Par Isabelle Lasserre – Le Figaro
DÉCRYPTAGE - Comme l’Ukraine, la question palestinienne provoque une vive opposition entre le bloc occidental qui condamne sans réserve les massacres du Hamas et le bloc des pays du Sud, qui oscille entre une ambiguïté refusant de désigner le responsable et un soutien clair aux terroristes.
La sauvagerie de l’attaque du Hamas contre les civils israéliens, avec ses massacres perpétrés dans les kibboutz de Kfar Aza et Beeri, ses enfants assassinés de sang-froid, ses familles brûlées vives, ses femmes violées et kidnappées, a traversé l’Occident comme un coup d’épée, semé l’effroi dans toutes les démocraties et provoqué une réaction de soutien unanime en Europe et aux États-Unis.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dénoncé sans ambiguïté «l’acte de guerre» et de «terrorisme» commis par le Hamas. Elle a réaffirmé le droit d’Israël à se défendre et assuré que l’Europe serait à ses côtés «dans cette tragédie». De nombreux Européens appellent désormais à un changement de la politique palestinienne de l’Union, dont les subventions ont indirectement financé le Hamas, comme les achats de gaz à la Russie avaient financé la guerre en Ukraine pendant plusieurs années.
Des députés du Parlement européen et de plusieurs assemblées nationales ont aussi envoyé une lettre ouverte à l’UE pour lui demander d’inscrire les gardiens de la révolution, parrain iranien du Hamas et du Hezbollah, sur la liste des organisations terroristes.
Le secrétaire général de l’ONU a appelé à la libération des otages. « Rien ne peut justifier ces actes de terreur et les meurtres, les mutilations et les enlèvements de civils », a affirmé Antonio Guterres. Les États-Unis ont quant à eux apporté un soutien militaire et diplomatique sans faille à leur grand allié israélien, en envoyant un porte-avions et ses 75 chasseurs-bombardiers ainsi que d’autres bâtiments pour appuyer l’offensive terrestre annoncée de Tsahal, l’armée israélienne, dans la bande de Gaza. Israël aura « tout ce dont il a besoin » dans la guerre qui s’annonce avec le Hamas, le Hezbollah et les groupes armés palestiniens. « Tous les pays du monde doivent montrer un front uni face à de telles atrocités », affirme la Maison-Blanche.
Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Même si les crimes délibérés commis contre les enfants israéliens sont plus graves, au niveau du droit international, que les morts d’enfants palestiniens résultant de la réponse de légitime défense de Tsahal contre des objectifs à Gaza, ce ne sont pas les premières mais bien les secondes images qui sont brandies dans les pays de ce qu’on appelle « le Sud global ».
La guerre en Ukraine a servi de révélateur et d’amplificateur aux nouvelles fractures qui divisent le monde. Ces fractures sont aussi à l’œuvre dans la guerre commencée par l’assaut sanglant et sauvage contre Israël. Comme l’Ukraine, la question palestinienne provoque une vive opposition entre le bloc occidental qui condamne sans réserve les massacres du Hamas et le bloc des pays du Sud, qui oscille, à quelques exceptions près, entre une ambiguïté déplacée refusant de désigner le responsable et appelant à la désescalade comme le font la Chine, la Russie et l’Afrique du Sud et un soutien clair aux terroristes du Hamas comme l’ont fait l’Iran, l’Algérie, la Tunisie ou le Soudan. Seul dirigeant de l’Otan à ne pas avoir condamné l’attaque menée par le mouvement terroriste, le président turc Erdogan a dénoncé les « méthodes honteuses » d’Israël. Au Liban, des scènes de liesse ont accueilli les attaques du Hamas. Partout au sud ont fusé des encouragements au Hamas, dont la communication met en avant les 900 victimes déjà recensées dans les bombardements israéliens.
À peu de chose près, les lignes qui séparent ces deux blocs sont les mêmes qui s’opposent dans la guerre en Ukraine. Alors que le bloc occidental, sur la défensive, émerge doucement de la léthargie pacifique dans laquelle il était plongé depuis la chute de l’URSS et l’effondrement du communisme, au début des années 1990, il assiste, inquiet et parfois paralysé, redoutant l’ouverture d’un nouveau front, au renforcement de ses adversaires, qui plantent leurs drapeaux et leurs armes dans toutes les crises internationales. De Moscou à Téhéran, en passant par Pékin, Pyongyang, Istanbul et les grandes capitales d’Asie et d’Afrique, ce monde jadis dit émergent s’est aujourd’hui affirmé. Tous ses membres sont liés, sur les dossiers ukrainien et israélien, par la volonté de changer l’ordre international de 1945, longtemps dominé par le camp occidental et d’en modifier ses règles.
Il y a aussi les intérêts de chacun : pour l’Iran, tuer la dynamique de rapprochement entre Israël et les pays arabes depuis les accords d’Abraham ; pour la Russie, distraire l’Occident de la guerre en Ukraine. Ce front s’inscrit dans la lutte “antihégémonique” qui réunit Moscou, Pékin, Téhéran et d’autres , explique l’expert Jean-Sylvestre Mongrenier dans un article pour le site Desk Russie.
Comme à chaque guerre au Proche-Orient et malgré le soutien très majoritaire à l’État hébreu, les risques d’importation du conflit sont redoutés par les dirigeants occidentaux. Les manifestations pro-Hamas à Londres et en Australie, les drapeaux palestiniens accrochés aux fenêtres des cités de Seine-SaintDenis, les propos inexcusables de La France insoumise et de certains de ses alliés, les affiches antisémites et pro-Hamas qui fleurissent dans certaines universités françaises, révèlent que le camp anti-occidental, celui qui ne fait pas grand cas de la démocratie et du droit international, pousse aussi au cœur de l’Europe et du monde anglo-saxon.
Avec l’offensive terrestre israélienne qui se prépare contre le Hamas à Gaza, ce camp, en grossissant, tentera d’affaiblir le soutien occidental à Israël.