Capsule de tourisme dans la stratosphère, sonde vers Mars… Les grandes ambitions de l’Arabie saoudite dans l’espace

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Capsule de tourisme dans la stratosphère, sonde vers Mars… Les grandes ambitions de l’Arabie saoudite dans l’espace
الاثنين 19 أغسطس, 2024

Par Véronique Guillermard, Le Figaro

DÉCRYPTAGE - Afin de devenir une nation spatiale de premier plan, le royaume multiplie les investissements.

L’Arabie saoudite avance dans sa conquête de l’espace. Début août, la start-up espagnole Halo Space a annoncé qu’elle effectuerait, en septembre prochain, le sixième vol d’essai de son prototype de capsule, propulsé par un ballon gonflé à l’hélium, depuis le sol du royaume, en coopération avec la Commission des communications, de l’espace et de la technologie (CST) saoudienne. L’objectif de cette mission est d’envoyer le ballon et la capsule, baptisée Aurora, à 30 km de la Terre, afin de « valider le fonctionnement de tous les systèmes critiques que nous avons développés au cours des trois dernières années », précise Alberto Castrillo, directeur de la technologie de Halo Space, créée en 2021.

Les deux partenaires travaillent ensemble aux préparatifs de cette mission de démonstration dans la stratosphère (la seconde couchedel’atmosphèreterrestre) depuis le début de l’année. Halo Space a en effet décidé d’établir une base opérationnelle et un site d’assemblage en Arabie saoudite. Elle prévoit de réaliser les premiers tests avec des pilotes en 2025, puis de commercialiser des voyages touristiques en 2026. Cela, une fois obtenu le feu vert de la Gaca saoudienne, l’équivalent de la DGAC française (Direction générale de l’aviation civile).

La capsule pressurisée Aurora accueillera jusqu’à 8 passagers en plus du pilote, pour un vol de quatre à six heures à 40 km d’altitude au maximum, afin d’admirer, via de larges baies vitrées, la courbure de la Terre plongée dans le noir de l’espace, de contemplerlesétoiles et d’apercevoir la course du Soleil. Cela, pour un prix «abordable», soit autour de 150000 euros, par rapport à unvol orbital ou suborbital (80 km de la Terre)… Un projet concurrent de celui du français Zephalto, qui prévoit, en partenariat avec le Cnes de Toulouse, de commercialiser des voyages touristiquesenballonsstratosphériques à partir de 2025.

Il s’agit du dernier exemple en date de la volonté de Riyad de transformer le pays en «une plateforme mondiale d’innovation technologique et de diversification économique», dans le cadre de Vision 2030, lancé par le premier ministre et prince héritier Mohammed Ben Salman, pour préparer le royaume à l’ère post-pétrole. Le 21 mai 2023, le royaume avait été à l’origine d’une première dans le monde arabe, en envoyant la première femme saoudienne et arabe dans l’espace, dans le cadre d’AX-2, une mission privée, organisée par la start-up américaine Axiom. Rayana Barnawi, une scientifique engagée dans la recherche contre le cancer du sein, et Ali al-Qarni, pilote de l’armée de l’air saoudienne, ainsi que deux astronautes américains, avaient rallié la Station spatiale internationale (ISS) à bord du vaisseau habité Crew Dragon de SpaceX. Rayana Barnawi est devenue une icône dans un pays où les femmes n’avaient pas le droit de conduire jusqu'en 2018.

La volonté du royaume d’entrer dans le club des nations spatiales n’est cependant pas récente. En juin 1985, le prince Sultan Ben Salman, pilote et colonel au sein de l’armée de l’air, avait participé à une mission américaine de supervision du lancement, par la Nasa, du second satellite de télécoms de l’Organisation arabe des satellites de télécoms (Arabsat), à bord de la navette Discovery. Il était devenu le premier Saoudien dans l’espace. En février de la même année, Arabsat, créé en 1976, avait confié à la fusée Ariane 3 le lancement d’Arabsat1A, son premier satellite de télécoms.

La politique spatiale saoudienne s’est accélérée au début des années 2000, le Royaume ne voulant plus seulement être client des industries occidentales, mais développer des compétences, des moyens de recherche et de production sur son sol. En 2004, le pays se dote d’une agence spatiale (SSA), puis crée, deux ans plus tard, le Centre spatial Mohammed Ben Rashid (MBRSC), avec pour objectif de partir explorer Mars et la Lune. En 2006, le premier satellite saoudien d’observation de la Terre est assemblé localement, en partenariat avec la Corée du Sud.

Mais c’est sous l’impulsion de Mohammed Ben Salman, ministre de la Défense et président du Conseil des Affaires économiques et du Développement en 2015, puis premier ministre en 2022, que tout s’accélère. Le prince héritier veut moderniser son pays en le projetant dans le futur. En 2021, une sonde, assemblée au centre MBRSC, qui dispose notamment de moyens de test et d’assemblage ainsi qu’un centre de contrôle de missions, est lancée vers Mars afin d’étudier son atmosphère et son climat. L’Arabie saoudite entre ainsi dans le cercle restreint des pays ayant envoyé un objet spatial vers une autre planète du Système solaire, aux côtés des États-Unis, de la Russie, de l’Europe, de la Chine et de l’Inde.

Le royaume lance un programme de conquête spatiale incluant des vols habités dès 2023, piloté par la Commission spatiale saoudienne (SSC), créée en 2018. La SSA lance ses propres programmes de formation d’astronautes, soutient le développement d’une industrie locale et multiplie les partenariats, notamment avec la Nasa et le Centre national d’études spatiales (Cnes) en France. Objectif : participer à des missions en coopération afin d’envoyer des astronautes saoudiens, sur la Lune et sur Mars.

En mai 2024, le Fonds souverain saoudien (PIF), connu pour ses investissements dans le sport, les jeux vidéo, la mobilité électrique ou encore dans la ville futuriste Neom, en cours de construction dans le désert, a réalisé son premier investissement dans le spatial, avec la création de Neo Space Group (NSG). Sa vocation? «Fournir des solutions satellitaires à l’échelle locale et mondiale» et investir dans des technologies de rupture et des start-up. «La création de NSG marque une étape importante dans le développement en pleine croissance des satellites et de l’espace en Arabie saoudite, et son ambition de devenir un acteur commercial de premier plan dans le monde», avait alors expliqué Omar al-Madhi, l’un des responsables du PIF.

L’offensive dans le spatial a plusieurs objectifs. Doter le royaume d’une industrie souveraine, trouver un relais de croissance en bénéficiant du boom attendu de l’économie spatiale, qui devrait générer 1160 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2030, selon un rapport du cabinet McKinsey, mais aussi, selon plusieurs observateurs, «améliorer son image en projetant une image de modernité et d'excellence».