?

Le régime des mollahs ne cherche pas qu’à survivre. Il a une idéologie, qui est celle de soumettre le monde à leur islam chiite extrémiste. Ses premières victimes sont les Iraniens et les Iraniennes, gens très doués, nourris par une très ancienne culture. Kissinger m’a dit un jour que l’Iran devrait décider une fois pour toutes s’il veut être un pays ou seulement une cause. Les mollahs ont choisi la deuxième option. Ils défient notre civilisation : regardez ce qu’ils font aux femmes, aux homosexuels, aux droits de l’homme. J’ai vu, dans des manifestations à Paris, des pancartes « Gays avec Gaza » ou « Les femmes pour Gaza ». Cela est absurde car les homosexuels sont pendus à Gaza, et les femmes y sont considérées par le Hamas, mouvement armé par l’Iran, comme des biens mobiliers. Cela dit, la plupart des citoyens en Occident n’adhèrent pas à ces protestations anti-israéliennes, car ils comprennent que l’enjeu en est notre civilisation, construite sur la liberté et la tolérance.

L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont reconnu l’État de Palestine. Quelle est votre réaction face à cette reconnaissance ?

Il n’existe pas d’État palestinien. En faisant cela, ces trois pays ont, à grande échelle, récompensé le Hamas pour ses massacres terroristes du 7 octobre 2023. Tuez les Juifs ! Décapitez des femmes après les avoir violées ! Brûlez des bébés vivants ! Kidnappez des civils !…. et vous serez récompensés par l’obtention d’un État ! Cela signifie la banqueroute morale et intellectuelle des gouvernements de ces trois pays européens.

L’Arabie saoudite s’est placée plus ou moins du côté d’Israël pour contrecarrer le raid aérien iranien du 13 avril 2024 contre l’État hébreu. Quelle est votre vision des relations d’Israël avec l’Arabie saoudite dans les prochaines années ?

Il existe une alliance naturelle entre Israël et de nombreux pays du Moyen-Orient pour bloquer les menaces venant d’Iran. Nous combattons actuellement le Hamas, qui n’est qu’un tentacule de la pieuvre iranienne, comme l’est aussi le Hezbollah libanais. Si vous démontez l’échafaudage de l’ingérence iranienne au Moyen-Orient, le Hamas et le Hezbollah s’effondreront immédiatement. En Iran, on crie « Mort à Israël » et « Mort à l’Amérique », mais les mollahs veulent aussi mettre sous leur joug tous les autres infidèles. Les États arabes modérés comprennent cela. Ils saisissent qu’ils sont, comme Israël, les objets de l’expansionnisme iranien.

Est-ce le pilier central des accords d’Abraham, que vous avez signés à Washington en septembre 2020 avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc ?

Oui. Mais ce qui nous unit est aussi la volonté d’améliorer la vie quotidienne de nos populations, en faisant progresser ensemble nos économies. Avec ces États arabes modérés, Israël envisage par exemple l’établissement d’un pont commercial entre l’Asie et l’Europe, passant par la péninsule arabique, puis par nos ports, pour fournir l’Europe en matières premières et en biens manufacturés. La technologie israélienne peut changer le visage du Moyen-Orient. Notre avance dans les domaines de l’irrigation, de l’agriculture, de la médecine, de l’intelligence artificielle peut transformer pour le mieux la vie des Israéliens et de leurs voisins arabes. Les accords d’Abraham cherchent à faire entrer le Moyen-Orient de plainpied dans le XXIe siècle ; l’Iran souhaite le ramener au Moyen Âge.

En tant que premier ministre, vous ne supervisez pas que la sécurité. Vous vous occupez aussi beaucoup d’économie…

Oui, j’ai une vision à cet égard. L’économie israélienne est devenue forte grâce à nos avancées technologiques. La technologie ne progresse pas toute seule. Elle progresse grâce à une économie de marché libre. J’ai passé une grande partie de ma vie politique à faire passer Israël d’une économie à moitié socialiste et étatisée vers une économie libre de marché. D’où tous ces gratteciel que vous voyez à Tel-Aviv et la floraison de milliers de PME technologiques sur l’ensemble du territoire d’Israël. Notre pays va devenir un leader dans l’intelligence artificielle. Cela va bénéficier aux peuples du MoyenOrient et du monde entier.