Les partisans de Marwan Barghouti le comparent à Nelson Mandela, mais pour Israël, c’est un terroriste notoire
Omar Abdel-Baqui et Fatima AbdulKarim,
The Wall Street Journal / L'Opinion
KOBAR, Cisjordanie — Le dirigeant palestinien le plus populaire est détenu dans les prisons israéliennes depuis plus de vingt ans.
A l'heure où les Palestiniens sont à la recherche d'un leadership fort, Marwan Barghouti est le seul à bénéicier d'un large soutien à Gaza et en Cisjordanie, contrairement au Hamas, décimé, et à l'Autorité palestinienne, aujourd'hui décriée. Le problème pour ses partisans est qu'il purge cinq peines de prison à vie et qu'il a rarement pu s'adresser au public depuis 2002.
Le visage de M. Barghouti est visible dans les rues et les cafés de Cisjordanie. Sur le mur de béton qui sépare le territoire palestinien occupé d'Israël se trouve une peinture murale de près de huit mètres de haut représentant un célèbre portrait de M. Barghouti après son procès pour meurtre et terrorisme en 2004 : en uniforme de prisonnier, les bras levés et les menottes aux poignets.
« Parfois, je regarde le mur et je me dis qu'il ne nous reste plus rien, mais quand je veux retrouver la foi, je pense à Marwan », explique Saoud Lutfi, un vendeur ambulant de Cisjordanie qui travaille près du mur sur lequel a été peinte la fresque du leader avec les mots « Libérez Barghouti ». « Il est peut-être le seul espoir qui nous reste, à nous Palestiniens, qui sommes si divisés géographiquement, socialement et politiquement. »
Pour ses partisans, M. Barghouti est un combattant de la liberté qui, à l'instar de Nelson Mandela, a été emprisonné par une force d'occupation mais est prêt à conduire son peuple vers la liberté. Pour Israël, c'est un terroriste notoire qui, depuis son incarcération, n'a cessé d'appeler à la violence contre Israël.
M. Barghouti n'a pas été vu du public depuis des années et a été détenu au secret pendant la majeure partie de son incarcération, ne délivrant qu'occasionnellement des messages à la population par l'intermédiaire de sa famille ou de son avocat. En raison des restrictions imposées par les autorités pénitentiaires israéliennes, les Palestiniens n'ont pas pu connaître son point de vue sur l'attaque menée par le Hamas le 7 octobre, qui a déclenché la guerre actuelle, ni savoir ce qu'il jugeait acceptable comme plan pour y mettre un terme.
Le leadership palestinien étant divisé entre l'Autorité palestinienne, ailiée au Fatah, en Cisjordanie, et le Hamas à Gaza, M. Barghouti est considéré comme la rare personnalité politique capable de rassembler sufisamment de soutiens dans les deux camps et de les rapprocher.
Etre emprisonné lui a permis de préserver sa réputation : elle n'est pas entachée par des accusations d'échec et de corruption, comme c'est le cas pour ses pairs politiques, souligne Hugh Lovatt, senior fellow spécialisé en politique au Conseil européen des relations étrangères.
« Il est devenu un symbole national et celui-ci a grandi indépendamment de ce qu'il a fait », poursuit M. Lovatt.
La stature de M. Barghouti peut se mesurer aux exigences du Hamas — son rival politique —, qui demande sa libération dans le cadre d'un échange de prisonniers palestiniens incarcérés en Israël contre des otages israéliens détenus par la milice à Gaza, selon les médiateurs arabes qui travaillent à la conclusion d'un accord de cessez-le-feu toujours aussi diicile à obtenir.
Mais le refus catégorique de Tel-Aviv de le libérer montre à quel point les deux parties sont loin d'un accord, et encore moins au sujet de la gouvernance de la bande de Gaza après la guerre.
« Vous ne trouverez personne dans notre classe politique actuelle qui manifeste un quelconque intérêt pour la libération de Marwan Barghouti », affirme Ami Ayalon, ancien membre du parlement israélien qui a également été directeur du Shin Bet, l'agence israélienne de renseignement intérieur, de 1996 à 2000. Le cabinet du Benjamin Nethanyahu s'est refusé à tout commentaire.
M. Barghouti, longtemps haut responsable du Fatah et ancien conseiller du défunt leader palestinien Yasser Arafat, a été condamné à cinq peines de prison à vie après avoir été reconnu coupable par Israël de meurtre et d'appartenance à une organisation terroriste. Les procureurs israéliens l'ont accusé d'avoir ordonné à des miliciens de commettre des actes de violence à l'encontre d'Israéliens au cours du soulèvement palestinien connu sous le nom de seconde Intifada, au début des années 2000. Il a refusé de plaider coupable, arguant de l'illégitimité du tribunal israélien.
Si M. Barghouti jouit d'une popularité toujours aussi grande auprès des Palestiniens, c'est parce qu'il est à la fois partisan de l'usage de la violence contre Israël et pragmatique sur le plan politique, aspirant à la conclusion d'un accord de paix durable. Avant d'être arrêté par Israël en 2002, il avait rencontré des membres du parlement israélien, joué le rôle de médiateur dans des conlits politiques intrapalestiniens et soutenu la solution à deux Etats, qui établirait un Etat palestinien aux côtés d'Israël.
« Il n'a jamais appelé à la destruction d'Israël, il a travaillé dur pour le processus de paix et pour uniier les Palestiniens », a indiqué son ils Arab, 33 ans, lors d'une interview.
Ses longues périodes de silence derrière les barreaux n'ont fait que renforcer l'attrait de M. Barghouti. Dans une lettre ouverte rédigée depuis sa prison en 2014, il a déclaré que l'heure était venue d'une « résistance armée globale » contre Israël.
Dans une autre de ses rares déclarations publiques — une tribune dans le New York Times en 2017 dans laquelle il annonçait commencer une grève de la faim —, il a renforcé son image de héros victime d'Israël auprès de ses partisans.
Selon une enquête réalisée en mai par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, basé en Cisjordanie, M. Barghouti obtiendrait 42 % des voix lors d'une élection à la direction du mouvement palestinien. Le chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, obtiendrait 27 % et Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne qui est au pouvoir malgré l'absence d'un scrutin depuis 2005, 5 %. Les sondages du Palestinian Center montrent que M. Barghouti a toujours été le dirigeant palestinien le plus populaire depuis la mort de M. Arafat en 2004.
Les prises de position exprimées par M. Barghouti en faveur de la laïcité, telles que sa volonté de séparer la religion du gouvernement, l'alignent sur les idées d'une grande partie de la jeunesse palestinienne, qui représente une part importante de la population, observe Khalil Shikaki, le directeur du Palestinian Center.
« Il passe le test décisif de la politique palestinienne comme aucun dirigeant du Hamas ou de l'Autorité palestinienne ne le fait », ajoute M. Shikaki.
En Israël, certains considèrent également M. Barghouti comme une clé potentielle pour la paix, en dépit de son passé.
« M. Barghouti est peut-être quelqu'un qui négocie durement, mais c'est un partenaire fiable. Si nous cherchons vraiment une solution, c'est vers lui que nous devons nous tourner, estime Efraim Halevy, directeur de l'agence de renseignement israélienne Mossad de 1998 à 2002. Si vous cherchez une marionnette, vous obtiendrez ce qu'une marionnette vous apportera : rien. »
Les échecs des dirigeants palestiniens n'ont fait que renforcer la popularité de M. Barghouti, vu comme un homme qui vivait modestement et se dévouait pour son peuple. L'Autorité palestinienne, qui gouverne partiellement la Cisjordanie, est depuis longtemps considérée comme inefficace et corrompue, M. Abbas étant perçu comme un obstacle aux plans d'après-guerre pour Gaza qui sont articulés autour d'un rôle de son organisation.
Parallèlement, certains habitants de Gaza éprouvent de la frustration à l'égard des dirigeants du Hamas installés sur le territoire de l'enclave. Ils leur reprochent de ne pas être parvenus à un accord de cessez-le-feu avec Israël pour mettre in à la guerre, qui a laissé une grande partie de la bande en ruines et entraîné la mort d'environ 38 000 Palestiniens, pour la plupart des civils, selon les autorités palestiniennes, qui ne précisent pas combien de combattants iguraient parmi les personnes tuées.
Depuis le 7 octobre, date à laquelle des assaillants venus de Gaza ont tué 1 200 personnes en Israël, pour la plupart des civils, selon Tel-Aviv, peu d'informations ont été données sur M. Barghouti. Un groupe de Cisjordanie faisant campagne pour sa libération a signalé qu'il avait été roué de coups par des gardiens de prison au lendemain de l’assaut du Hamas. L'administration pénitentiaire israélienne n'a pas répondu aux questions du Wall Street Journal ni aux demandes d'entretien avec le prisonnier. Israël a déclaré qu'il traitait les détenus conformément au droit international et que le recours à la violence à l'encontre des prisonniers était interdit.
Né en 1959 dans une famille de paysans et de travailleurs migrants du village de Kobar, en Cisjordanie, M. Barghouti s'est fait connaître dans les années 1970 en mobilisant les Palestiniens pour qu'ils fournissent des services sociaux délaissés par Israël au début de l'occupation de la Cisjordanie.
Il s'est rapidement servi de sa capacité à rassembler des groupes pour coordonner des manifestations, ce qui lui a valu d'être régulièrement arrêté. Ses premiers séjours en prison l'ont mis en contact avec des militants palestiniens de premier plan. Dans les années 1980, il gravit les échelons au sein du Fatah, le mouvement de M. Arafat.
Avec la fin de la première Intifada et les accords d'Oslo en 1993, les Palestiniens ont commencé à construire une démocratie dans le cadre de la nouvelle Autorité palestinienne semi-autonome.
Mais les accords ont très vite tourné court. En 1995, un extrémiste israélien a assassiné le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, l'un des architectes du traité. Israël a continué à exercer un contrôle militaire et à étendre les colonies en Cisjordanie, ce que M. Barghouti considère comme des violations des accords.
« Marwan a vu dans l'assassinat de M. Rabin la mort du processus de paix », explique Ahmad Ghnaim, qui a travaillé avec M. Barghouti et qui mène la campagne en faveur de sa libération. Le Hamas s'est opposé aux accords d'Oslo et a commencé à commettre des attentats suicides en Israël, accélérant ainsi la fin du processus de paix. Le département d'Etat américain a désigné le Hamas comme organisation terroriste étrangère en 1997.
Menacé par l'inluence croissante du Hamas, M. Barghouti a appelé à l'usage de la violence pour chasser Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, ont déclaré d'anciens responsables palestiniens et israéliens.
« Marwan estimait qu'il fallait mener de front l'intifada et les négociations pendant sept ans pour parvenir à la liberté », ajoute M. Ghnaim.
En 2000, M. Barghouti, qui parle couramment l'hébreu, a appelé l'homme d'Etat israélien Yossi Beilin, qui a contribué à l'élaboration des accords d'Oslo, pour lui proposer de se rencontrer.
« Il m'a dit que la rue palestinienne exigeait un changement et que les dirigeants qui soutenaient la paix avec Israël obtenaient peu de résultats, tandis que d'autres, qui recouraient à la violence, réussissaient à faire bouger les choses », déclare M. Beilin.
L'incitation à la violence de M. Barghouti au cours de la seconde Intifada a, une nouvelle fois, fait de lui la cible d'Israël. Il s'est déguisé en agriculteur et a échappé à des tentatives d'assassinat, dont une attaque sur un convoi de véhicules qui a coûté la vie à son garde du corps, selon ses anciens partenaires. Les forces israéliennes l'ont arrêté à Ramallah en 2002.
Au cours des années qui ont suivi, Israël et le Hamas se sont livrés à trois guerres majeures à Gaza, la plus récente étant toujours en cours. Avec l'expansion des colonies juives en Cisjordanie, la solution à deux Etats est devenue moins populaire parmi les Palestiniens, dont les sondages montrent qu'ils sont de plus en plus favorables au militantisme, et a été rejetée par M. Netanyahu, qui estime qu'une telle résolution reviendrait à récompenser le terrorisme du Hamas.
Pour de nombreux Palestiniens, M. Barghouti est la seule personne capable de surmonter avec brio de tels obstacles. Mais d'après ce qu'Israël laisse entendre, il devra le faire depuis sa prison.
« Marwan estimait qu'il fallait mener de front l'intifada et les négociations pendant sept ans.