RÉCIT - Riyad et Abu Dhabi concentrent leurs actions sur une aide humanitaire aux déplacés libanais, mais attendent avant de se réinvestir politiquement à Beyrouth.
Par Georges Malbrunot, Le Figaro
Alors que se tient ce jeudi à Paris « une conférence internationale en soutien au peuple et à la souveraineté libanaise » qui ne débouchera pas sur un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, la France, qui l’organise, espère au moins que ses alliés, les puissantes monarchies arabes du Golfe, se réengageront en faveur d’un pays qu’elles ont délaissé ces dernières années. Leur aide financière et politique sera indispensable, une fois que les armes se seront tues, afin de redresser le Liban, déjà englué dans une crise financière aiguë.
« Les contributions annoncées lors de la conférence vont marquer un engagement de ces pays (du Golfe, NDLR) » envers le Liban, veut-on croire à l’Élysée, même si on reste prudent sur la profondeur de ce réengagement. « Nous comprenons qu’il y a un intérêt fort porté par l’Arabie saoudite à la situation au Liban », ajoute-t-on.
Pendant des décennies, l’Arabie saoudite, poids lourd du Golfe, mais aussi les Émirats arabes unis et le Qatar ont soutenu financièrement le Liban, où leurs alliés sunnites occupent, en vertu de la Constitution, le poste de premier ministre, principal levier de décisions à Beyrouth. Mais après la guerre civile qui s’est terminée en 1990, avec la montée en puissance du Hezbollah chiite, arc-bouté sur son arsenal militaire, le vrai pouvoir a basculé côté chiite, au grand dam des pays du Golfe, lesquels ont fini par abandonner le pays du Cèdre à leurs rivaux : le Hezbollah et derrière lui l’Iran, son sponsor.
Peu sensible au drame libanais, le jeune prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman (MBS), qui s’exprime peu sur la guerre en cours, incarne ce désamour vis-à-vis du Liban, qu’il n’a pas fréquenté, contrairement à ses aînés.
Est-il prêt aujourd’hui à réinvestir le Liban? Depuis des années, Emmanuel Macron le pousse en ce sens. Jusqu’à maintenant, sans grand résultat. L’affaiblissement du Hezbollah, regardé avec suspicion par le pouvoir saoudien même si Riyad s’est réconcilié en 2023 avec l’Iran, change-t-il la donne chez les dirigeants saoudiens? Comme souvent avec l’Arabie, l’attentisme va dicter sa conduite. Illustration de cette posture, le royaume ne sera représenté à la conférence de Paris ni par Mohammed Ben Salman ni même par son ministre des Affaires étrangères, le prince Faysal Ben Farhan al-Saoud.
«Avant de se réengager au Liban, décrypte un bon connaisseur du royaume, les Saoudiens attendent de voir quel sera le prochain président américain, car c’est lui qui peut être décisionnaire. D’autre part, l’Arabie, même si elle le souhaite en catimini, ne voit pas un anéantissement du Hezbollah», ajoute cette source qui ne croit pas à un réengagement saoudien à court terme en faveur du Liban. Ce n’est pas la présence à Paris, aux côtés du premier ministre libanais, Najib Mikati, du ministre des Transports Ali Hamieyh, proche du Hezbollah, et de deux autres, à l’Agriculture et à l’Énergie, qui lui sont redevables, qui va convaincre l’Arabie que le poids du parti de Dieu va reculer. Mais face à un drame, vécu au quotidien via les chaînes de télévision par les sujets de MBS, Riyad devrait accorder une aide humanitaire conséquente aux Libanais.
Paris se félicite également que les Émirats arabes unis (EAU) aient déjà versé 100 millions de dollars d’aide aux centaines de milliers de personnes déplacées par les bombardements israéliens, alors qu’une vaste campagne de levée de fonds est organisée aux EAU. Mais il est encore trop tôt pour que les EAU s’engagent politiquement au Liban, fait-on savoir à Abu Dhabi.
Au-delà, «il n’y aura de vrai réengagement saoudien que lorsqu’on s’orientera vers un accord régional au Moyen-Orient, qui entraînerait un affaiblissement de l’Iran et du Hezbollah», selon l’expert de l’Arabie saoudite. Une fois de plus, la France risque donc d’être déçue par les atermoiements de ses alliés du Golfe. On ne parle plus d’investissement saoudien en faveur de l’armée libanaise, alors que son renforcement est l’un des principaux chantiers de l’aprèsguerre.
Sur ce point, le Qatar, qui a déjà aidé l’armée libanaise, devrait continuer à financer une institution, considérée comme la seule capable de garantir l’unité et la souveraineté du Liban. Après la dernière guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, le riche émirat gazier avait été l’un des principaux financiers de la reconstruction du sud du pays. Cette fois-ci, compte tenu de l’ampleur des dégâts causés par les frappes israéliennes, les besoins seront bien supérieurs. Bref, si les monarchies sunnites du Golfe espèrent- en silence- une recomposition de la scène politique libanaise davantage favorable à leurs intérêts, elles se hâteront lentement avant de replonger dans la mosaïque multiconfessionnelle libanaise.