Ce que les habitants de Gaza pensent (vraiment) du Hamas

Ce que les habitants de Gaza pensent (vraiment) du Hamas
الاثنين 30 أكتوبر, 2023

Selon le Baromètre arabe, seule une minorité des Gazaouis partage l’idéologie du mouvement islamiste. Mais les représailles israéliennes vont renforcer sa popularité…

Par Thomas Mahler - L'express

29 %. Voici le pourcentage de Gazaouis qui avaient confiance dans le Hamas, juste avant l’attaque sanglante du 7 octobre. Révélé par Foreign Affairs, ce chiffre provient du Baromètre arabe, réseau de recherche indépendant qui fait référence pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. 44 % des habitants de Gaza ne font ainsi absolument pas confiance au mouvement islamiste. 72 % estiment que la corruption est importante au sein des institutions les gouvernant. Seuls 24 % seraient prêts à voter pour Ismaïl Haniyeh, leader politique du Hamas exilé volontaire au Qatar, dans le cas de très hypothétiques élections. Et bien plus de Gazaouis attribuent la responsabilité des difficultés alimentaires à une mauvaise gestion du Hamas (31 %) qu’à un blocus extérieur décidé par Israël et l’Egypte (16 %). Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté à Gaza est passé de 39 % en 2011 à 59 % en 2021, de nombreux habitants ayant du mal à se procurer des produits de première nécessité en raison de leur rareté et de leur coût.

Surtout, cette étude précieuse confirme qu’au-delà de l’incurie du Hamas, seule une minorité de Gazaouis partage son idéologie mortifère visant à détruire Israël. La moitié d’entre eux estime que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement. 54 % soutiennent une solution à deux Etats. 73 % favorisent une résolution pacifique au conflit israélo-palestinien, contre 20 % qui penchent pour une solution militaire pouvant aboutir à une destruction d’Israël (sans surprise, une forte majorité de ces derniers sont des soutiens du Hamas).

L’enquête, la plus récente pour Gaza (elle a été menée du 28 septembre au 8 octobre), apporte un démenti cinglant aux discours au sein de l’extrême gauche occidentale qui tentent d’assimiler un mouvement terroriste à la cause palestinienne dans son ensemble. Du point de vue même des Gazaouis, l’organisation islamiste a tout d’un fardeau. Mais ces chiffres contredisent aussi tous ceux qui, comme le président israélien Isaac Herzog, ont voulu imputer la responsabilité des pogroms du 7 octobre à tout un peuple. D’autant qu’aux yeux d’une majorité de Gazaouis, la liberté d’expression n’est nullement garantie sur le territoire où ils vivent. 68 % des sondés à Gaza estiment même que le droit de participer à une manifestation pacifique n’est pas ou guère protégé sous le régime du Hamas.

Les données passées du Baromètre arabe soulignent que chaque réponse militaire d’Israël contre la bande de Gaza renforce la popularité du Hamas, alors que les périodes d’apaisement lui sont particulièrement néfastes. On comprend dès lors tout l’intérêt pour une organisation terroriste, à la gestion politique et économique particulièrement défaillante, de semer la terreur, en espérant ensuite ressouder l’opinion publique gazaouie sous les bombes israéliennes.

Pour les responsables de l’étude, Amaney A. Jamal, professeure à Princeton, et Michael Robbins, directeur du Baromètre arabe, il faut aujourd’hui casser le cycle de la violence : "Israël comme les États-Unis doivent reconnaître que le peuple palestinien est un partenaire essentiel dans la recherche d’un règlement politique durable, et non un obstacle à cet objectif louable. Si les deux pays ne recherchent que des solutions militaires, ils pousseront probablement les habitants de Gaza dans les bras du Hamas, ce qui garantira un regain de violence dans les années à venir." On remarque d’ailleurs que les Gazaouis sont plus nombreux à souhaiter développer des liens économiques plus forts avec les Etats-Unis (37 %) qu’avec l’Iran ou la Russie (32 % dans les deux cas).

Avoir cru pouvoir éclipser la question palestinienne, notamment via un rapprochement entre Israël et des Etats sunnites, fut une tragique illusion. Seuls 10 % des Gazouis soutenaient d’ailleurs cette normalisation des relations diplomatiques entre l’Etat hébreu et des pays comme les Emirats arabes unis ou le Maroc. "Si les pays arabes devaient régler leurs différends avec Israël sans faire de la résolution du conflit israélo-palestinien une condition préalable à la normalisation, tout espoir persistant d’une solution à deux États s’évanouirait" analysent Amaney A. Jamal et Michael Robbins. Surtout, leur enquête confirme que les Gazaouis sont fortement attachés à leur terre natale : 69 % d’entre eux assurent qu’ils n’ont même jamais considéré l’option de la quitter. Une proportion plus élevée que pour les habitants du Liban, de Jordanie, du Maroc ou de Tunisie, à qui a été posée la même question. En dépit des crises économique, politique et aujourd’hui humanitaire, les Gazaouis sont fermement décidés à rester à Gaza.