Chypre : les dessous de la guerre de l’ombre entre Israël et le Hezbollah

Chypre : les dessous de la guerre de l’ombre entre Israël et le Hezbollah
الأربعاء 3 يوليو, 2024

Par Georges Malbrunot - Le Figaro


RÉCIT - Le chef de la milice chiite pro-iranienne accuse l’île de servir de base arrière à l’État hébreu.

Faut-il prendre au sérieux les menaces du Hezbollah contre Chypre ? Alors que s’accroissent les risques de guerre entre Israël et le Liban, dominé par la puissante milice chiite pro-iranienne, le chef de cette dernière, Hassan Nasrallah, a mis en garde l’île voisine de Chypre.

« Nous avertissons Nicosie : l’ouverture des aéroports et des bases chypriotes à l’ennemi israélien pour cibler le Liban signifierait que le gouvernement chypriote est partie prenante dans la guerre », a menacé le 19 juin Hassan Nasrallah, qui a fait état « d’informations certaines », selon lesquelles des soldats israéliens s’entraînent sur l’île.

Interrogé par Le Figaro, un diplomate libanais affirme que « cette escalade verbale fait partie de la surenchère » à laquelle se livrent les deux protagonistes d’un conflit, commencé après l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël le 7 octobre, à laquelle a répondu « par solidarité » le Hezbollah en s’en prenant, mais de manière calibrée jusqu’à maintenant, au nord de l’État hébreu, lequel bombarde le Sud-Liban, depuis bientôt neuf mois.

« Au moment où les Occidentaux, qui ont pris le relais d’Israël, mettent la pression sur Nasrallah pour éviter une guerre, c’est une façon pour lui de s’affirmer comme un interlocuteur encore plus indispensable », estime ce diplomate. « Nasrallah leur dit : “Vous nous mettez de la pression, on vous menace.” Mais cette guerre des mots a été vite éteinte. Cela fait quelques années que les Israéliens réalisent des mimiques d’une invasion terrestre du Liban sur un terrain chypriote qui ressemble à celui du Liban. »

Moins affirmative, une source militaire française, qui connaît Chypre, le Liban et Israël, estime qu’il faut être attentif aux menaces du Hezbollah. « Nasrallah a en grande partie raison sur ses accusations », ajoute-t-il, avant de détailler la coopération sécuritaire israélo-chypriote. D’abord l’ouverture de l’espace aérien chypriote aux avions de combat israélien. « Après avoir décollé de leurs bases, et afin de prendre un axe d’attaque depuis la mer pour éviter tout système de défense antiaérienne, les chasseurs israéliens effectuent un virage large, quitte à traverser l’espace aérien gréco-chypriote pour réaliser leurs missions », précise le militaire français.

« Il faut bien avoir en tête que Chypre est une sorte de hinterland pour Israël », selon un diplomate jadis en poste à Nicosie, « on voit les côtes libanaises des hauteurs de Chypre ».

L’île est depuis longtemps au carrefour d’influences multiples au Moyen-Orient. Pendant la guerre civile, de nombreux Libanais y avaient trouvé refuge. Depuis, d’autres s’y sont établis : des maronites notamment qui disposent d’un évêque, mais aussi les Palestiniens de l’OLP, après les accords d’Oslo de 1993, qui y ont établi – en accord avec la France notamment – un centre de renseignements et de repli de sa Force 17, l’unité d’élite autour de Yasser Arafat. Puis le Hezbollah, l’Iran, et la Russie.

« Israël s’est aperçu que Chypre était une très bonne base d’observation de ce qui se passait au Moyen-Orient », précise une source française du renseignement. « Israël a travaillé avec les services de renseignements chypriotes avant d’implanter au moins une base du Mossad, forte de plusieurs dizaines d’hommes », ajoute l’espion.

Même si Chypre est indépendante de la Grande-Bretagne depuis 1959, l’île est restée une place forte de la présente britannique. Londres y a maintenu trois bases militaires : celle d’Akrotiri (hélicoptères) près de Limassol, celle de Dhekelia (aéronavale) voisine de Larnaca, et enfin sa très stratégique station d’écoutes sur le mont Olympus qui permet à Londres de capter des informations sur une grande partie du Moyen-Orient, des emprises que Londres a gardé sous sa complète souveraineté. « Quand vous y pénétrez, vous êtes en territoire britannique, Chypre n’y exerce aucun contrôle », se souvient le militaire français précité.

Début janvier, plusieurs centaines de personnes ont manifesté devant la base d’Akrotiri contre une implication des bases britanniques dans les conflits à Gaza et au Yémen. Fin mai, le site d’investigation britannique Declassified UK affirmait qu’entre octobre 2023 et février 2024, 48 vols avaient décollé d’Akrotiri pour Israël. Pour le ministère de la Défense britannique, ces vols ont été utilisés par « des ministres, des officiels, des forces armées britanniques, et pour transporter des fournitures de sauvetage de vies ».

Peu après la menace de Hassan Nasrallah, le président chypriote, Nikos Christodoulides, a affirmé que « Chypre n’est pas impliquée dans un conflit militaire, et fait partie de la solution et non du problème ».

Aussitôt après, l’Union européenne réagissait également, se déclarant solidaire de Chypre, « n’importe quelle menace proférée contre un État membre de l’UE (est) considérée comme une menace faite à elle-même », selon le porte-parole de la Commission européenne pour les Affaires étrangères, Peter Stano.

En impliquant Chypre, « Nasrallah sait qu’en cas de guerre, il entraînerait des pays comme la Grande-Bretagne et même la France, prévient la source militaire française. Car notre coopération avec l’armée chypriote est forte, que ce soit avec l’artillerie, les transmissions ou la cavalerie. Toucher Chypre c’est aussi nous toucher ».