Comment Israël contourne le boycott de la Turquie… grâce aux Palestiniens

Comment Israël contourne le boycott de la Turquie… grâce aux Palestiniens
الخميس 15 أغسطس, 2024

Confrontés à un gel total des relations commerciales décrété par la Turquie au nom de la solidarité avec le Hamas, les importateurs israéliens ont recours à des Palestiniens de Cisjordanie pour contourner l'obstacle.

Par Pascal Brunel, Les Echos

C'est une sorte de ruse de l'histoire. Des hommes d'affaires israéliens exploitent une lacune du boycott total décrété en mai contre leur pays par le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Ils font appel à des intermédiaires palestiniens de Cisjordanie ou de Jérusalem-Est pour contourner cette sanction, prise par Ankara pour exprimer sa solidarité envers les Palestiniens de la bande de Gaza.

Les chiffres sont hallucinants. Selon l'Assemblée des exportateurs turcs, citée par les médias israéliens, les ventes de produits turcs officiellement destinés à la « Palestine » ont explosé en juillet, avec une hausse de 1.180 %. Ces transactions ont atteint 119 millions de dollars, contre 9,3 millions à la même époque l'an dernier.

Estampillés « Palestine »
En fait, toutes ces importations, dont les bons de commande sont officiellement estampillés « Palestine », sont destinées à des importateurs israéliens, qui avaient l’habitude de travailler avec des fournisseurs turcs. Depuis des années, les échanges entre les deux pays n’ont cessé d’augmenter. Les exportations turques vers Israël ont doublé en une décennie. La Turquie est devenue le 5e pays fournisseur de l’Etat hébreu. Ses ventes ont atteint 5,4 milliards de dollars l’an dernier, soit 6 % des importations israéliennes.

C’est dire si le boycott a été durement ressenti en Israël, notamment dans le bâtiment, déjà très affecté par l’absence de plus 85.000 travailleurs palestiniens interdits de séjour en Israël depuis les massacres du 7 octobre. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que les importations de ciment destinées à la « Palestine », et qui se sont retrouvées sur les chantiers israéliens, aient grimpé de 46.3 %. La hausse est de 51 % pour l’acier, de 35 % pour les produits miniers et de 5 % pour les voitures, en particulier les Toyota produites dans des usines turques.

Le tour de passe-passe est simple. Un importateur israélien s’adresse à un intermédiaire palestinien qui passe la commande, moyennant une commission variant de 5 à 8 % du montant total de la transaction. Les produits commandés sont ensuite déchargés dans un port israélien. «

Tout le monde y trouve son compte »
« Tout le monde y trouve son compte, le chef d’entreprise turc, qui ne perd pas son client israélien, l’importateur israélien qui a un besoin urgent de ces fournitures et l’agent palestinien, qui en profite au passage », souligne un diplomate israélien. Et d’ajouter : « Comme l’eau, l’argent trouve toujours le moyen de passer à travers tous les obstacles. »

Reste à savoir si les autorités turques vont accepter longtemps ce « deal », d’autant que les tensions continuent de monter entre les deux pays dont les dirigeants ne cessent de s’injurier. Au cas où la Turquie mettrait un terme au système tripartite actuel, Israël n’aurait comme alternative que d’utiliser le même stratagème en faisant passer, par exemple, ses importations via la Grèce.

Mais, comme le souligne un importateur de voitures, « cette option aurait deux inconvénients majeurs : les livraisons prendraient au moins un mois, contre une semaine avec le système actuel, et le coût du transport pourrait doubler ».

Une autre inconnue de taille porte sur le pétrole et inquiète l’Etat hébreu au plus haut point. Israël importe environ 40 % de son brut d’Azerbaïdjan, un pays avec lequel il entretient des relations très étroites, notamment dans le domaine des ventes d’armes. Or ce pétrole est acheminé par un pipeline de 1.768 km de long traversant la Géorgie pour aboutir au port turc de Ceyhan sur la Méditerranée.

De là, le brut est acheminé par tanker vers les ports israéliens de Haïfa et d’Ashdod pour y être raffiné. Jusqu’à présent, le président turc n’a pas remis en cause ce dispositif. A titre de précaution toutefois, le ministère israélien de l’Energie cherche à négocier une augmen tation des achats de brut auprès d’autres pays parmi ses fournisseurs actuels, tels le Kazakhstan et le Nigeria, ou à trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. Mais, dans cas aussi, les coûts de revient du transport et les taux des contrats d’assurance risquent d’être bien supérieurs à ceux actuellement pratiqués avec la Turquie.