Biden n’a pas pu ou su éviter l’escalade. Il a fourni les armes à Israël sans obtenir la moindre contrepartie politique

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Biden n’a pas pu ou su éviter l’escalade. Il a fourni les armes à Israël sans obtenir la moindre contrepartie politique
الخميس 10 أكتوبر, 2024


Depuis un an, le président américain n’a pas manqué à son allié israélien. Pourtant, il ne cache pas une certaine amertume, sans jamais que sa colère ait la moindre traduction dans les faits, analyse Alain Frachon, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.


Vieil et fidèle ami d’Israël, Joe Biden a tout de suite pris la mesure de la tragédie du 7 octobre 2023 – quand les terroristes du Hamas, venus du territoire palestinien de Gaza, ont massacré quelque 1 200 personnes dans le sud de l’Etat hébreu. Ce n’était pas seulement la raison d’être de ce pays – protéger les juifs – qui était atteinte. C’était aussi, en Europe et aux Etats-Unis, le sentiment, dans nombre de communautés juives notamment, de la fragilité du « plus jamais ça ».

Parmi les responsables occidentaux, Biden fut l’un des premiers à venir à Jérusalem dire sa solidarité. Ce geste correspondait aussi à une posture politique : il faut être proche d’Israël, pensait-il, pour pouvoir peser sur les décisions de son gouvernement. Et, depuis un an, le président américain n’a pas manqué à son allié israélien. L’appui militaire et diplomatique de Washington a été constant, dans un moment où l’antisémitisme, en Europe plus encore qu’aux Etats-Unis, montre à nouveau sa sale tête de gorgone.

Pourtant Biden, voix basse, propos mesuré, ne cache pas une certaine amertume. Transparaît ici et là le sentiment de ne pas avoir été payé en retour – exprimé dans le long entretien, par exemple, qu’il accorde début mai à Erin Burnett, de CNN. Dans sa lutte contre la République islamique d’Iran et ses trois filiales arabes – Hamas, Hezbollah et milices irakiennes –, l’Etat hébreu dépendait, et dépend toujours, des Etats-Unis. Mais si ceux-ci ont bien livré les munitions, Biden ne s’en retrouve pas moins dans la situation exacte dont il ne voulait pas. Son partenaire israélien, Benyamin Nétanyahou, n’a tenu aucun compte des sollicitations de la Maison Blanche.

Celle-ci, devant le nombre de Gazaouis tués sous les bombes américaines, appelait Israël à la modération dès le mois de novembre. En vain : selon les chiffres du Hamas, apparemment largement corroborés, le bilan des bombardements quasi quotidiens sur Gaza se monte, à ce jour, à quelque 42 000 tués – de 13 000 à 17 000 parmi les militants du mouvement islamiste palestinien, selon Israël ; le reste étant des civils. Biden voulait, dès l’hiver, une discussion sur l’avenir post-Hamas du territoire palestinien. En vain : le sujet n’intéresse pas Nétanyahou. Le premier ministre, menacé de destitution par les ultras de son gouvernement s’il arrête la guerre, appelle toujours, sans la définir, à la « victoire totale » sur le Hamas. Une forme de guerre éternelle ? Pressé par les Etats-Unis de donner la priorité à la négociation d’un cessez-le-feu pour libérer les otages, Nétanyahou s’y est, le plus souvent, refusé.

Biden s’est efforcé d’obtenir un geste destiné à favoriser la normalisation des relations entre l’Etat hébreu et l’Arabie saoudite. En vain : au grand dam de Washington, l’équipe Nétanyahou multiplie les implantations en Cisjordanie et ne cache pas sa volonté d’annexer cet autre territoire palestinien. Biden ne voulait pas d’une régionalisation ou d’un « élargissement » de la guerre. Il ne souhaitait pas se trouver en confrontation directe avec l’Iran. Mais les agressions du Hezbollah libanais et la nature de la réplique israélienne placent les Etats-Unis dans cette situation.

Le président américain avait prévenu : ne faites pas comme nous avons fait en réponse aux attentats de 2001 aux Etats-Unis ; ne vous lancez pas dans des guerres qui, une fois passé un moment d’hubris, se soldent par des défaites politico-stratégiques. Remodeler le Moyen-Orient par la force, dit Nétanyahou ? On a déjà entendu ce discours, en 2003 notamment.

Tétanisé par l’ombre de Trump
Biden n’a pas pu ou su éviter l’escalade. Il a fourni les armes sans obtenir la moindre contrepartie politique, dénonce Nicholas Kristof, dans un article publié par le New York Times, le 5 octobre. Le président américain a laissé entendre qu’il en était « furibard » (« outraged »), mais sans jamais que cette colère ait la moindre traduction dans les faits. Le politologue libanais Joseph Bahout confie au Figaro, dans un entretien publié le 3 octobre : « Ce qu’on a vu, c’est l’humiliation permanente de Biden par Nétanyahou. »

A de nombreuses reprises, les présidents américains ont fait pression avec succès sur les premiers ministres israéliens. En 1982, il a suffi d’un coup de téléphone de Ronald Reagan pour que Menahem Begin ordonne l’arrêt de bombardements sur Beyrouth. En 1991, Yitzhak Shamir obtempère, avec réticence, à une injonction de George H. W. Bush, et se rend à la conférence de paix de Madrid, convoquée par Washington et Moscou. A chaque fois, la Maison Blanche n’hésite pas à user de menaces très concrètes.

Ce ne fut pas le cas avec Biden. Il fallait obtenir un cessez-le-feu à Gaza. Il aurait peut-être permis la libération de certains des otages encore détenus par le Hamas. Il aurait entraîné l’arrêt des bombardements du Hezbollah sur le nord d’Israël, ce qui aurait empêché « l’escalade » avec l’Iran. Mais cela supposait de « persuader Nétanyahou qu’il avait quelque chose à perdre s’il continuait à envoyer promener les Etats-Unis », écrit Andrew Miller dans la revue Foreign Affairs (le 29 septembre). Ancien haut fonctionnaire du département d’Etat, spécialiste du dossier israélo-palestinien, Miller poursuit : « Il était possible de trouver un équilibre entre les besoins de sécurité d’Israël et la nécessité de faire savoir que les EtatsUnis n’allaient pas soutenir indéfiniment une guerre [à Gaza] provoquant autant de victimes civiles. »

En année électorale, dans un pays où la sympathie pour Israël est très largement partagée, Biden a paru tétanisé par l’ombre de Donald Trump – la crainte qu’un différend public avec l’Etat hébreu soit exploité par le candidat républicain. Le risque est d’avoir les deux : une situation incontrôlable au Moyen-Orient et Trump de retour à la Maison Blanche.