Crimes contre l’humanité: un procès historique en France contre trois généraux syriens

Crimes contre l’humanité: un procès historique en France contre trois généraux syriens
الثلاثاء 21 مايو, 2024

Par Jean Chichizola, Le Figaro

DÉCRYPTAGE - Proches de Bachar el-Assad, ils sont jugés ce mardi par défaut pour la mort de deux binationaux, un père et son fils, dans les années 2010. Une première dans notre pays.

Le procès qui s’ouvre ce mardi à Paris est historique. Pour la première fois en France, de très hauts responsables syriens, généraux gravitant dans les cercles proches de Bachar el-Assad, vont être jugés pour des crimes perpétrés dans les années 2010. Une étape cruciale pour la justice française, qui aura des conséquences juridiques et politiques importantes.

Du 21 au 24 mai, date prévue pour la fin des débats, le box de la cour d’assises sera vide. Jugés par défaut, Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud encourent la perpétuité pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « complicité de délits de guerre » en lien avec la mort de deux Franco-Syriens, Mazzen Dabbagh, conseiller principal d’éducation au lycée français de Damas, et son fils, Patrick, étudiant en deuxième année d’arts et sciences humaines à l’université de Damas.

Tous deux ont été arrêtés en 2013, atrocement torturés et détenus dans des conditions inhumaines. Le fils serait mort en 2014 et le père en 2017. Responsables présumés d’une des véritables usines à torturer qui fonctionnaient et fonctionnent toujours en Syrie, les trois généraux se seraient rendus complices « d’atteintes volontaires à la vie, torture, disparition forcée, emprisonnement ou autre privation grave de liberté », le tout « en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile » et « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ».

Les fonctions exercées par les trois généraux syriens jugés sont des plus importantes. Selon l’ordonnance de mise en accusation, elles forment « une chaîne hiérarchique claire s’agissant des services (de renseignements) dont la responsabilité était susceptible d’être engagée dans la disparition et la mort » des Dabbagh. Ali Mamlouk, 78 ans, homme de confiance et conseiller de Bachar elAssad, était au moment des faits « le chef des Renseignements généraux, de la sécurité de l’État et du Bureau de la sécurité nationale ».

Un diplomate français l’a qualifié en 2015 de « personnage clé » dans le système sécuritaire syrien et précisé : « Il y a en Syrie 13 ou 14 services de renseignements. Ali Mamlouk est depuis deux ans environ, au palais présidentiel, coordinateur de la sécurité nationale. Il a un regard et est censé avoir un contrôle sur l’ensemble des services de renseignements. »

Pour sa part, Jamil Hassan, 71 ans, également visé par la justice allemande, était le « directeur du service de renseignement de l’armée de l’air ». Enfin Abdel Salam Mahmoud, 65 ans, dirigeait « la branche des enquêtes » des renseignements de l’armée de l’air à l’aéroport de Mezzeh, l’un de centres de détention et de torture de Damas.

Des accusés sans avocat
Or pour l’accusation, Mazzen et Patrick Dabbagh ont été arrêtés, torturés et détenus dans des conditions inhumaines à Mezzeh par les hommes du service de renseignements de l’armée de l’air. En 2018, les autorités syriennes informent la famille que Patrick serait mort le 21 janvier 2014 et son père le 25 novembre 2017.

L’heure du jugement a donc sonné pour les responsables présumés de ces horreurs. Et l’on sait déjà que le procès fera avancer la cause, parfois négligée ou oubliée, de la justice internationale. À noter que, en marge du procès, un groupe de juristes spécialistes de la justice internationale soulève un important point de droit dans une tribune.

Sous la signature de plusieurs avocats et magistrats, dont Marcel Lemonde, ancien juge d’instruction international pour les procès des Khmers rouges, et François Roux, ancien avocat au tribunal pénal international pour le Rwanda, ce texte s’inquiète du fait « qu’aucun avocat ne sera présent pour défendre les accusés absents » et demande à « rectifier cette situation ». Non sans se « féliciter » de ce procès, « tant les crimes commis ces dernières années en Syrie méritent sanction ».

Car, près de huit ans près l’ouverture d’une information judiciaire, procès il y aura bien. Obeida Dabbagh, le frère de Mazzen, est partie civile ainsi que la Fédération internationale pour les droits humains, la Ligue des droits de l’homme et le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM).

Avocate de la FIDH, de SCM et de la famille Dabbagh, Me Clémence Bectarte définit le triple enjeu de ce procès : « Rappeler le sort de centaines de milliers de Syriens sans espoir de justice depuis 2011, souligner, contre les campagnes de propagande et de contre-vérité, la réalité d’une répression orchestrée au plus haut niveau de l’État syrien et enfin apporter une réponse judiciaire aux risques d’une normalisation avec le régime. »