ÉDITO. La politique étrangère d’Emmanuel Macron souffre d’inconséquences, d’erreurs d’analyse et de contradictions. Un renouveau diplomatique est urgent.
Par Luc de Barochez - Le Point
Emmanuel Macron a évité de se rendre cette année à l'Assemblée générale de l'ONU, la grand-messe diplomatique qui se tient chaque mois de septembre à New York. N'a-t-il plus rien à dire à ses pairs, au moment où le monde craque de partout ? S'il préfère raser les murs, c'est que sa politique étrangère collectionne les déconvenues, ces temps-ci. L'annonce, le 24 septembre, du piteux retrait des troupes françaises du Niger, après le Mali et le Burkina, est la dernière infortune en date.
Cet été déjà, le président se heurta à un mur lorsqu'il chercha à se faire inviter au sommet des grands pays émergents, à Johannesburg. Pince-sans-rire, la cheffe de la diplomatie sud-africaine jugea sa requête « assez amusante ». Plus sérieusement: où qu'on tourne le regard, les déceptions s'accumulent.
Prenons quelques partenaires de la France. L'Allemagne ? « Nous ne sommes d'accord sur rien », dit le vice-chancelier écolo, Robert Habeck. De l'énergie à la défense, en passant par la réindustrialisation ou les servitudes budgétaires européennes, la relation est encalminée. Le Liban ? Dans ce pays qui fut la clé de voûte de notre politique au Proche-Orient, l'inconséquence de la politique suivie après l'explosion de 2020 à Beyrouth a abouti à nous brouiller avec tout le monde. Elle ne nous a pas pour autant fait gagner les faveurs des véritables maîtres du pays, l'Iran et le Hezbollah. Le Maroc ? La relation spéciale, que tous les prédécesseurs de Macron ont cultivée avec Rabat, n'est plus. Si encore ce coup de froid s'était accompagné d'un réchauffement avec l'Algérie! Ce n'est pas le cas: les autorités algériennes viennent d'interdire aux écoles privées d'enseigner les programmes scolaires français.
Sur le papier, pourtant, la France a tout pour être influente. Son soft power a de beaux restes, son réseau diplomatique est étoffé, son armée est puissante, sa force de frappe garantit son indépendance. Elle est le seul pays à la fois membre de l'UE et de l'Otan à disposer d'un siège permanent au Conseil de sécurité de I'ONU. Mais Emmanuel Macron a péché par ses erreurs d'analyse. Son constat d'une Otan « en état de mort cérébrale », quelques mois avant l'agression russe contre l'Ukraine, est resté dans les mémoires de nos partenaires européens, eux qui comptent plus sur Washington que sur Paris pour leur sécurité. Son idée d'offrir à la Russie des « garanties de sécurité » après l'invasion les a encore plus troublés. Et sa volonté de maintenir une présence militaire au Sahel, alors que les signaux d'alarme se multipliaient, se paie comptant aujourd'hui.
Surtout, le président de la République fait l'amère expérience de la difficulté à jouer en première division quand on dirige un pays qui a désormais le niveau de la deuxième. Le poids économique et in- dustriel de l'Hexagone décline relative- ment, sa dette publique atteint des niveaux astronomiques (3 050 milliards d'euros), la cohésion de sa société laisse à désirer, ses perspectives politiques sont sombres. Autant de facteurs qui minent notre influence. La « puissance moyenne », théorisée par Valéry Giscard d'Estaing il y a un demi-siècle, devient-elle une puissance croupion ? Emmanuel Macron a prouvé qu'il savait évoluer. La réorientation au profit de Kiev, de son positionnement dans la guerre d'Ukraine en témoigne. Mais c'est toute la politique étrangère qui doit faire sonyaggiornamento. Il est contradictoire de se faire le champion de l'autonomie stratégique européenne et de vanter simultanément le rôle de « puissance d'équilibre » de la France dans le monde, dans la pure tradition « gaullo-mitterrandienne », Cela donne à nos partenaires le sentiment que notre engagement européen est relatif et que notre politique étrangère n'est pas fiable. Le « en même temps » est aussi inefficace en diplomatie qu'en politique intérieure. La France n'est pas condamnée à l'effacement. Elle a beaucoup à dire sur la liberté, la justice et la démocratie. Mais, pour retrouver sa voix, elle doit se regarder en face, et se tourner vers l'avenir plutôt que d'entretenir les nostalgies. Car si le président de la République appréhende mal les rapports de force, comment pourrait-il remettre la France à la place qui doit être la sienne sur la scène internationale?