Culte de la virilité, provocations... : la méthode Trump, c'est du brutal

Culte de la virilité, provocations... : la méthode Trump, c'est du brutal
الأحد 26 يناير, 2025

Culte de la puissance et de la virilité, wokisme battu en brèche, provocations géopolitiques… Le président élu, Donald Trump, impose sa vision d’un nouvel « âge d’or pour l’Amérique ».

Par Luc de Barochez. LE POINT.

En 2014, Margot Wallström inventait la « diplomatie féministe ». La ministre suédoise des Affaires étrangères entendait mobiliser tous les instruments de politique étrangère pour promouvoir l’émancipation féminine à travers le monde. Elle y voyait un moyen efficace de faire progresser le développement et la paix sur les cinq continents. Le concept fut adopté avec enthousiasme par plusieurs pays européens, dont la France. Le coup d’éclat de Wallström fut l’annulation d’un contrat de coopération militaire suédois avec l’Ara bie saoudite, afin de dénoncer l’oppression des femmes dans le « royaume des sables ». Son activisme provoqua une brève suspension par Riyad de ses relations diplomatiques avec Stockholm.

Une décennie plus tard, la monarchie saoudienne n’a plus aucun souci à se faire de ce côté-là. Dans les relations internationales, l’heure est à la testostérone et à l’exaltation de la virilité. Les diri geants autoritaires ont le vent en poupe, appuyés sur une politique de la nostalgie et du ressentiment qui préfère le droit de la force à la force du droit. Les chefs d’État et de gouvernement qui incarnaient les valeurs progressistes et égalitaires sont contraints de quitter la scène. La chute en début d’année du Premier ministre canadien, le libéral Justin Trudeau, en est l’illustration, au moment où, à l’inverse, Donald Trump revient à la Maison- Blanche avec la masculinité en bandoulière.

Dès son investiture, le nouveau président américain a annoncé la suppression d’un marqueur du wokisme, la possibilité de se déclarer non binaire, qui avait été instaurée par l’administration Biden pour les documents d’identité. « À partir d’aujourd’hui, la poli tique officielle du gouvernement des ÉtatsUnis sera qu’il n’existe que deux sexes : masculin et féminin », a dit Trump, qui entend présider pendant son mandat à une « révolu tion du bon sens ».

Sur ses talons, Elon Musk et d’autres grands patrons de la tech américaine – une « oligarchie » dénoncée comme telle, dans son discours d’adieu, par l’ex-président démocrate Joe Biden – font désormais la promotion de la virilité, rompant l’un après l’autre avec les valeurs wokistes et ultra- égalitaires qu’ils ont tant contribué à propager. Mark Zuckerberg, le patron du groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), a abruptement mis un terme ce mois-ci aux programmes destinés à promouvoir la diversité et l’inclusion dans ses entreprises, programmes qu’il a lui-même qualifiés de « castrateurs ». En même temps, il annonçait son désir d’œuvrer à insuffler un surcroît d’« énergie masculine » dans le monde professionnel.

Dans un monde où les crises succèdent aux crises, le retour au pouvoir de Donald Trump est tout sauf une aberration. Il participe d’une tendance à l’autoritarisme qui se répand, incarnée avant lui, et de manière autrement plus dictatoriale, par le Chinois Xi Jinping, le Russe Vladimir Poutine ou le Turc Recep Tayyip Erdogan.

Face à ces adeptes de la force brutale, le président américain ne fait pas mystère de sa volonté de restaurer l’hégémonie des États-Unis. « L’Amérique va retrou ver sa place légitime : la nation la plus grande, la plus puissante et la plus respectée, qui pourra susciter l’admiration et l’émerveillement du monde entier », a-t-il proclamé. Il a annoncé une mesure symbolique : rebaptiser le golfe du Mexique le « golfe de l’Amérique ». Mais il a aussi explicitement menacé le Panama, en affirmant son intention de reprendre le contrôle du canal reliant l’Atlantique au Pacifique, un contrôle que Washing ton a cédé par un traité conclu en 1977 avec la petite nation centraméricaine. « La Chine gère le canal de Panama, mais ce n’est pas à la Chine que nous l’avons donné, a affirmé le 47e président. Nous l’avons donné au Panama, et nous allons le reprendre. » Obnubilé par l’idée d’une Amérique qui aurait besoin de s’agrandir, Donald Trump a multiplié ces dernières semaines les intimidations visant le Danemark (pour la prise de contrôle du Groenland), le Canada (présenté comme un potentiel 51e État américain) et le Panama.

Il est possible que ces rodomontades en restent là. En légitimant l’objectif d’une prise de contrôle de territoires par une puissance impériale au nom d’une nécessité stratégique, elles n’en font pas moins le jeu de Vladimir Poutine, qui invoque les mêmes arguments pour soumettre l’Ukraine, ou de Xi Jinping, qui ne cache pas ses vues annexionnistes sur l’île de Taïwan. Vladislav Sourkov, l’ex-idéologue de Poutine, dont la figure a inspiré l’auteur Giuliano da Empoli dans le roman Le Mage du Kremlin (Gallimard), en fait l’observation dans un texte publié ce mois-ci par la revue Le Grand Continent : « Ils sont toujours plus nombreux, ceux qui ne rêvent que d’imiter notre nation audacieuse, consolidée, guerrière et sans frontières. » Et Sourkov de citer Trump mais aussi la Turquie d’Erdogan, qui intervient en Transcaucasie et en Syrie, la Chine, qui « tisse doucement ses routes de la soie à travers tous les continents », et Israël.

Doctrine Monroe.
De fait, Moscou, Pékin, Ankara et maintenant Washington retournent peu à peu au modèle de relations internationales qui domina la majeure partie du XIXe siècle, après l’épisode des guerres napoléoniennes. Dans ce qu’on appelait alors le « concert des nations », les grandes puissances impériales se partageaient le monde en se reconnaissant mutuellement des sphères d’influence. Chacune d’elles était libre d’y imposer sa loi aux petits États et d’y opprimer les populations.

Poutine est sur cette ligne lorsqu’il évoque un monde devenu « multipolaire », où il s’estime en droit d’annexer une partie des territoires ukrainiens ; Trump n’en est pas loin lorsqu’il met en avant des arguments de « sécurité nationale » pour affirmer que l’Amérique « a besoin » du Groenland et du canal de Panama.

Le conseiller de Trump pour la sécurité nationale, Mike Waltz, a d’ailleurs employé le terme « Monroe 2.0 », mercredi 8 janvier sur Fox News, pour décrire l’ambition du nouvel hôte de la Maison-Blanche. Waltz faisait ainsi référence à la doctrine d’un des premiers présidents américains, James Monroe, qui, en 1823, proclamait l’hégémonie de Washington sur l’ensemble de l’Amérique du Nord et du Sud. À l’époque, il s’agissait d’interdire aux nations européennes d’y exercer une quelconque influence.

Ces conceptions impériales tournent le dos à l’ordre international mis en place par les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale, qui avaient créé les Nations unies en 1945 dans l’espoir d’empêcher le monde de retomber dans un conflit cataclysmique. La charte de l’ONU impose à ses États membres de « s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies ». Critiquée de toutes parts, l’ONU est aujourd’hui largement impuissante et obsolète. Son secrétaire général, le Portugais Antonio Guterres, a lui-même illustré la vacuité du système onusien en allant serrer la main de Vladimir Poutine le 24 octobre à Kazan, en Russie, alors que le président russe est sous le coup depuis 2023 d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre en Ukraine.

Réformer l’ONU (les diplomates parlent de « réinventer le multilatéralisme ») est cependant un mirage à l’heure des nations désunies. Même un simple élargissement du nombre de membres permanents du Conseil de sécurité – pour y inclure des pays comme l’Inde, le Japon, le Brésil, le Nigeria ou l’Allemagne afin de mieux refléter la réalité du monde contemporain – est une gageure puisqu’il faudrait un accord unanime des cinq membres actuels (États-Unis, Royaume- Uni, Chine, Russie et France).

La décrépitude de l’architecture internationale d’après guerre se poursuit. Et, pourtant, on voit bien qu’elle conduira à un monde où l’emploi de la force sera de plus en plus désinhibé, où les États puissants seront libres d’imposer leurs intérêts comme ils l’entendent, et où les nations moyennes et faibles – la plupart des États européens entrent dans cette catégorie – seront livrées au bon vouloir et aux appétits territoriaux des empires. Au début du XXIe siècle, beaucoup pensaient que la révolution d’Internet et des technologies numériques allait libérer le pouvoir de l’individu au détriment des États, en favorisant l’horizontalité plutôt que la verticalité. Les réseaux sociaux étaient le socle sur lequel le peuple allait s’appuyer pour renverser les oppresseurs.

Les dictateurs et ceux qui aspirent à ce statut ont vu au contraire dans ces nouvelles technologies un bon moyen d’affermir leur pouvoir, de contrôler et de surveiller leur population en maîtrisant les flux de données, et parallèlement de répandre la discorde parmi leurs adversaires en facilitant la diffusion de fausses informations chez eux. L’irruption de l’intelligence artificielle ouvre même de nouvelles possibilités à ces « guerres hybrides » qui menacent en premier lieu les États européens, désarmés dans un monde qui n’est plus celui de la diplomatie féministe – si elle l’a jamais été – mais bien celui des hommes forts.