L’administration Biden souhaite la mise en place d’un gouvernement libéré de l’influence du mouvement, fragilisé par la campagne militaire israélienne
Jared Malsin et Summer Said // The Wall Street Journal // L'Opinion
BEYROUTH — L'administration Biden cherche à profiter des opérations militaires israéliennes contre le Hezbollah pour mettre fin à la longue domination du mouvement sur la vie politique libanaise en faisant élire un nouveau président, selon des responsables américains et arabes au fait de ces discussions.
Ces derniers jours, le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, a appelé des dirigeants qataris, égyptiens et saoudiens ain de leur demander de soutenir la tenue d’un tel scrutin. Amos Hochstein, haut fonctionnaire de la Maison Blanche, a également expliqué aux responsables arabes qu'il fallait considérer l'afaiblissement du Hezbollah par les frappes israéliennes comme une occasion de sortir de l'impasse politique. Les partis libanais n'ont, en effet, pas réussi à s’entendre sur le nom d'un nouveau président depuis que Michel Aoun a quitté ses fonctions à la fin de son mandat en 2022.
L'initiative américaine vise à répondre aux frustrations engendrées par des années de gouvernance inefficace. Celles-ci ont empêché toute réforme et renforcé le pouvoir des élites politiques libanaises — notamment celui du Hezbollah, qui, outre sa puissance militaire, est aussi un parti influent. Cette démarche marque un tournant par rapport aux appels lancés par l'administration américaine il y a quelques semaines en faveur d'un cessez-le-feu immédiat. Cependant, certains habitants du pays et de la région craignent qu'insister pour qu'un candidat soit désigné dès maintenant ne déclenche un nouveau conflit communautaire, semblable à ceux ayant déchiré le Liban ces dernières décennies.
« Ce que nous voulons voir sortir de cette situation, c'est un Liban capable de se défaire de l'emprise du Hezbollah — et au-delà de cela de briser la mainmise de ce mouvement sur le pays et de lui retirer son droit de veto sur la désignation du président », a déclaré cette semaine le porte-parole du département d'Etat, Matt Miller, à la presse.
Depuis des années, les efforts déployés par les Etats-Unis pour imposer des réformes au système de gouvernance libanais n'ont guère porté leurs fruits. La société libanaise est fracturée par ses divisions confessionnelles et politiques qui se sont creusées au cours de l'occupation française qui a suivi la Première Guerre mondiale. Les élites des principaux courants religieux — sunnites, chiites, chrétiens et druzes — se répartissant, depuis, les plus hautes fonctions politiques.
Le projet américain d'écarter le Hezbollah du pouvoir bénéficie du soutien de Riyad, affirment des responsables saoudiens bien informés sur la question. Ces dernières années, le pays du golfe Persique, riche en pétrole, a influé sur la trajectoire politique et économique du Liban.
La stratégie américaine consiste à s'appuyer sur des dirigeants libanais comme le Premier ministre, Najib Mikati, et le président du Parlement, Nabih Berri — chef d'une autre faction chiite et intermédiaire avec le Hezbollah dans les négociations sur le cessez-le-feu —, qui devront réunir les factions politiques pour élire un nouveau président, selon des diplomates au fait des récentes discussions. Selon la constitution du pays, le chef de l’Etat est le commandant en chef des forces armées et est considéré comme un acteur clé pour mettre en place un gouvernement plus fort, susceptible de mieux gérer la crise actuelle.
MM. Mikati et Berri ont indiqué la semaine dernière être favorables à l'élection d'un nouveau président, mais ils ont également exprimé leur soutien au Hezbollah dans sa lutte contre les forces israéliennes. Le chef de facto du mouvement, son secrétaire général adjoint Naim Qassem, a rejeté cette semaine les appels à une recomposition politique tant que la guerre avec Israël se poursuivra.
Le président libanais est élu par les 128 membres du Parlement, mais dans sa configuration actuelle, aucun bloc ne dispose des sièges nécessaires pour le désigner à lui seul. Sans soutien du Hezbollah et de ses alliés, il est donc difficile de voir comment un consensus politique pourrait se dégager.
Des représentants de l'Egypte et du Qatar — des pays qui jouent un rôle central dans les négociations de cessez-le-feu à Gaza et au Liban —, ont fait savoir aux responsables américains qu'ils considéraient leur projet irréaliste, voire dangereux. Dans le cadre de ces échanges, ils ont indiqué qu'Israël ne parviendrait jamais à détruire le Hezbollah et que celui-ci devait donc faire partie de toute solution politique au conlit.
Les Egyptiens craignent également que tenter de s'immiscer dans la politique libanaise en pleine crise n'augmente le risque de luttes intestines dans un pays qui a soufert d'une guerre civile dévastatrice qui s'est achevée en 1990. De nombreuses factions politiques du pays restent dirigées par des personnalités ayant été des seigneurs de la guerre lors de ce conlit.
Selon des analystes politiques et des diplomates, toute personne vue comme ayant pris le pouvoir à la faveur des attaques israéliennes contre le Liban pourrait devoir faire face à un retour de bâton de la part de l'opinion publique libanaise et des forces politiques rivales.
Lorsqu'Israël a envahi le Liban en 1982 dans le cadre d'une offensive contre l'Organisation de libération de la Palestine, l'Etat hébreu a soutenu l'élection d'un nouveau président, Bachir Gemayel, un chrétien maronite qui dirigeait les Forces libanaises, une milice d'extrême droite. Il a été assassiné quelques semaines après son entrée en fonction.
« Plus le nouveau président libanais sera perçu comme ayant été porté au pouvoir en tirant parti des actions militaires israéliennes soutenues par les Etats-Unis, plus il sera discrédité auprès de nombreux Libanais », estime Robert Ford, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Syrie et en Algérie.
Faute de chef de l'Etat, le Liban est dirigé depuis deux ans par un gouvernement intérimaire. Un vide du pouvoir qui a aggravé la crise économique du pays, qui a débuté en 2019 et qui, selon la Banque mondiale, est l'une des pires du siècle et demi écoulé. L'implosion de l'économie libanaise a plongé des millions de personnes dans la pauvreté et a privé l'Etat des moyens pour faire face à la crise provoquée par la guerre actuelle.
Les institutions gouvernementales ont été affaiblies par des années de corruption et d'impasse politique. Le Parlement ne s'est pas réuni depuis le mois de mai. La devise libanaise a perdu 97 % de sa valeur par rapport au dollar américain depuis 2019, réduisant presque à néant les salaires des fonctionnaires. De nombreux Libanais ont appris à s'accommoder de l'absence quasi-totale d'électricité publique, s'en remettant à des générateurs individuels. L'armée du pays, aidée des Etats-Unis, est, elle, plus faible que le Hezbollah.
L'intensification des attaques israéliennes — marquées par une offensive terrestre et plus de 3 000 frappes aériennes au cours des quatre dernières semaines — contre la milice chiite a chassé un million de personnes de leur foyer, selon le gouvernement. Plus de 2 000 individus ont été tués au Liban depuis le début des combats l'année dernière, la plupart étant morts depuis qu'Israël a durci sa campagne militaire contre le mouvement le mois dernier.
« Si la guerre s'intensifie, nous allons retourner au Moyen Age », affirme Amin Salam, le ministre libanais de l'Economie et du Commerce.
« Si nos ports et nos aéroports sont touchés, nous serons un pays sans Internet, sans moyens de communication, sans point d'entrée ou de sortie. Nous serons comme une île déserte », expliquet-il au Wall Street Journal.
Mercredi, Benjamin Netanyahu a appelé le peuple libanais à passer à l'action pour se débarrasser du Hezbollah.
« Vous avez l'occasion de sauver le Liban avant qu'il ne tombe dans l'abîme d'une longue guerre qui mènera à la destruction et à la souffrance, comme nous le voyons à Gaza. Il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi, a déclaré le Premier ministre israélien. Vous pouvez dès à présent reprendre votre pays en main. »
Les responsables libanais doutent de l'existence d'une force capable de contester les élites politiques du pays.
« Nous manquons d'un leadership qui nous permettrait au moins de nous engager dans une voie où nous pourrions voir la lumière au bout du tunnel », déplore Ibrahim Mneimneh, un membre réformiste du Parlement représentant un district de Beyrouth.
De nombreux Libanais ordinaires s'en prennent à Israël pour avoir attaqué le pays, mais ils se plaignent également du chaos qui règne au sein du gouvernement.
Mohammed Mikdad, un producteur de télévision de 41 ans, a dû dormir dans son bureau pendant des semaines après le début de l'intensiication de la campagne israélienne, le mois dernier. Pendant quelque temps, il se rendait dans l'appartement de ses parents, dans le sud de Beyrouth, pour se doucher, mais il a cessé d'y aller en raison des bombardements.
« Mon plus grand rêve est de prendre un bain », dit-il.