La préparation du « jour d’après » suscite différentes propositions qui envisagent de transformer aussi bien l’organisation géographique de l’enclave que sa gouvernance
Rory Jones, Anat Peled et Dov Lieber. The Wall Street Journal / L'Opinion
Alors qu'Israël se prépare à mettre fin à ses opérations militaires de grande envergure à Gaza, une question se pose : que se passera-t-il ensuite ?
Parmi les plans qui circulent au sein du gouvernement et de l'armée, l’un de ceux qui gagnent le plus d’adeptes prévoit la création d'« îlots » ou de « bulles » géographiques où les Palestiniens n’ayant aucun lien avec le Hamas pourraient vivre temporairement à l’abri pendant que l'armée israélienne éradiquerait les derniers insurgés.
D'autres membres du Likoud, le parti du Premier ministre Benjamin Netanyahu, soutiennent un autre projet, également axé sur la sécurité d’Israël. Il vise à couper l’enclave dans sa largeur avec deux corridors et à y installer un périmètre fortifié qui permettrait à l'armée israélienne d'organiser des raids lorsqu'elle le jugerait nécessaire.
Ces idées sont issues de groupes informels d'officiers retraités de l'armée et des services de renseignement, de groupes de rélexion, d'universitaires et d'hommes politiques, ainsi que de discussions internes au sein de l'armée. Alors que les dirigeants politiques israéliens n’ont presque rien dit sur l’aspect qu’aura la bande de Gaza et sur son mode de gouvernance une fois que les combats les plus intenses auront pris fin, ces groupes ont travaillé sur des plans détaillés qui offrent un aperçu de la façon dont Israël envisage ce qu’il appelle le « jour d’après ».
Qu'ils soient adoptés ou non dans leur intégralité, ces plans annoncent des réalités difficiles concernant l'après-guerre qui sont rarement évoquées publiquement. Les civils palestiniens pourraient ainsi être confinés indéfiniment dans des petites zones de la bande de Gaza pendant que les combats se poursuivraient tout autour. Quant à l'armée israélienne, elle pourrait être obligée de rester profondément impliquée dans l'enclave pendant des années, jusqu'à ce que le Hamas soit complètement marginalisé.
La nécessité de trouver une réponse se fait de plus en plus pressante car Israël devrait bientôt passer à une phase de combat contre-insurrectionnel qui réduira la présence de ses troupes à Gaza. L'enclave pourrait se retrouver bloquée dans un état d’anarchie et d'instabilité violente si aucune solution de rechange n'était trouvée. A cela s’ajoute une pression supplémentaire puisque les combats avec le Hezbollah à la frontière entre Israël et le Liban menacent de conduire à une escalade.
« Des décisions doivent être prises dès aujourd'hui », s’impatiente Israël Ziv, un ancien général israélien qui a contribué à un plan visant à établir à Gaza des bulles humanitaires libres de toute présence du Hamas. De fait, M. Netanyahu a pour une
fois abordé la question du jour d’après la semaine dernière. Il a annoncé que le gouvernement lancerait bientôt un plan visant à établir par étape une administration civile gérée par des Palestiniens de Gaza au nord de l’enclave. Et il a précisé que des Etats arabes pourraient être amenés in fine à apporter leur aide dans le domaine de la sécurité.
Il n'a pas expliqué comment ce plan serait structuré ou mis en œuvre. Certains analystes ont donc mis en garde contre la tentation de supposer que quelque chose de concret était sur le point d'aboutir. Le cabinet de M. Netanyahu s'est refusé à tout commentaire sur la planiication de l'après-guerre.
Selon d’anciens et d’actuels responsables israéliens, le Premier ministre faisait probablement référence au « projet de bulles » en cours de discussion entre les personnes décisionnaires du gouvernement.
Selon des sources proches du dossier, l’objectif est de travailler avec des Palestiniens qui ne sont pas ailiés au Hamas ain de créer bande de Gaza. Dans les endroits où Israël estimerait que le Hamas n'a plus d'emprise, les Palestiniens distribueraient de l'aide et assumeraient des responsabilités municipales. A terme, une coalition entre les Etats-Unis et des Etats arabes gérerait le processus, ajoutent ces personnes.
L'armée israélienne continuerait à combattre le Hamas à l'extérieur des bulles et en créerait d'autres à mesure que des zones de Gaza seraient nettoyées.
M. Ziv, qui a supervisé le retrait d'Israël de la bande de Gaza en 2005, propose que les Palestiniens prêts à condamner le Hamas puissent déposer une demande pour vivre dans des zones clôturées, situées à côté de leur quartier actuel et gardés par l'armée israélienne. Cela leur donnerait ainsi le droit de reconstruire leurs maisons.
Le processus serait progressif et pourrait déboucher à terme sur le retour à Gaza de l'Autorité palestinienne basée en Cisjordanie, selon M. Ziv. L'ensemble du processus pourrait prendre environ cinq ans tandis que l'armée continuerait à combattre les insurgés du Hamas. Toujours d’après ce plan, le Hamas pourrait même faire partie de l'administration de Gaza à condition de libérer tous les otages, de désarmer et de devenir ainsi un mouvement purement politique.
Un tel plan comporte de nombreuses difficultés à surmonter. Une approche similaire a d’ailleurs déjà échoué par le passé. Au début de l'année, l'armée israélienne a discrètement essayé de travailler avec des familles inluentes de Gaza afin de distribuer de l'aide et de remplacer le Hamas. Mais les menaces de représailles violentes du groupe militant les en ont dissuadées. Selon M. Netanyahu, certains Palestiniens de Gaza ont été tués à cette occasion par le Hamas.
Le groupe islamiste a réafirmé la semaine dernière sa détermination à contrer les plans d'Israël et à « couper toute main qui collaborerait avec l’occupant et qui tenterait d'altérer le destin et l'avenir de notre peuple ».
Ce n’est pas la seule raison pour laquelle les Palestiniens rechignent à aider Israël à contrôler l’enclave. Ils ne pardonnent pas la campagne de bombardements aériens et terrestres qui, selon les autorités sanitaires de Gaza, a fait plus de 37 000 morts, dont une majorité de civils.
Les gouvernements arabes ont exprimé leur volonté de jouer un rôle plus important, certains ofrant des fonds et des soldats pour gérer la sécurité. Ils conditionnent toutefois ce soutien à une solution politique plus large impliquant le retour de l'Autorité palestinienne à Gaza et l'engagement d'Israël en faveur d'une solution à deux Etats, deux choses que les Etats-Unis cherchent également à obtenir.
M. Netanyahu refuse d'envisager l'une ou l'autre de ces exigences, arguant que l'Autorité palestinienne est trop faible et qu'elle soutient le terrorisme. Il fait face également à de fortes pressions politiques internes. Les membres de l'aile droite de son étroite coalition gouvernementale s'opposent à la création d'un État palestinien et certains souhaitent même que Gaza soit recolonisé par des Israéliens, ce qui limite sa capacité à traiter le problème.
« Parce que le gouvernement israélien continue de refuser ou de rejeter la seule voie viable, regrette Hugh Lovatt, analyste au Conseil européen pour les relations internationales, il se retrouvera à devoir gérer le pire des résultats selon son propre point de vue, à savoir la poursuite d'un conflit sans fin et la réoccupation de Gaza. »
Certains groupes de rélexion israéliens reconnaissant qu'il sera difficile d'encourager la participation des Arabes à l'administration de Gaza : ils préconisent une occupation israélienne pure et simple.
Selon l'Institut Misgav pour la sécurité nationale et la stratégie sioniste, un think tank de droite dirigé par l'ancien chef de la sécurité nationale Meir Ben-Shabbat, l'armée israélienne devra s'assurer qu'environ 75 % des combattants du Hamas et du Jihad islamique à Gaza auront été mis hors de combat avant qu'une autre force de sécurité puisse prendre le contrôle de l’enclave. L'armée estime avoir tué environ la moitié des combattants du Hamas qui, selon elle, opéraient à Gaza au début de la guerre. « Il se peut que nous ayons besoin d’une sorte d’administration militaire durant une période d’environ un an à cinq ans, peut-être plus », indique Asher Fredman, de Misgav.
L’Institut souligne que ses rélexions ont contribué à l'élaboration d'un plan présenté en début d’année par des membres du Likoud, le parti de M. Netanyahu. Celui-ci prévoyait la création d'un périmètre de sécurité autour de Gaza et de deux couloirs israéliens traversant la bande dans sa largeur.
D’après ce plan, le nord de la bande de Gaza ne bénéficierait d’aucune reconstruction et les Palestiniens ne seraient pas autorisés rentrer chez eux tant que le réseau de tunnels du Hamas, long de plusieurs centaines de kilomètres, n'aurait pas été détruit. Comme le plan « bulles », il met en avant la notion de zones de désescalade où l'aide pourrait être acheminée par l'armée israélienne ou par des forces internationales. Mais lui aussi se garde bien de formuler la moindre idée concernant la gouvernance.
Amichai Chikli, le ministre du Likoud auteur de ce plan, l'a personnellement présenté au Premier ministre, selon son équipe.
Selon un autre plan, élaboré par une organisation à but non lucratif dirigée par un ancien chef du renseignement militaire israélien, les attentats du 7 octobre et la guerre qui a suivi ont eu pour conséquence qu'Israéliens et Palestiniens ne peuvent plus prendre d’engagements de bonne foi les uns envers les autres. Il préconise de travailler avec les États-Unis et les gouvernements arabes à la création d'un nouvel organe de gouvernement palestinien qui s'emploierait à mettre fin au terrorisme contre Israël.
Problème, les pays arabes rechignent à s'impliquer tant que des engagements en faveur d'une solution à deux Etats ne sont pas pris et alors que M. Netanyahu refuse d'aborder la question. Pour concilier ces deux réticences, la proposition prévoit donc de ne faire débuter les discussions sur la création d'un Etat palestinien que cinq ans après la in de la guerre. Les attaques du Hamas du 7 octobre, au cours desquelles les autorités israéliennes affirment que les militants ont tué environ 1 200 personnes, principalement des civils, et pris quelque 250 otages, ne doivent pas être récompensées par la création d'un État dès maintenant, selon la proposition.
« Nous devons construire quelque chose de nouveau, et pour ce faire, nous avons besoin d'une coalition », explique Avner Golov, de Mind Israel, l'organisation à but non lucratif qui a contribué à fournir des idées pour ce plan.
Un autre plan rendu public par le Wilson Center, basé à Washington, préconise également une approche de résolution du conflit fondée sur une coalition. Mais il se garde de demander à Israël d'envisager d’accepter la création d'un Etat palestinien. Il suggère que les Etats-Unis mettent en place une force de police internationale chargée de gérer la sécurité à Gaza avant de confier à terme cette tâche à une administration palestinienne qui reste à déinir.
Robert Silverman, ancien diplomate américain en Irak et co-auteur du document, explique que son équipe a discuté du plan avec des responsables israéliens pendant des mois, modifiant même certaines parties de la proposition pour la rendre plus compatible avec les objectifs de guerre et la dynamique politique d'Israël. Las, le projet reste bloqué au niveau du bureau du Premier ministre.
« M. Netanyahu pense qu’il faut d'abord terminer la guerre avant de planifier l'après-guerre, observe M. Silverman. Mais tous ceux qui ont agi comme cela auparavant disent que c'est une énorme erreur. »
Un autre document arrivé sur le bureau du Premier ministre, rédigé par des universitaires israéliens, s'inspire des précédents historiques en matière de reconstruction de zones de guerre, comme en Allemagne et au Japon après la Seconde Guerre mondiale, et plus récemment en Irak et en Afghanistan. Il envisage de s'attaquer à la doctrine islamiste du Hamas en s’inspirant de la façon dont des idéologies telles que le nazisme et l'Etat islamique ont été défaites.
Le document de 28 pages consulté par le Wall Street Journal reconnaît que le processus pour dé-radicaliser l’éducation et identiier de nouveaux dirigeants sera long et compliqué et qu'il devrait commencer dès que possible, en raison notamment de l’urgence de la situation humanitaire à Gaza.
Tous les plans évoqués ci-dessus partent du principe qu'Israël inira par en inir avec le Hamas politiquement et militairement. Or il s’agit là d’un angle mort, selon les Israéliens qui critiquent la politique actuelle de leur gouvernement.
La milice a en effet ses propres projets pour le Gaza d'aprèsguerre. Il ambitionne a minima de conserver le contrôle de la sécurité dans l’enclave et de rester une force dans la politique palestinienne. Les bataillons organisés du groupe ont certes été écrasés mais il conserve des capacités qui en font toujours la force palestinienne la plus puissante dans la bande de Gaza. Il ne se satisfait pas d'être mis sur la touche.
« Le Hamas travaille déjà sur son propre plan pour le jour d'après », souligne Ehud Yaari, membre de l'Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient.