Dans la moitié nord de l’enclave palestinienne, où 300 000 personnes demeurent soumises à un siège quasi total dans les ruines de la métropole que fut Gaza, la famine menace.
Louis Imbert, Jérusalem, correspondant, Le Monde
Israël mène une politique de la faim à Gaza. Au mépris du droit international, l’Etat hébreu a organisé une pénurie de nourriture, qui finit par indisposer son principal allié américain et fragilise la poursuite de sa guerre. L’administration de Joe Biden promet de livrer elle-même de l’aide par la mer. Elle presse aussi Israël de faciliter les livraisons de vivres des Nations unies et de commerçants privés par les routes, notamment dans la moitié nord de l’enclave, où 300 000 personnes demeurent soumises à un siège quasi total, dans les ruines de la métropole que fut Gaza.
En attendant qu’Israël plie face à ces pressions, l’enclave célèbre le ramadan la faim au ventre. Le manque d’eau et de nourriture a déjà causé la mort d’au moins vingt-sept personnes, dont vingt-trois enfants, selon le ministère de la santé local contrôlé par le Hamas.
Les Nations unies préviennent que des poches de famine imminente se développent dans le Nord. L’Afrique du Sud demande à la Cour internationale de justice des Nations unies des mesures supplémentaires contre Israël, qu’elle accuse de violer la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Depuis que ces juges ont ordonné à l’Etat hébreu de garantir l’accès des Gazaouis à l’aide humanitaire, en janvier, les livraisons d’aide de l’ONU n’ont fait que diminuer.
Logique de siège
Plusieurs logiques concourent à ce résultat. La droite israélienne au pouvoir a assumé dès les premiers jours de la guerre de renoncer aux principes de base du droit humanitaire, s’estimant libérée de toute obligation par l’horreur de l’attaque perpétrée par le Hamas, le 7 octobre 2023. Elle perpétue depuis lors une logique de siège et applique le modèle de Dresde : l’Etat hébreu traumatise la population de Gaza pour l’histoire, comme les Alliés le firent en bombardant massivement les villes allemandes en 1944, alors que la défaite du régime nazi était déjà assurée.
Ce gouvernement attise le ressentiment des Israéliens, qui avaient de longue date oublié les civils gazaouis, déshumanisés au fil de quinze ans de blocus. Dans leur écrasante majorité, ils se refusent aujourd’hui à exprimer de l’empathie pour la souffrance de l’enclave. L’extrême droite messianique, partenaire-clé du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, exploite ces sentiments afin d’imposer ses ambitions dans le débat public : un nettoyage ethnique de Gaza et sa recolonisation.
Au fil de la guerre, sous la pression de l’armée, des livraisons d’aide et d’essence ont pourtant peu à peu été autorisées. Mais ces assouplissements ont eu lieu dans la discrétion, sans l’assentiment de l’ensemble du gouvernement, où l’extrême droite, le Likoud de M. Nétanyahou et certains de ses partenaires du centre rivalisent d’intransigeance. Aujourd’hui, c’est l’armée qui annonce de nouveaux accès pour l’aide – les ministres, y compris ceux issus de l’opposition centriste, se gardent encore d’endosser une telle responsabilité.
Voilà trois mois que la hiérarchie militaire considère pour sa part la guerre comme largement achevée, et elle s’impatiente. Elle menace encore de porter l’assaut sur Rafah, où se massent 1,4 million de déplacés, à la frontière sud de l’enclave. Mais elle attend surtout que le gouvernement conclue un cessez-le-feu avec le Hamas, afin de faire libérer les otages capturés le 7 octobre : ceux qui ont survécu à cinq mois de captivité et de guerre et les corps des morts.
Une part du désastre humanitaire en cours est à mettre au compte de ces négociations, puisque Israël tend à faire pression sur le Hamas en mettant dans la balance l’accès à l’aide et le retour des déplacés vers le nord. Le président Biden a mis Israël en garde contre un tel chantage le 7 mars. Mais il concède aussi qu’un cessez-le-feu faciliterait l’acheminement de vivres.
Depuis janvier, l’armée souhaite passer à une seconde phase du conflit, faite de raids et de bombardements ciblés, et censée durer plusieurs années. Elle entend poursuivre sans relâche, notamment à Rafah, ce qu’il reste des forces armées du Hamas, tout en abandonnant l’administration des ruines de Gaza à une instance palestinienne aussi docile que possible. Cet enjeu est d’une actualité brûlante : il s’agit d’ores et déjà de trouver des hommes en armes palestiniens pour escorter les camions de vivres, que Washington veut voir rouler à travers Gaza.
Aucun transfert de souveraineté
Mais le gouvernement ne décide de rien. Depuis janvier, il se refuse à préparer un tel transfert de souveraineté, même infime. La tâche s’annonce d’autant plus difficile qu’Israël a détruit méthodiquement toute capacité d’administrer l’enclave, en frappant la police, les ministères, les mairies, et en laissant s’imposer un vide du pouvoir vertigineux. Toutes ces institutions sont assimilées à l’ordre ancien du Hamas et, à ce titre, condamnées. De même pour l’agence des Nations unies chargée des réfugiés de Gaza, l’UNRWA, qui forme dans l’enclave un embryon d’Etat. Ce sont pourtant ses structures que l’ONU utilise encore afin de distribuer de l’aide. Ce sont ses écoles qui devront accueillir au plus vite les enfants de Gaza après la guerre.
Cette stratégie de la table rase israélienne a montré ses limites le 29 février, lorsque des soldats, censés sécuriser l’entrée d’un convoi vers la ville de Gaza, ont ouvert le feu sur des civils durant une émeute de la faim. Mais cette tragédie n’a pas dissuadé l’armée de coopter des clans et des commerçants locaux en leur accordant des licences d’importation et en leur confiant de petits contrats de livraisons de vivres dans Gaza. Certains ministres reconnaissent aujourd’hui à voix basse que ces méthodes ne mènent pas loin. Ils font valoir qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’Autorité palestinienne et au Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie.