Conflit Israël-Iran : la tentation d’une intervention militaire américaine sème la discorde dans le camp de Donald Trump

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Conflit Israël-Iran : la tentation d’une intervention militaire américaine sème la discorde dans le camp de Donald Trump
الأربعاء 18 يونيو, 2025

Des figures de la base trumpiste s’opposent à toute implication des Etats-Unis dans l’affrontement, allant jusqu’à évoquer un « schisme », alors que des membres de l’entourage présidentiel encouragent un changement de régime à Téhéran.

Par Piotr Smolar (Washington, correspondant). Le ode

Tout repose sur un homme seul, sûr de son expérience, méprisant les experts, la concertation avec les alliés et même les membres de son administration. Un président américain face à l’histoire, entouré de courtisans, tiraillé entre l’affirmation de la puissance de son pays, sans penser au lendemain, et la fidélité à son engagement : le rejet des aventures militaires funestes. Ainsi se présente Donald Trump, au moment d’un choix pouvant définir son second mandat et déstabiliser durablement le Moyen-Orient. Les Etats-Unis doivent-ils s’engager aux côtés d’Israël pour détruire les installations du programme nucléaire iranien, voire favoriser un changement de régime ? Cette tentation ne cesse de se renforcer, à la vue des réussites militaires de l’Etat hébreu, provoquant divisions et fébrilité au sein même du monde MAGA (Make America Great Again).

« Nous avons à présent un contrôle complet et total des cieux au-dessus de l’Iran », écrivait Donald Trump, mardi matin, et ce « nous » semblait dessiner une coproduction. « Capitulation sans conditions », réclamait-il, plus tard, à Téhéran sur son réseau Truth Social, en précisant qu’« au moins, pour le moment », la vie du Guide suprême iranien, Ali Khamenei, n’était pas en danger. Cette escalade verbale était d’autant plus notable qu’elle intervenait avant la réunion du Conseil de sécurité nationale, à la mi-journée. Soit le moment où le commandant en chef est supposé entendre les plus hauts responsables de l’armée, des services de renseignement et de la diplomatie, avant de prendre sa décision.

Une tâche aussi lourde que celle du « président Harry Truman en 1945 », au moment de déclencher les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : cette comparaison a été formulée par l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, dans un texto révélé par Donald Trump lui-même. Représentant des chrétiens évangéliques engagés derrière Israël, l’ambassadeur se disait certain que le président entendrait « la voix de Dieu », qui serait « bien plus importante que (…) celle de quiconque » ; y compris, apparemment, celle des services américains.

Crainte d’un « schisme »
Le 26 mars, devant une commission de la Chambre des représentants, la directrice du renseignement national, Tulsi Gabbard, expliquait que l’Iran « ne construit pas d’arme nucléaire et [que] le Guide suprême Khamenei n’a pas autorisé le programme d’armes nucléaires qu’il avait suspendu en 2003 ». C’est le consensus parmi les experts : les stocks d’uranium enrichi très au-delà des normes du nucléaire civil posaient un problème alarmant, mais pas un danger immédiat. Interrogé sur cette position de la directrice du renseignement, dans l’avion le ramenant du G7 au Canada, Donald Trump a rétorqué : « Je me moque de ce qu’elle a dit. » Tulsi Gabbard n’avait pas été conviée à Camp David, le 8 juin, pour une réunion de crise consacrée au Proche-Orient.

Dans son discours inaugural, le 20 janvier, Donald Trump disait que son succès serait « mesuré non seulement par les batailles [qu’il] remport[erait], mais aussi les guerres [qu'il] ach[èverait], et, peut-être encore plus significativement, les guerres dans lesquelles [il ne s']engage[rait] jamais». Cette promesse faite à l'Amérique, celle dela fin des expéditions militaires si coûteuses en vies et en dollars, à l'instar de celles en Afghanistan et en Irak, a permis au magnat de se poser en candidat de la paix pendant la campagne présidentielle. Elle semble menacée. «Eh bien, étant donné que je suis celui qui a développé "L'Amérique d'abord", expliquait Donald Trump, le 14 juin, au magazine The Atlantic, et que l'expression on n'était pas employée avant que j'arrive, je pense que c'est moi qui décide [de son contenu]. »

Mais le trumpisme a dépassé Trump. Fidèle mais aussi autonome, le monde MAGA fonctionne en chambre d'écho, répercutant les messages lancés par la Maison Blanche, mais aussi ceux montant de la base. Il arrive que l'unité se fracture. La possibilité d'une intervention militaire en Iran risque de «diviser de façon désastreuse la coalition de Trump», s'est lamenté Jack Posobiec, militant d'extrême droite et présentateur sur le réseau One America News Network. Charlie Kirk, très influent patron de l'or ganisation Turning Point USA, investie dans les campus, a exprimé sa crainte d'un «schisme». Il n'aypas caché ses propres réserves. « Les guerres de changement de régime ne fonctionnent pas. Nous avons besoin d'humilité, de pru-dence et d'une leçon honnête d'histoire », a-t-il souligné.

Au sein même du camp MAGA, le conflit oppose ceux qui défendent une Amérique focalisée sur ses propres intérêts et ceux louant Donald Trump jusqu'au bout de ses contradictions et de ses revirements. A cela s'ajoute le camp des faucons républicains traditionnels, tel les présentateurs de Fox News Sean Hannity et Mark Levin bardes enthousiastes de la présidence - ou le sénateur Lindsey Graham. « Faire tomber le régime de l'ayatollah est une bonne chose, disait ce dernier sur Fox News, mardi. Je suis prêt à prendre le risque de ce qui se pas-sera ensuite. » L'élu de Caroline du Sud faisait la comparaison avec « Hitler au milieu années 1930», qu'il eût été bon de neutraliser.

Tucker Carlson, l'ancien présentateur de Fox News, rallié à Donald Trump pendant la campagne, se trouve en première ligne. Dans un extrait d'une interview du sénateur républicain Ted Cruz, rangé dans le camp des faucons, diffusé mardi soir, Carlson lui demande quelle est la population iranienne. L'élu du Texas ne sait pas. L'ex-présentateur l'accable: « Eh bien, c'est tout de même significatif, car vous appelez au renversement du gouvernement. » Invité le 16 juin de l'émission de Steve Bannon, idéologue du populisme nationaliste, Tucker Carlson a réclamé «une conversation rationnelle sur ce que sont [les] objectifs» pour justifier un «changement de régime» en Iran. «Dites-moi comment ça va se jouer, dans un pays de 90 millions d'habi-tants. Est-ce que vous avez bien réfléchi? Est-ce que ça vous importe? La réponse est non. »

Steve Bannon était aux anges, soulignant que le public américain ne soutenait pas l'idée d'une nouvelle aventure. Dans un sondage The Economist/YouGov, publié mardi, seulement 16% des Américains sont favorables à une implication des Etats-Unis dans le conflit entre Israël et l'Iran. Chez les républicains, ils sont 53% à y être hostiles.

Mais l'homme le plus observé est le vice-président, J. D. Vance. Celui-là même qui, en coulisse, avait déjà exprimé des réserves sur la campagne de bombardements contre les houthistes, au Yémen, à la mi-mars. Mardi, il s'est engagé dans le débat. Sur le réseau X, il a été interpellé par David Reaboi, qui dirige une société de communication spécialisée dans la sécurité. Ce dernier conseillait à Donald Trump de s'intéresser à ceux qui, dans l'entourage du vice-président, alimentent les médias Politico et Axios.

Dans un premier temps, J. D. Vance a réagi à cette mise en cause de son équipe en attaquant ce «loser», qui n'aurait aucune preuve de ces foutaises. Puis le vice-président a publié un long message louant la constance de Donald Trump au sujet du nucléaire iranien. «Il pourrait décider qu'il a besoin d'actions supplémentaires pour mettre fin à l'enrichissement iranien [de l'uranium). Cette décision revient au bout du compte au président. Les gens ont le droit d'être inquiets à l'idée d'un embourbement extérieur, après ces vingt-cinq années de politique étrangère idiote. Mais je pense que le président a mérité une certaine confiance sur cette question. » Un appel à la base MAGA, qui révèle en creux la fébrilité de son camp.