Les Bourses américaines ont plongé dans le rouge en février, premier mois de la nouvelle administration Trump. Wall Street redoute des turbulences à court terme mais espère encore limiter les instincts les plus délétères du président.
Par Bastien Bouchaud. LES ECHOS.
La lune de miel entre Donald Trump et les marchés touche à sa fin. Le « Trump Bump », le rebond d'optimisme en Bourse à la suite de son élection, s'est largement estompé. Le rebond des cours de dernière minute, vendredi, a limité la casse, mais le bilan boursier de son premier mois complet à la Maison-Blanche n'est pas glorieux.
Wall Street (S&P 500), le plus large de Wall Street, a perdu 1,4 %, le Dow Jones 1,6 %, le Nasdaq à forte coloration technologique près de 4 % et le Russell 2000, qui regroupe les entreprises de taille moyenne, a sombré d'environ 5,5 %. L'indice de la volatilité, le VIX, a franchi le seuil des 20 points en fin de semaine dernière pour la première fois de l'année, mais probablement pas la dernière. L'âge d'or promis par la nouvelle administration ressemble pour le moment davantage à une chape de plomb. Alors que Wall Street est à la peine depuis le début de l'année, notamment à cause du coup de mou des « sept magnifiques », les Bourses européennes et asiatiques résistent et creusent l'écart. L'ambiance a changé sur les marchés. Les investisseurs se font à l'idée d'un Donald Trump déconnecté, sans contre-pouvoir effectif à Washington, et d'une administration plus idéologique que pragmatique. Les premières critiques se font entendre, quoique toujours enrobées de compliments pour ne pas risquer de froisser l'ego fragile du président.
Tout en louant les efforts du président pour « transformer » le gouvernement, Ken Griffin, le patron pro-Trump du géant du trading Citadel, remarquait la semaine dernière que « l'époque n'est pas propice à l'investissement à cause de toute l'incertitude politique causée par cette transformation ». La confusion règne sur l'ampleur, le calendrier et les cibles des prochains droits de douane. L'administration apprécie cette flexibilité qui lui offre un maximum de leviers dans les négociations, mais la stratégie du chaos a ses limites. Les investisseurs se résignent peu à peu à une guerre commerciale. La question n'est plus de savoir si des tarifs douaniers seront effectivement mis en place, mais à quelle hauteur et dans quels délais. La désilusion est frappante dans les enquêtes de sentiment des investisseurs. Les optimistes dépassaient de 10 points les cassandres fin janvier, d'après le baromètre de l'AAII, qui fait référence pour mesurer l'humeur des particuliers. La dynamique s'est complètement inversée depuis. Les pessimistes dominaient largement la dernière publication, en fin de semaine dernière, avec 40 points d'avance. Cela reflète en partie la mauvaise passe traversée par certains des titres les plus courus par les particuliers.
La fin du « Trump trade » a frappé de plein fouet Tesla, qui a perdu plus de 20 % cette année pour retomber sous les 1.000 milliards de dollars de capitalisation. Les cryptos sont, elles aussi, pour la plupart, dans le rouge depuis début janvier, les « memecoins » les plus spéculatifs sont en pleine déroute. Le bitcoin se rapproche des 80.000 euros après avoir dépassé les 100.000 euros en début d'année.
Effets du protectionnisme débridé
La contraction brutale de l'indice PMI flash des services aux États-Unis en février, alors même que l'indice manufacturier poursuivait son expansion, reflète le danger inhérent au protectionnisme débridé que Donald Trump. La poignée d'industries jugées stratégiques en profite, le reste de l'économie en souffre.
En Bourse, cela se traduit par la remontée des cours des aciéristes US Steel (+23 % en 2025), Nucor (+20 %), Steel Dynamics (+20 %). Un gain d'un peu plus de 10 milliards de dollars de capitalisation au total. À titre de comparaison, Apple, en première ligne face à la montée en charge des droits de douane qui visent la Chine, a perdu 1 % depuis le début de l'année. C'est peu en relatif, mais cela représente déjà environ 36 milliards de dollars partis en fumée. Qui aurait cru que le rejet de l'ordre géopolitique et la remise en cause des fondements du commerce mondial menaceraient la prospérité américaine ? Mais il n'y a pas que la politique commerciale qui inquiète à Wall Street.
L'austérité brutale imposée par le Doge d'Iron Musk n'est pas sans conséquence. Des sociétés comme le consultant Booz Allen (-17 % cette année), qui réalise l'essentiel de son activité avec le gouvernement, sont directement exposées aux coupes budgétaires. « L'optimisme qui régnait parmi les entreprises américaines au début de l'année s'est évaporé, remplacé par un tableau de plus en plus sombre, caractérisé par une incertitude accrue, une activité commerciale en berne et des hausses de prix », résume Chris Williamson, l'économiste en chef de S&P Global qui publie les PMI. La moisson de février pointe vers une croissance de 0,6 % en rythme annualisé au premier trimestre, très loin de l'objectif de 3 % que s'est fixé l'administration. La dernière mise à jour, vendredi, du modèle de la Fed d'Atlanta signale même une nette contraction de l'activité sur les trois premiers mois de l'année, en recul de 1,5 %. Un phénomène statistique en partie lié à l'envolée des importations, elle-même causée par l'incertitude commerciale générée par l'administration, mais aussi par la chute de la consommation des ménages en février (plus forte baisse en près de quatre ans). « Le rebond des prix des biens a tenu les consommateurs à l'écart », estime José Torres d'Interactive Brokers. Les ménages semblent incapables d'absorber de nouvelles vagues de hausses de prix après avoir digéré l'inflation de la période Covid, ce qui est de mauvais augure pour les prochains mois. Les investisseurs et les entreprises commencent à douter des priorités de la nouvelle admi-nistration. Les bénéfices de la déré-gulation mettront du temps à se faire sentir. Les baisses d'impôts ne seront pas en place avant l'année prochaine, et leur ampleur réelle reste incertaine à ce jour. Pour financer la défiscalisation des pensions de retraite, des pourboires et des heures supplémentaires, les républicains envisagent de suppri-mer certaines des niches fiscales favorites de Wall Street et menacent de revenir sur les crédits alloués aux infrastructures et aux énergies renouvelables sous Biden.
Seuil de douleur incertain
L'accès de faiblesse des Bourses américaines depuis l'investiture de Donald Trump est cependant à relativiser. Elles restent en progression depuis son élection, tout comme l'action Tesla ou le bitcoin. Après deux années où le S&P 500 a bondi de plus de 20% coup sur coup, garder le rythme s'annonçait compliqué dans le meilleur des cas. L'anxiété de Wall Street n'en reste pas moins notable, d'autant plus que la plupart des entreprises ont publié des résultats largement supérieurs aux attentes. Entre des marges sous pression et la pru. dence, bien naturelle compte tenu du contexte, dont ont fait preuve les entreprises dans la discussion de leurs objectifs prospectifs, l'économie dont a hérité Trump pourrait être moins solide qu'il n'y paraît.
De nombreux investisseurs s'accrochent encore à l'idée que la Bourse est un baromètre essentiel aux yeux de Donald Trump, la seule boussole qui compte pour ses visées politiques. "Wall Street tente de jauger le niveau de baisse des cours que la Maison-Blanche est prête à accepter cette fois-ci", estime José Torres. "Les gens se souviennent que lors de la précédente administration Trump, les mouvements de baisses représentaient des opportunités d'achat, car l'exécutif faisait son pos-sible pour entretenir les esprits animaux", explique-t-il.
Mais contrairement à son premier mandat, Donald Trump semble moins sensible aux variations de marché. Il n'a pas vraiment célébré les records boursiers depuis son élection, pas même le récent pic du S&P 500, postérieur à son investiture. Le seuil de douleur de la Maison-Blanche, s'il existe, reste incertain.