Comment, depuis sa tanière, le chef du Hamas Yahya Sinwar est contraint de lâcher du lest

Comment, depuis sa tanière, le chef du Hamas Yahya Sinwar est contraint de lâcher du lest
السبت 16 مارس, 2024

Par Georges Malbrunot

GRAND RÉCIT - Face à la souffrance et à un début de contestation à Gaza, les islamistes font une nouvelle offre de cessez-le-feu à Israël.

Jusqu’à quand survivra-t-il? L’étau se resserre sur le chef du Hamas, Yahya Sinwar, assure Israël, qui dit avoir retrouvé sa chaussure dans un tunnel de Khan Younes, affirmant que l’architecte de l’attaque terroriste du 7 octobre a perdu le contact avec ses hommes. Infos ou intox? Une chose paraît sûre: celui qui a la mort de plus de 1100 Israéliens sur la conscience a toujours les moyens d’échanger avec les négociateurs d’une trêve entre son mouvement et l’armée israélienne.

«Sinwar n’a mis que vingt-quatre heures pour répondre à notre proposition de gouvernement de technocrates», confie au Figaro un des participants aux négociations, qui ont eu lieu au Caire, fin février. «Sa réponse, ajoute-t-il, nous est parvenue par e-mail via un ordinateur, et elle était positive, même s’il a demandé qu’un comité des partis politiques surveille un gouvernement de technocrates, ce à quoi Mahmoud Abbas (le chef de l’Autorité palestinienne, NDLR) est opposé.»

Selon cette source qui connaît de longue date Sinwar, « Abou Brahim (son nom de guerre) a un moyen assez sécurisé pour communiquer, probablement fourni par l’Iran », qui soutient le Hamas, même si ce dernier ne l’avait pas informé de son raid meurtrier en Israël.

Vendredi, le mouvement islamiste a transmis à l’État hébreu – via les médiateurs qatariens et égyptiens - une nouvelle proposition de cessez-le-feu en trois phases d’une durée de 42 jours chacune, selon nos informations. Au cours de la première séquence, 42 otages israéliens - femmes (y compris soldates), enfants, personnes âgées et malades - seraient libérés, à hauteur de un par jour, en échange de la libération de 700 à 1 000 détenus palestiniens en Israël. C’est moins que ce qu’exigeait jusqu’ici le Hamas.

À l’issue de cette première phase de 42 jours, la date d’un cessez-le-feu définitif devra être établie, ainsi qu’une date butoir pour un retrait militaire israélien de la bande de Gaza, selon les exigences du Hamas. La libération des autres otages israéliens se ferait lors d’une « seconde étape de ce plan ». La reconstruction de la bande de Gaza et la fin du siège devraient démarrer au début de la troisième phase.

Pour le bureau du premier ministre, Benyamin Netanyahou, ce plan contient encore « des demandes irréalistes », mais des sources israéliennes ont confié au site Axios que si le nombre de prisonniers à libérer par Israël était encore trop élevé, « le travail de négociations pouvait se poursuivre ». À cette fin, une délégation israélienne doit se rendre ce week-end au Qatar. De son côté, Joe Biden exerce une forte pression pour que le calme revienne pendant le mois de jeûne du ramadan, qui a commencé le 11 mars.

« Le Hamas peut tenir encore huit mois face à l’armée israélienne, nous avons suffisamment d’armes et d’hommes », écrivait fin février dans sa réponse Yahya Sinwar, selon la source ayant accès aux pourparlers. Les services de renseignements américains viennent d’affirmer qu’« Israël sera probablement confronté pendant les années à venir à une résistance armée du Hamas ».

Au Caire, certains négociateurs avaient alors répondu à Sinwar que si sa « branche militaire pouvait tenir huit mois, la population de Gaza elle ne peut pas tenir un mois encore ».

Après bientôt six mois de bombardements israéliens, l’enclave palestinienne est en ruine. La famine menace, selon l’ONU. Alors que plus de 250 000 bâtiments ont été détruits, Joe Biden lui-même a repris à son compte, la semaine dernière, le bilan des pertes – plus de 30 000 – alors donné par le Hamas.

« J’ai envoyé un ami prendre des nouvelles de ma maison, répond par téléphone Ali, un Gazaoui réfugié en Égypte. Il m’a répondu qu’il n’avait pas pu la retrouver, qu’il ne savait plus laquelle c’était, que toutes étaient par terre dans le voisinage. » Du fond de sa tanière, alors qu’il paraissait jusque-là insensible au drame enduré par les Gazaouis, Yahya Sinwar semble avoir évolué, comme le suggère la dernière proposition du Hamas. « Dans sa réponse (fin février, NDLR), il nous a dit que ce qui nous affaiblit, c’est la souffrance de notre population », révèle la source précitée. « Il a pris conscience que les Gazaouis vivent une situation très difficile, alors il calme le jeu pour que la population ne se retourne pas contre le Hamas », poursuit cet expert de la scène gazaoui.

Avant le 7 octobre, Sinwar contrôlait tout ou presque à Gaza, nommant lui-même les vice-ministres pour diriger les ministères, et s’attachant les services de leurs gardes du corps pour le renseigner directement. « Avec la guerre, ce proto-État s’est affaibli et il n’est surtout plus capable de fournir le moindre service à la population », explique Ali, le Gazaoui. Selon lui, « à plusieurs endroits, la population s’en est prise aux gens du Hamas sur place. Des Palestiniens ont critiqué Sinwar devant les militants du Hamas qui n’arrivaient même pas à leur répondre ».

Le chef du mouvement islamiste aurait pris conscience de ces ferments de contestation. « Nous l’avons constaté pendant les négociations, explique la source proche des pourparlers. À un moment donné, Sinwar s’est inquiété de savoir qui protégerait d’une vengeance les combattants de sa branche armée qui survivraient à la guerre ? »

Pour l’après-Hamas, des scénarios évoquent, en effet, le déploiement de policiers de l’Autorité palestinienne, mais aussi de pays comme la Turquie, des alliés du Hamas sollicités, précisément pour éviter des règlements de comptes entre Palestiniens. Les frictions internes – illustrées par l’assassinat jeudi d’un chef de clan acceptant de jouer le jeu d’Israël pour l’acheminement de l’aide humanitaire - sont d’autant plus probables que les survivants de la branche militaire du Hamas n’accepteraient pas forcément « d’être discrets et de ne plus se montrer dans Gaza », comme le demandent à Sinwar les négociateurs qatariens et égyptiens.

Dans le nord de la bande de Gaza, la police du Hamas est déjà revenue sur le terrain, après le départ des soldats israéliens. Mais des habitants ont critiqué leur retour. Comme ce Gazaoui qui montre une vidéo, diffusée avant la guerre, dans laquelle on voit Moussa Abou Marzouk, un cadre du Hamas au Qatar, critiquer le Djihad islamique, pour avoir lancé des roquettes à l’été 2022 sur Israël, sans prévenir le Hamas, provoquant une riposte israélienne qui tua 44 Palestiniens en deux jours. « On lui retourne la critique car le Hamas en a fait de même en octobre », constate ce Gazaoui.

« Yahya Sinwar a réalisé que le Hamas a perdu de sa popularité à Gaza, affirme la source impliquée dans les pourparlers pour arracher une trêve. C’est pour cela qu’il insiste sur l’entrée chaque jour de 500 camions d’aide humanitaire, sur les tentes pour les sans-abri et les boulangeries à réparer immédiatement. Au début de la guerre, ce n’était pas sa préoccupation. »

Cette priorité humanitaire était inscrite dans la réponse du Hamas - que Le Figaro a consultée - transmise par Khalil al-Hayya, du Bureau politique, à Abbas Kamel, le chef des services de renseignements égyptiens, à l’issue du dernier round de négociations au Caire. « Dès le premier jour de mise en œuvre de l’accord, l’aide sera autorisée à entrer dans toute la bande de Gaza, sans la diviser en carrés de sécurité », (comme le veut Israël), exigeait le mouvement islamiste.

Selon cette source proche des négociations qui connaît Sinwar depuis des décennies, « le chef du Hamas a été surpris par la force de la réaction israélienne, après le 7 octobre. Il a sous-estimé la riposte de Netanyahou. Il s’attendait à des représailles juste un peu plus longues que celles de la dernière guerre de 2014 (qui avait duré 48 jours). On est capable de l’affronter, pensait-il ».

Malgré le recul de sa popularité, Sinwar reste en contrôle de la situation au sein du Hamas, comme l’ont constaté les négociateurs au Caire. « Sinwar fixe les lignes principales aux négociateurs du Hamas, puis il les laisse discuter et à la fin des pourparlers, ils reviennent vers lui pour lui présenter les résultats. C’est lui qui décide, plus qu’Ismaël Haniyeh (le chef du Hamas au Qatar, NDLR). C’est l’homme du terrain », tranche la source impliquée dans les négociations.

Au début de celles-ci, en fin d’année dernière, Israël avait demandé au Qatar d’accepter l’exil de Sinwar et d’autres chefs du Hamas de Gaza, mais Doha a répondu qu’ils devaient « rapidement oublier cette idée ». Ces dernières semaines, le Qatar, qui abrite la branche politique du Hamas, aurait exercé des pressions sur ses hôtes.

Dans ces négociations, deux hommes jouent un rôle en coulisses : Mohammed al-Emadi, l’ambassadeur de l’émirat dans la bande de Gaza, qui acheminait les 30 millions de dollars versés chaque mois au Hamas avec l’aval de Benyamin Netanyahou. Mais sa relation avec Sinwar était parfois électrique. « Abou Brahim pouvait refuser de le voir, en restant allongé sur son canapé alors que l’ambassadeur attendait dehors », se souvient un notable de Gaza. L’autre est Azmi Bishara, ancien député arabe israélien à la Knesset, avant d’être expulsé par l’État hébreu en 2007, puis accueilli par l’émir du Qatar Cheikh Tamim, qui en fit un influent conseiller. « Il a influencé le Hamas dans la rédaction du document qui servit de base aux négociations de Paris fin janvier autour des chefs de la CIA et du Mossad en vue déjà d’une trêve », rappelle la source proche des pourparlers.

Sinwar occupe une place à part dans l’organigramme du Hamas. « Contrairement à d’autres cadres, il n’est ni l’homme du Qatar, ni de l’Iran. C’est l’homme de l’intérieur », dit de lui ce notable de Gaza, qui le connaît bien.

Se cache-t-il avec des otages comme boucliers humains ? Nul ne sait. Les captifs israéliens sont-ils, eux-mêmes, terrés dans le réseau de cavités souterraines que les Gazaouis appellent « le métro » ? « Les Israéliens pensaient que les otages étaient dans les tunnels, mais ils ne le sont pas tous, confie Ali, l’habitant du nord de l’enclave passé en Égypte. Un de mes amis, membre du Hamas, en abritait deux chez lui dans sa maison. Sa femme était en colère. Ils ont été libérés par le Hamas lors de la première trêve et remis aux Israéliens. Depuis, il a été tué, sa maison a été bombardée. »

Combien d’otages sont morts ? Une trentaine, selon les autorités israéliennes. Dans une tribune à la revue américaine Foreign Policy, l’ancien premier ministre israélien Ehoud Barak affirme que seulement « environ la moitié des 136 otages israéliens sont encore en vie ».

Benyamin Netanyahou exige d’avoir la liste des captifs avant d’avancer vers une trêve. « Le Hamas et les factions de la résistance fourniront les noms du lot de prisonniers israéliens 48 heures avant la mise en œuvre de l’accord de trêve », stipulait la précédente réponse du Hamas à l’État hébreu. Selon nos informations, la nouvelle proposition des islamistes fait état de la libération d’une soldate israélienne contre la sortie de prison dans l’État hébreu de 50 Palestiniens, dont 30 condamnés à perpétuité. Parmi ces derniers figurent Marwan Barghouti, ancien cadre du Fatah de Yasser Arafat, et Ahmed Saadat, ex-dirigeant du Front populaire de libération de la Palestine. Une exigence considérée jusque-là comme « délirante » par Benyamin Netanyahou.

Concernant l’autre priorité du Hamas sur le retour des déplacés dans le Nord, celui-ci devrait se faire lors de la première phase du cessez-le-feu, et sans contrôle de la part d’Israël sur les routes, notamment sur l’axe Salah ad-Din, qui relie le nord au sud de la bande de Gaza. L’État hébreu s’oppose au retour des Palestiniens entre 19 et 60 ans. De peur que le Hamas se reconstitue.