Par Anne Cheyvialle, Le Figaro
DÉCRYPTAGE - Le ralentissement de la croissance pousse les autorités chinoises à accélérer la restructuration des petites banques rurales, qui concentrent les crédits à risque.
L’assainissement bancaire se fait à bas bruit. À la chinoise. Surtout, ne pas braquer de projecteur sur le maillon faible de la deuxième économie mondiale que représentent ses banques régionales. L’enjeu pour Pékin est de ne pas déclencher un vent de panique qui conduirait à des « bank runs » avec des fuites massives de clients. Au risque d’inquiéter les investisseurs internationaux. « Le maître mot, pour le secteur bancaire, c’est la confiance », ponctue John Plassard. L’expert de la banque Mirabaud cite l’exemple de Credit Suisse, repris en urgence par UBS au printemps 2023 : « Malgré sa solidité, un bon ratio de Tier 1 (niveau de fonds propres, NDLR), les clients n’avaient plus confiance et retiraient leur argent », rappelle-t-il.
La purge, qualifiée de «réorganisation discrète», des petites banques rurales qui concentrent les créances douteuses a bel et bien commencé. Elle s’est accélérée ces derniers mois. Selon l’agence de presse financière Yicai, sur le premier semestre, le nombre d’établissements bancaires liquidés a été quatre fois plus important que sur l’ensemble de l’année 2023. Fin juin, 40 banques ont disparu en une seule semaine. Pékin voulait peut-être envoyer un signal avant l’ouverture du plénum du Parti, qui s’est tenu mi-juillet . Le pays est confronté à une «crise bancaire silencieuse», écrivait le 29 juillet dans une note la banque Pictet AM. Dans la seule province du Liaoning, située au nord, à la frontière avec la Corée du Nord, 36 banques ont fusionné en une seule. «On estime que près de 3800 petites banques locales, situées pour l’essentiel dans les zones rurales, sont en difficulté. Les prêts non performants représenteraient 13% des actifs bancaires chinois», commente Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement de Pictet.
Ces établissements font vivre le tissu économique local chinois de PME, artisans, petits commerces, agriculteurs. «Des clients souvent fragiles qui ont peu d’actifs à apporter en garantie; typiquement, un fermier qui doit acheter un bœuf pour labourer son champ», illustre John Plassard. «Ces banques sont vulnérables car les crédits octroyés sont concentrés sur des petits clients et peu de secteurs, appuie Junyu Tan, économiste Asie du Nord de Coface, l’assureur crédit français. Elles sont globalement sous-capitalisées.»
Forte hausse des retards depaiement
Le ralentissement de la locomotive mondiale - avec une croissance estimée cette année à 4,6% par le FMI- accentue l’endettement des entreprises et augmente le risque de défauts. Les banques régionales subissent de plein fouet la crise du secteur immobilier - marquée par la débâcle retentissante du promoteur géant Evergrande. La dernière étude sur l’Asie de Coface, publiée en juin, constate une dégradation en Chine : 62% des entreprises ont ainsi signalé des retards de paiement sur 2023, contre 40% en 2022.
Soucieux d’éviter un krach bancaire généralisé, le gouvernement et les régulateurs orchestrent des consolidations. Illustration emblématique dans la province du Henan, où les banques rurales ont connu une crise de liquidités et des fraudes jusqu’à provoquer des mouvements de protestation et contraindre les autorités locales et la banque centrale (BPC) à rembourser les déposants. Une banque plus importante a donc été créée, en septembre 2023, et l’opération vient d’être réitérée dans le Liaoning. La BPC a également identifié des fragilités dans les provinces du Zhejiang, du Shanxi, du Guangxi, du Hainan et du Sichuan. Autre stratégie, des obligations peuvent être émises par les gouvernements régionaux - cela a été le cas dans le Henan- pour recapitaliser les banques.
«Cela fait plusieurs années que les autorités nettoient le secteur bancaire. Soit elles laissent faire faillite les petites structures quand il n’y a pas d’impact majeur, soit elles créent des mini-mastodontes locaux pour les absorber», explicite Christopher Dembik. À la différence de l’Europe, complète-t-il, la Chine n’a pas su créer des «bad banks»pour isoler les mauvaises créances. «C’est qu’ils n’ont pas une vision très claire de la situation de ces banques régionales, imbriquées aussi au “shadow banking” (institutions financières nonbancaires) dontil est difficile d’avoir une estimation.»
L’économiste souligne une réglementation différente, moins exigeante pour les banques régionales. Alors que celle s’appliquant sur les grandes banques va plus loin que la réglementation internationale dite de Bâle III. «Les autorités ont ainsi créé une muraille pour éviter une crise systémique», note l’expert de Pictet. L’agence S&P a estimé que l’assainissement bancaire chinois pourrait prendre jusqu’à cinq ans. Le ralentissement pousse cependant Pékin à être plus vigilant. S’il n’est pas ressorti de stratégie économique forte du plénum, réunion plénière de mi-juillet du Comité central qui était pourtant très attendue, les autorités ont exprimé la volonté d’assainir le système immobilier et financier. «Des faillites bancaires régionales à répétition pourraient être source de tensions sociales, ce que veut absolument éviter le gouvernement», pointe John Plassart. Rappelant que lorsque, fin 2022, des manifestations et des heurts sont survenus dans la plus grande usine d’iPhone au monde, à Zhengzhou, dans la province du Henan, le gouvernement a immédiatement mis un terme au Covidzéro.
L’emballement d’une crise financière est avant tout corrélé au rythme de la croissance. Au risque, en cas d’affaiblissement marqué de l’activité économique, d’enclencher une spirale négative : hausse du chômage, envolée des dettes, faillites bancaires… Pékin devra réagir.