Comment Dubaï attire les stars de la finance mondiale

Comment Dubaï attire les stars de la finance mondiale
السبت 13 يناير, 2024

En trois ans, la ville a attiré des milliers d’entreprises de la finance mondiale. Elle veut gagner en respectabilité.

Jorge Carasso / Le Figaro

Dans les étages du One Zaabel, la nouvelle sensation immobilière de Dubaï en forme de H qui culmine à 300 mètres de haut, les ouvriers s’affairent. D’ici quelques mois, les plateaux accueilleront des grands noms du monde des affaires et des banques. Le propriétaire, un fonds étatique, a mis les petits plats dans les grands pour faire de l’endroit un paradis pour le business. Des bureaux aux standards internationaux avec vue sur une forêt de gratte-ciel, mais aussi une piscine à débordement sur le toit, des restaurants étoilés et des bars dernier cri. En somme, un concentré de ce que Dubaï sait faire de mieux pour attirer les grandes signatures de la finance.

Celles-ci ne se font d’ailleurs plus prier. L’émirat, connu pour son bling bling et son faste, est aussi en train de devenir un eldorado pour les banques, les hedge funds et les fonds de private equity (capital-investissement) du monde entier qui s’y ruent désormais.

Le nombre d’entreprises du secteur – parmi lesquels les plus grands noms mondiaux de la finance comme JPMorgan, Blackrock, Millennium Management… - a tout simplement doublé en deux ans et demi, passant de 2 500 à 5 000. Dans le même temps, le nombre de salariés est passé de 20 000 à 40 000, selon les chiffres du district financier (DIFC) de Dubaï, le quartier d’affaires de la ville. Le nombre de startup financières est lui passé de 300 à presque 3 000 sur la même période. « Dubaï est devenu en quelques mois le Singapour du Moyen-Orient, juge Taimur Khan, directeur études et recherches chez le spécialiste immobilier CBRE. Elle est désormais dans le top 10 des grands centres financiers mondiaux. » Il est sans équivalent dans la zone MoyenOrient, Afrique, Asie du Sud. Dans les tours de la ville, le mètre carré se loue à prix d’or : 1 000 dollars le m2 à l’année pour le One Zaabel, par exemple. Presque autant qu’à la City de Londres, et deux fois le prix de la Défense à Paris.

L’argent coule à flots
La fiscalité imbattable – longtemps 0 % sur les bénéfices, aujourd’hui 9 % – reste un argument imparable pour faire venir les entreprises qui ont des intérêts dans la zone. Mais c’est loin d’être le seul. L’argent qui coule à flots dans la région y est aussi pour beaucoup. D’autant que les autorités sont peu regardantes sur sa provenance. La ville est devenue un refuge pour ultra-riches. Elle a accueilli près de 10 000 millionnaires en deux ans, selon le cabinet Henley & Partners. Quant aux centi-millionnaires, ces particuliers avec un patrimoine de 100 millions à 1 milliard de dollars, leur nombre (210) a grimpé de 78 % en 2023.

Un boom lié à la façon dont Dubaï a géré le Covid, en rouvrant parmi les premiers ses portes aux hommes d’affaires du monde entier qui s’y sont depuis installés, et à l’arrivée d’oligarques russes fuyant les sanctions internationales liées à la guerre en Ukraine. Le fait que la ville soit très sûre (pas de braquages ni de délinquance) est atout de poids. L’argent est aussi local. Les Émirats, qui tirent leur fortune du gaz et du pétrole, ont des gisements de cash à investir, notamment en Europe. Ils le font désormais au travers du private equity, ce qui leur permet de miser indirectement sur des entreprises à fort potentiel. Une nouveauté. « Jusqu’à récemment, les fonds souverains cherchaient avant tout à mettre la main sur des actifs immobiliers trophées, de beaux immeubles très bien placés et très visibles, se rappelle Frédéric Giovansili, directeur général adjoint de Tikehau Capital, un des champions français du capital-investissement. Désormais, ils veulent également de bons rendements. Ils les trouvent dans le private equity qui rapporte plus de 10 % par an. » Les levées de fonds effectuées dans la région représentent des sommes colossales qui se comptent en plusieurs centaines de milliards de dollars.

La guerre en Ukraine a aussi abouti à la relocalisation de nombre d’entreprises liées aux matières premières, autrefois installées en Suisse, qui peuvent commercer depuis les Émirats comme bon leur semble. Le blé russe se négocie aujourd’hui à Dubaï.

Preuve que cette abondance d’argent aiguise les appétits, près de 60 hedge funds, ces fonds alternatifs risqués qui gèrent l’argent de particuliers fortunés et d’institutionnels, se sont enregistrés au DIFC en 2023 (+ 54 % sur un an). « Ces fonds n’ont pas l’obligation d’être en Europe ou à Singapour pour exercer leurs talents. Ils peuvent être n’importe où, et ils ont choisi Dubaï », assure Abdullaj Alajaji, à la tête du spécialiste immobilier Driven Properties, qui lancera sous peu son propre hedge fund.

Du sur-mesure
Mais surtout, les autorités déroulent le tapis rouge aux entreprises. Ces trois dernières années, de nombreuses lois ont été passées pour faciliter les affaires. « En Europe, les choses vont lentement à cause de la bureaucratie. Ici, il y a une vision, un plan, et les choses bouge rapidement. C’est pour cela que les entreprises viennent ici, car elles veulent aller vite », Christian Kunz, directeur de la stratégie et de l’innovation au DIFC. Ce quartier d’affaires est une sorte de ville dans la ville, avec son propre régulateur, sa propre cour de justice, et ses propres lois issues du droit britannique qui peuvent être ajustées au gré des demandes. « Les autorités peuvent promulguer des lois temporaires, les tester six mois et les conserver si elles fonctionnent », indique Mark Chahwane, cofondateur de l’appli d’épargne Sarwa, accessible dans les Émirats.

Longtemps paradis fiscal à la réputation sulfureuse, Dubaï soigne désormais son image. Les Émirats arabes unis ont été placés en mars 2022 sur la « liste grise » (juridictions soumises à une surveillance renforcée, soit un cran de mieux que la liste noire) par le Groupe d’action financière (Gafi), organisme international de lutte contre le blanchiment d’argent, en raison des inquiétudes en la matière. Ils se sont engagés à pallier les défaillances restantes. « Nous sommes est en discussion très avancées, indique Mohammed al-Zarooni, président exécutif de l’Autorité des zones économiques intégrées de Dubaï. D’ici un ou deux mois, les Émirats pourraient quitter cette liste. »