«Bonne chance à la Syrie» : Donald Trump adoube Ahmed al-Charaa et lève les sanctions contre Damas

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«Bonne chance à la Syrie» : Donald Trump adoube Ahmed al-Charaa et lève les sanctions contre Damas
الخميس 15 مايو, 2025

RÉCIT - Lors de son étape en Arabie saoudite, le président américain a rencontré l’ancien djihadiste. Cette entrevue marque un spectaculaire tournant dans la politique américaine vis-à-vis du nouveau pouvoir syrien.

Par Georges Malbrunot. Le Figaro.

De Riyad à Damas, nul ne s’est trompé sur l’importance du geste. « Trump lève les sanctions contre la Syrie », affiche ce mercredi en manchette le quotidien saoudien Arab News, au-dessus d’une photo de Donald Trump et de son hôte, le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman (MBS), tout sourire, au premier jour de la visite du président américain dans le Golfe. Quelques heures plus tôt en Syrie, de nombreux habitants fêtaient dans la rue cette annonce prometteuse.

« C’est extraordinaire, on ne s’y attendait pas, on est tous très contents, confie Boulos Halaq, un commerçant joint au téléphone à Damas, beaucoup de sociétés à l’étranger qui voulaient nous aider ne pouvaient même pas nous envoyer des pièces détachées. »

Ajoutée à la rencontre mercredi matin entre Donald Trump et Ahmed al-Charaa, cette levée des sanctions marque un spectaculaire tournant dans la politique américaine vis-à-vis du nouveau pouvoir syrien, issu de la mouvance djihadiste, face auquel la nouvelle Administration Trump restait, jusque-là, plus que circonspecte. Qu’il semble loin le temps il y a à peine six mois - où le très imprévisible président américain traitait de «djihadiste» le tombeur de Bacharel-Assad.« Un homme jeune et séduisant, un gars costaud», dit désormais de lui Donald Trump.

Sous les ors d’un palais saoudien, Ahmed al-Charaa, que les États-Unis avaient emprisonné des années durant en Irak après 2003, a eu droit à un entretien de trente-trois minutes avec l’homme le plus puissant du monde. Contrairement à ce qu’il avait annoncé la veille, Donald Trump a fait plus que lui dire «hello». Ses deux parrains au Moyen-Orient participaient à la rencontre : MBS, physiquement, et par visioconférence, le président turc, Recep Tayyip Erdogan.

À l’issue de l’entretien, la Maison-Blanche a publié un compte rendu qui souligne les «demandes» de Trump à Al-Charaa : d’abord «rejoindre les accords d’Abraham», c’est-à-dire normaliser la relation avec Israël. Une exigence qui, à l’instar de ce que compte faire MBS vis-à-vis de l’État hébreu, ne pourra être exaucée que lorsqu’un nouveau gouvernement israélien s’engagera vers la création d’un État palestinien. Ensuite, Trump lui a demandé de «prendre la responsabilité des centres de détention» où se trouvent des djihadistes du groupe État islamique dans le nord-est de la Syrie, sous contrôle kurde. La réponse syrienne dépendra des négociations engagées par al-Charaa avec les Kurdes, au moment où les États-Unis ont entamé un retrait d’une partie de leurs forces spéciales – un millier sur 2000 – du Nord-Est syrien. Mais «al-Charaa a déjà montré sa bonne disposition en aidant les services de renseignements américains à liquider Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daech, en 2019 »,rappelle un expert.

Enfin, Trump a pressé son interlocuteur d’expulser «les terroristes palestiniens», c’est-à-dire les membres des groupes radicaux, comme le Djihad islamique ou le Front populaire de libération de la Palestine, dont plusieurs dirigeants ont été arrêtés, il y a dix jours à Damas, un geste de bonne volonté envers Washington et Israël, qui ne devait, en fait, rien au hasard. Au-delà, Trump a «encouragé (Al-Charaa, NDLR) à faire du bon boulot pour le peuple syrien», a souligné la Maison-Blanche. Pour l’aider, il avait créé la surprise mardi en annonçant la levée des sanctions qui empêchent la Syrie de redécoller, après treize ans d’une guerre dévastatrice.

Pour Trump, ce geste fort doit « donner (à la Syrie) une chance de grandeur » en allusion à son fameux slogan «Rendre sa grandeur à l’Amérique ».«Bonne chance à la Syrie», a proclamé Donald Trump, sous les applaudissements de MBS, qui avait plaidé en ce sens, aux côtés du président Erdogan.

Au-delà de sa rencontre avec Trump régulièrement évoquée ces dernières semaines – cette levée des sanctions est la grande victoire diplomatique d’Ahmed al-Charaa. Ce dernier a salué la décision «historique et courageuse» de son homologue américain dans un discours télévisé retransmis en direct, et estimé que «lever les sanctions a été une décision historique et courageuse, qui allège les souffrances du peuple, contribue à sa renaissance et pose les bases de la stabilité dans la région».«Un tournant décisif», a également réagi son plus proche collaborateur, le ministre des Affaires étrangères, Assad al-Chibani.

Depuis plus de quarante-cinq ans, la Syrie est visée par un millefeuille de sanctions internationales, renforcées après la répression menée par le dictateur Bachar el-Assad contre les manifestations prodémocratie en 2011.

«Il y a deux types de sanctions, clarifie un diplomate européen, les executive orders qui sont une prérogative du président américain et d’autres, notamment le Caesar Act, qui ont été adoptées par le Congrès. Les premières seront annulées ou gelées par Donald Trump, en revanche le Caesar Act doit repasser devant le Congrès»,prévient ce diplomate. Mais pour l’économiste franco-syrien Samir Aïta, «la levée des sanctions Caesar pourrait se passer d’un vote au Congrès dans la mesure où elles ont été renouvelées par un ordre présidentiel de Joe Biden en 2024, et pourraient donc être abolies par un nouvel ordre présidentiel». «Cela étant, ajoute Samir Aïta, d’autres sanctions onusiennes sur le terrorisme visent HTC, la formation dont est issu M. Al-Charaa. » Quoi qu’il en soit, même si une dose d’incertitude plane sur la levée concrète de ces sanctions, plus que jamais, MBS apparaît comme celui qui se portera garant auprès de Donald Trump des engagements de son allié syrien.

Dans l’immédiat, cette levée va permettre de «recevoir les financements nécessaires pour relancer l’économie, imposer l’Autorité de l’État central et lancer des projets de constructions avec le soutien clair des États du Golfe», observe auprès de l’AFP Rabha Seif Allam, du Centre d’études politiques et stratégiques d’al-Ahram au Caire.

Jusqu’à maintenant, l’un des principaux défis d’Ahmed al-Charaa était financier, les caisses de l’État étant vides. Comment créer une armée digne de ce nom quand on n’a pas de quoi payer les militaires? «Comment recruter des fonctionnaires compétents?», s’interroge auprès du Figaro un ministre syrien.

Le geste de Donald Trump va également encourager de nombreux Syriens d’une diaspora, industrieuse, à revenir investir dans leur pays, comme Asser, ce jeune Alépin arrivé en France il y a quatre ans et reparti, il y a quelques semaines, monter une boulangerie-librairie dans la vieille ville de Damas. «C’est plus que jamais le moment de se réinstaller pour redresser mon pays», dit-il. «Je compte maintenant ouvrir en Syrie des hôtels de ma chaîne que j’ai fondée en Australie», confie, enthousiaste, Ghassan Aboud, un riche homme d’affaires syrien, établi dans le Golfe.

Tous pourront, désormais, se reconnecter au réseau interbancaire Swift. «C’était une des demandes essentielles de nombreux Syriens, explique Samir Aïta, car jusqu’à maintenant, ils étaient souvent obligés de passer par les agences de l’ONU qui prenaient 15% pour le traitement de leurs opérations.»

Si cette levée des sanctions est unanimement saluée, certains, encore méfiants vis-à-vis de la coalition d’islamistes radicaux qui a pris le pouvoir en décembre, ne veulent pas que ce soit un blanc-seing accordé à leur raïs, qui concentre l’essentiel des pouvoirs. «Après les massacres contre UN les alaouites sur la côte, on attend que le pouvoir punisse leurs responsables, avertit Ahmad, un étudiant. C’est bien de lever les sanctions qui nous pénalisent, mais il faut que Trump garde un moyen de contrôler M. al-Charaa». Pour Samir Aïta, une levée prochaine de ces sanctions «retirera l'argument souvent répété par Ahmed al-Charaa que tout ce qui ne va pas en Syrie est de la faute des sanctions ».