Comment un Iran affaibli se prépare à affronter l’administration Trump 2.0

Comment un Iran affaibli se prépare à affronter l’administration Trump 2.0
الثلاثاء 7 يناير, 2025

Entre l’aggravation des troubles sociaux et l’effondrement militaire de ses alliés, Téhéran devrait passer une année probablement difficile

The Wall Street Journal / L'OPINION

L’année 2025 s’annonce particulièrement délicate pour l’Iran. La République islamique va devoir se confronter à la nouvelle administration Trump alors qu’elle ressort très affaiblie d’une année 2024 durant laquelle elle a soufert d’une crise économique aiguë tout en subissant d’importants revers au Proche-Orient.

La nouvelle administration américaine prévoit d'augmenter les sanctions contre l'Iran dans le cadre d’une politique agressive visant à contenir son soutien à des groupes paramilitaires au Proche-Orient. La stratégie de Téhéran constitue toujours une menace pour les alliés et les partenaires de Washington, en particulier Israël, mais elle a perdu en puissance et s’avère impopulaire auprès de nombreux Iraniens ordinaires. L'équipe du président élu Donald Trump étudie par ailleurs différentes options, y compris celle de frappes aériennes, pour empêcher l'Iran de se doter de l’arme nucléaire.

L'économie iranienne a déjà été paralysée par une combinaison néfaste faite de mauvaise gestion, de corruption et de sanctions internationales. Des pénuries d'électricité ont entraîné la fermeture d’administrations, d'écoles et d'universités et perturbé la production de dizaines d'usines. Dans le même temps, la menace militaire de l'Iran a été sérieusement amoindrie par les coups portés par Israël à ses alliés — le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, le régime d'Al-Assad, aujourd’hui effondré, en Syrie —, et contre une grande partie des défenses aériennes iraniennes.

Les difficultés actuelles de la République islamique représentent le plus grand défi pour ses dirigeants religieux depuis 2022, lorsque le pays entier a été secoué par des troubles déclenchés par la mort d'une jeune femme lors d’une garde à vue où elle avait été placée parce qu’elle portait un voile soi-disant inapproprié. Les autorités ont écrasé le soulèvement avec une brutalité qui a fait des centaines de morts, selon les organisations de défense des droits de l'homme. Si les protestations contre la dégradation de la situation économique restent limitées, le régime semble désormais plus vulnérable aux mouvements sociaux.

Selon Sanam Vakil, directrice du programme pour le MoyenOrient et l'Afrique du Nord à la Chatham House de Londres, les dirigeants iraniens « sont probablement confrontés aux difficultés les plus graves qu'ils ont eux-mêmes créées » depuis des années. Cela pourrait également pousser Téhéran à négocier un compromis avec l'Occident pour sortir de la crise, ajoute-t-elle.

Le spectre de l'agitation sociale
Le président Massoud Pezeshkian a été élu en juillet sur un programme de réformes sociales, de relance économique et d'ouverture politique à l'Occident. Mais après six mois, les espoirs des Iraniens d'améliorer leur vie quotidienne se dissipent rapidement. La crise économique laisse planer la menace de troubles sociaux, ce qui inquiète les autorités iraniennes. Les commerçants manifestent contre l'inflation galopante, tandis que les retraités et les travailleurs du secteur pétrolier protestent contre les retards et les réductions de paiement des salaires et des pensions.

Le taux de change de la monnaie iranienne — un indicateur du climat économique — a terminé l'année 2024 sur un plus bas record de 821 500 rials pour un dollar, en baisse de 40 % par rapport au début de l'année. Le produit intérieur brut par habitant a chuté de 45 % depuis 2012 — lorsque les sanctions se sont intensiiées en raison du programme nucléaire — pour tomber à 4 465,60 dollars l'année dernière, selon la Banque mondiale.

Fait rare, les cordonniers et les autres marchands du principal bazar de Téhéran ont organisé une grève le 29 décembre en raison de l'inflation élevée, souligne Hamidreza Rastegar, le chef de la Chambre des guildes de Téhéran qui représente les commerçants. « N'ayez pas peur, fermez ! », ont appelé certains d'entre eux dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux par les syndicats iraniens. Les manifestants « craignent que les articles vendus à ces taux de change deviennent tout simplement hors de portée de la plupart des consommateurs », explique M. Rastegar dans un communiqué publié sur le site web de la Chambre des guildes.

Les manifestations liées à des questions économiques sont de plus en plus fréquentes et s’étendent à tout le pays et à tous les secteurs d'activité. Les infirmières et les travailleurs des télécoms ont ainsi manifesté contre les retards de paiement de leurs salaires. Et ces dernières semaines, des enseignants retraités se sont rassemblés devant le Parlement pour protester contre des retards dans le versement des allocations sociales, selon un syndicat d'enseignants.

Le mécontentement touche aussi le secteur pétrolier, l'activité la plus stratégique du pays et sa principale source de devises étrangères. Les travailleurs de l'usine pétrochimique d'Abadan, l'une des plus importantes du pays, protestent pour le non-paiement de trois mois de salaires, selon les médias publics et les syndicats iraniens.

Les manifestations sont de plus en plus politisées, certaines personnes reprochant au régime de trop se concentrer sur son programme idéologique et pas assez sur l'économie. « Assez de bellicisme, notre table est vide », pouvait-on lire sur une banderole portée par des retraités qui déilaient dans la ville d'Ahvaz. « Laissez le voile tranquille et pensez à nous », disait une autre banderole, sur une photo publiée le 29 décembre par l'Union libre des travailleurs iraniens, un groupe de syndicats iraniens.

Les pénuries d'énergie dues à des années de mauvaise gestion et de sous-investissement ont exacerbé la crise.

Le mois dernier, les installations industrielles n'ont tourné qu'à 41 % de leurs capacités en raison des pénuries d'électricité et de gaz naturel, a indiqué, le 18 décembre, la Chambre iranienne du commerce, de l'industrie, des mines et de l'agriculture. La baisse de production qui en a résulté chez les fournisseurs de volaille et de viande menace la sécurité alimentaire du pays, selon la chambre.

M. Pezeshkian a récemment déclaré que son gouvernement s'attaquait aux pénuries d'énergie en encourageant les entreprises et les ménages à cesser de gaspiller le gaz naturel et l'électricité et en luttant contre la contrebande de carburant.

Les usines sont en proie à « une profonde récession », alerte Mahmoud Najafi Arab, directeur de la chambre de commerce, qui représente certaines des plus grandes entreprises iraniennes, dans un communiqué publié sur le site web de la chambre. « Les activités de ces entreprises ne peuvent pas être économiquement rentables » aux taux d'utilisation actuels des capacités, ajoute-t-il.

Les pénuries d'énergies ont entraîné l'arrêt de 22 cimenteries et le ralentissement de la production pharmaceutique, selon l'agence de presse semi-oicielle Iran Labour News Agency. Elles devraient également nuire aux récoltes agricoles iraniennes cette année en provoquant l’arrêt des pompes à eau et en perturbant la fourniture d’engrais qui dépendent du gaz naturel pour leur fabrication, a indiqué mercredi Ali Gholi Imani, directeur de l'Association nationale des producteurs de blé, au journal économique Tejarat News.

Flambée des prix alimentaires
La crise énergétique alimente une forte inflation qui a atteint un taux de 37 % en rythme annuel en novembre, selon la banque centrale du pays. Les produits alimentaires sont les plus durement touchés. Au cours des trois dernières années, le prix de la viande a quintuplé et celui des pommes de terre a plus que doublé, selon une estimation du centre iranien des statistiques, le 31 décembre. Environ 32 millions d'Iraniens, soit plus d'un tiers de la population, vivent désormais sous le seuil de pauvreté, contre 18 millions en 2017, selon la chambre de commerce.

La situation économique désastreuse inquiète les dirigeants iraniens. Le 30 décembre, le Corps des gardiens de la révolution islamique, la force paramilitaire chargée de protéger la République islamique, a ainsi lancé un avertissement contre de nouveaux troubles. Elle a par ailleurs critiqué « les tentatives visant à dépeindre le système comme inefficace et propageant la peur au sein de la société ».

Selon Ali Rabiei, conseiller de M. Pezeshkian pour les affaires sociales, les jeunes générations d'Iraniens rejettent désormais l'isolement économique et les restrictions sociales qui ont caractérisé l'Iran ces dernières années. Ils « montrent des signes de rébellion contre le statu quo, écrit-il dans le journal réformateur Shargh, le 27 décembre. La prolongation des sanctions a largement contribué au sentiment de désespoir qui prévaut, laissant de profondes cicatrices sociales et politiques. »

Le gouvernement de M. Pezeshkian a répondu au mécontentement des jeunes Iraniens en assouplissant certaines des politiques les plus répressives de Téhéran. Fin décembre, il a levé l'interdiction du service de messagerie WhatsApp et de la suite d’applications GooglePlay. Il a en revanche maintenu le blocage d'Instagram et de Telegram, deux autres plateformes de réseaux sociaux largement utilisées en Iran pour critiquer les autorités.

Le président iranien a également réussi à bloquer la mise en œuvre d'une nouvelle loi prévoyant des peines plus sévères pour les femmes et les jeunes filles qui exposent leurs cheveux, leurs avant-bras ou le bas de leurs jambes. Les restrictions actuelles, dont le port obligatoire du voile pour les femmes, ont contribué à déclencher les manifestations qui ont touché tout le pays en 2022.

« Le régime tente d'éteindre les incendies plutôt que de résoudre les problèmes », observe Behnam Ben Taleblu, directeur principal du programme Iran à la Fondation pour la défense des démocraties, un groupe de rélexion de Washington qui préconise des sanctions plus sévères à l'encontre de l'Iran.

Même soumis aux sanctions les plus paralysantes, l'Iran pouvait encore dissuader les attaques étrangères sur son sol en s'appuyant sur la menace que représentait l'Axe de la résistance, une alliance informelle de milices du Proche-Orient dirigée par Téhéran.

Mais ces alliés ont été en grande partie vaincus l'année dernière. La destitution de Bachar al-Assad en Syrie, en décembre, principal allié étatique de l'Iran au Moyen-Orient, a conclu une cascade d'événements défavorables déclenchés par l'attaque meurtrière du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Depuis lors, l’Etat hébreu a dévasté le Hamas, principal allié palestinien de l'Iran, et tué la plupart des dirigeants du Hezbollah, le plus puissant allié de l'Iran.

Téhéran mise désormais sur ses alliés irakiens et yéménites pour menacer Israël. Mais leurs bases sont très éloignées de leurs cibles, ce qui limite leur efficacité.

Ces événements laissent à Téhéran une marge de manœuvre bien plus réduite alors que le régime des mollahs se prépare à un bras de fer potentiellement décisif avec M. Trump. Les revers subis l'année dernière font craindre que l'Iran n'accélère son programme nucléaire afin de rétablir une certaine dissuasion contre les attaques étrangères.

Depuis des mois, les responsables iraniens débattent ouvertement de l'opportunité d'accroître leurs efforts dans le domaine nucléaire et de revenir sur l'engagement pris il y a deux décennies par le guide suprême Ali Khamenei de ne pas se doter d'armes de destruction massive.

Reste que la République islamique a peiné à démontrer sa capacité à repousser les tentatives pour détruire son programme nucléaire. En 2024, Israël a lancé deux séries de frappes aériennes contre l'Iran, qui ont touché des installations militaires et détruit des systèmes de défense aérienne fournis par la Russie, en réponse à des attaques iraniennes directes — et sans précédent —, sur son territoire.

M. Trump envisage de son côté différents moyens pour empêcher l'Iran de fabriquer une arme nucléaire, y compris d'éventuelles frappes aériennes préventives qui rompraient avec la politique américaine de longue date consistant à contenir Téhéran par la diplomatie et les sanctions.

Passer outre le ressentiment Face à la perspective de nouvelles mesures punitives, le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a annoncé vendredi que son pays était prêt à reprendre les négociations nucléaires « sans délai » en échange de la levée des sanctions. Le chef de la diplomatie iranienne avait toutefois déclaré en novembre que l'avancement du programme nucléaire de Téhéran montrait qu'il pourrait faire face à toute nouvelle restriction.

« La “pression maximale 1.0” a entraîné une “résistance maximale” et s'est soldée par une “défaite maximale” pour les Etats-Unis » avait-il indiqué, faisant référence aux sanctions imposées sous le premier mandat de M. Trump. « La preuve ? Il suit de comparer le programme nucléaire pacifique de l'Iran avant et après la politique dite de “pression maximale”. »

Pour parvenir à un accord, les deux parties devront en tout cas laisser leur acrimonie de côté. L'approche de M. Trump à l'égard de l'Iran est probablement influencée par le fait de savoir que des agents iraniens ont tenté de l'assassiner, expliquent d'anciens collaborateurs de M. Trump. De son côté, M. Khamenei évoque souvent la mémoire de Qassem Soleimani, le commandant militaire iranien dont M. Trump a ordonné l'assassinat en 2020.

« Il y a une fenêtre étroite où le régime sera désireux de négocier et où Trump aura l’élan nécessaire pour obtenir ce qu'il veut vendre, estime Mme Vakil, de Chatham House. Mais le temps ne joue pas en faveur de Trump. Les idéologues de son camp exigeront de Téhéran un compromis qu’ils [les mollah] ne seront peut-être pas prêts à accepter. Il y a donc encore beaucoup de soufrances à venir pour l’Iran. »

Benoit Faucon (Traduit à partir de la version originale en anglais par Yves Adaken)