La politique extérieure de Xi Jinping se retourne contre le pays, enfermé dans une quadruple impasse.
par Nicolas Baverez, Le Point
Le plénum du Comité central du PC vient de se réunir pour examiner la situation économique de la Chine. Il a validé le primat absolu de la sécurité et la stratégie d'autarcie, prenant le contrepied du choix en faveur du marché et de l'ouverture effectué en 1978 sous Deng Xiaoping.
Au même moment, le net ralentissement de l'économie chinoise a été confirmé. La croissance, annoncée à 4,7%, plafonne en dessous de 3%. Le secteur technologique est à l'arrêt à la suite de sa reprise en main par le PC. La consommation recule de 2%. Le chômage remonte, notamment chez les 12 millions de diplômés annuels qui ne trouvent plus d'emploi. Les riches s'exilent, tandis que les capitaux étrangers se retirent massivement du pays face au risque géopolitique majeur que représente Pékin.
Le modèle mercantiliste chinois est ainsi en passe d'exploser. La priorité est à l'investissement plutôt qu'à la consommation, créant de gigantesques surcapacités industrielles subventionnées par l'État central et les gouvernements locaux en dépit de leur surendettement, qui empêche certains de payer régulièrement leurs fonctionnaires. Du fait de la faiblesse de la demande intérieure, leur production ne peut trouver de débouchés qu'à l'exportation, soutenue par un dumping systématique. D'où d'énormes excédents commerciaux, qui ont atteint 99 milliards de dollars en juin. Mais, en submergeant les marchés mondiaux, la Chine provoque une flambée protectionniste en Occident comme dans les pays du Sud. Tous les grands pôles de l'économie mondiale, jusqu'à l'UE, appliquent désormais un principe de découplage vis-à-vis de la Chine et sanctionnent ses pratiques prédatrice, taxant ses produits, voire les interdisant.
La politique extérieure de Xi Jinping fondée sur la revendication du leadership mondial en 2049, sur une extrême agressivité en Asie-Pacifique et sur la mise en place d'une économie de guerre anticipant d'éventuelles sanctions des États-Unis-se retourne également contre la Chine. Elle a dessillé les yeux aux États-Unis, qui ont engagé un renouveau industriel et rétabli leur leadership dans les technologies clés du XXI siècle. L'alliance avec la Russie, allant jusqu'à la participation à des manœuvres communes en Biélorussie, a non seulement contribué à relancer l'Otan mais aussi à rapprocher l'alliance des démocraties d'Asie, qui ont participé au 75 anniversaire de l'Otan. Les menaces sur Taïwan ont galvanisé la volonté de la population de l'île de défendre sa souveraineté. Le troisième mandat de Xi Jinping enferme ainsi la Chine dans une quadruple impasse.
L'impasse est d'abord démographique. La Chine perdra 200 millions d'habitants dans les trente ans, ce qui amputera la croissance.
Impasse économique, sociale et financière, avec l'emprisonnement dans la trappe des pays à revenus intermédiaires. La Chine a refusé d'engager la conversion de son modèle économique vers le marché intérieur. La dette publique et privée dépasse 300% du PIB, et les sorties de capitaux s'envolent (68 milliards de dollars en 2023).
Impasse politique, ensuite, qui résulte de la rupture du pacte social qui échangeait, depuis 1978, le développement, l'enrichissement et des espaces de liberté personnelle contre le monopole du pouvoir du PC. La croissance intensive et le progrès social sont désormais bloqués, tandis que la population est soumise à un impitoyable Big Brother numérique.
L'impasse est enfin stratégique. En engageant trop tôt la confrontation avec l'Amérique, la Chine a permis aux États-Unis de reprendre l'avantage. L'alliance avec la Russie a vassalisé Moscou, mais au prix de la rupture avec l'Occident, débouché vital pour les exportations chinoises. L'impérialisme débridé et la course aux armements de Pékin suscitent de plus en plus de résistances en Asie-Pacifique et renforcent la position de Taïwan. Enfin, l'éradication des productions locales par les exportations chinoises provoque des représailles de la part des pays du Sud.
En faisant le choix d'une économie de guerre pour servir ses ambitions de puissance démesurées, Xi Jinping a détruit le modèle des « quarante glorieuses » de la Chine. Enfermé dans le déni de la crise dans laquelle il a plongé la Chine, il donne raison à Lord Acton, qui soulignait que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ».